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Une révolution qui cherche son chemin

Samar Al-Gamal, Mardi, 21 janvier 2014

La révolution du 25 janvier entame sa quatrième année avec des revendications, « changement, liberté et justice sociale », restées lettre morte. Si, depuis 2011, l’Egypte vit au rythme des manifestations, des violences et des appels aux urnes, aujourd’hui, c’est un retour à la case départ qui pointe à l’horizon.

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(Photo : REUTERS)

Il s’efforce de se faufiler dans les embouteillages monstres. Il finit par être bloqué entre les voitures imposantes sur le pont du 6 Octobre reliant Le Caire, du nord au sud. « Ils nous ont dit que les choses allaient s’améliorer. Mais rien n’a changé. Rien ne changera », lance, furieux, le quinquagénaire sur son scooter, avant d’avancer quelques petits mètres. L’Egypte vient d’approuver sa troisième Constitution en trois ans et s’apprête à marquer aussi le troisième anniversaire de la révolution de janvier, qui était censée apporter « changement, liberté et justice sociale ». Mais le bilan est lourd. La liberté d’expression est visée, ainsi, un programme du plus célèbre humoriste est suspendu après avoir fait la satire du régime actuel, le droit de manifester ne l’est plus conformément à une nouvelle loi. L’Egypte n’a restitué aucun denier volé par Moubarak et compagnie. Moubarak lui-même, jugé depuis août 2011 pour sa responsabilité présumée dans la mort des manifestants, est aujourd’hui relâché après avoir fait appel.

En ce 25 janvier 2011, jour de la fête de la police, l’appel à la révolution est lancé contre l’Etat policier et répressif de Moubarak, alors que 2014 marque le retour triomphant de cet appareil sécuritaire.

Les mêmes images de manifestants humiliés, tabassés après avoir été arrêtés, voire même tués par les forces de sécurité, sont de retour, et peu d’Egyptiens s’en émeuvent d’ailleurs. En 2012, pour le premier anniversaire de la révolution, les manifestants n’étaient pas encore trop loin de la place Tahrir, berceau de leur mouvement. Ils étaient alors venus réclamer le départ du Conseil suprême des forces armées, qui assurait l’intérim, et qu’il remette le pouvoir à une autorité civile. Des élections législatives, puis présidentielle, ont eu lieu. Un Parlement dominé par les Frères et un président islamiste, Mohamad Morsi, a été porté à la tête de l’Etat. En 2013, le deuxième anniversaire de la révolution s’est déroulé dans un contexte de divisions face à la confrérie qui cherchait à s’accaparer tous les pouvoirs.

Pour 2014, alors que les Egyptiens s’attendaient, avec l’évincement de Morsi l’été dernier, à une restauration de la démocratie et une rectification de la trajectoire révolutionnaire, on assiste à un retour à la case départ. L’histoire même de la révolution est en train de se réécrire à la volonté de ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir. « C’est comme si nous voulions faire revivre la tradition pharaonique quand le nouveau pharaon effaçait les vestiges de son prédécesseur sur les murs des temples et des obélisques pour commencer sa propre histoire », écrit l’écrivain islamiste Fahmi Howeidi.

Et en fonction de cette « tradition », la révolution de janvier 2011 est réduite, selon des partisans du régime actuel, écrivains et journalistes, à un « complot » monté par les Frères musulmans en collaboration avec le Hamas et le Hezbollah. Les snipers qui ont tué les manifestants sur Tahrir, la bataille du chameau qui visait à intimider les manifestants, les attaques contre les prisons ... tout cela est l’oeuvre de ces « auteurs de la conspiration contre l’Egypte ». Et à l’instar de la machine mensongère des médias durant les 18 jours de la révolution de janvier, le 25 janvier est stigmatisé et ses auteurs diffamés. La presse s’est transformée en un simple relais de l’appareil d’Etat au nom de la « guerre contre le terrorisme ». C’est ce qu’on appelle désormais les « nouveaux moubarakiens », acteurs studieux d’une contre-révolution.

La « restauration »

« Il ne s’agit pas juste du retour des anciennes figures, mais de la restauration de leurs politiques, coalitions et règles de jeu », explique le professeur de sciences politiques Ahmad Abd-Rabbo. Ceux qui prêchent pour un retour à l’ancienne dans son intégralité et ceux qui proposent plutôt de faire quelques concessions et, entre eux, les « réalistes », comme les surnomme le journaliste et chercheur économique Waël Gamal. « Ceux qui viennent nous confirmer encore une fois que nos choix sont limités dans ce contexte, dominé par le régime de Moubarak dans sa forme nouvelle, et que nous devons accepter ce qui peut être atteint, d’autant plus que l’ancien-nouveau système bénéficie d’un certain soutien populaire ». Par « réalistes », il désigne aussi les opposants à l’action irréaliste dans les rues, alors que les responsables actuels sont arrivés au pouvoir le 3 juillet 2013 grâce à d’immenses manifestations.

Mais le général Abdel-Fattah Al-Sissi, ministre de la Défense et vice-premier ministre, perçu comme le sauveur de l’Egypte et potentiel candidat à la présidentielle, aurait déclaré en réunion du Conseil des ministres la semaine dernière « qu’il n’y a pas de retour à l’avant-25 janvier ». Des caciques du régime de Moubarak qui louaient en public la nouvelle Constitution auraient reçu des consignes de ne plus parler.

« Ces contrefacteurs de la conscience, comme les surnomme le professeur de sciences politiques Amr Hamzawi, imaginent-ils que la population va continuer à suivre leur pauvre cirque, tout en regardant la situation de l’Etat et de la société n’enregistrer que peu de progrès ? », se demande-t-il.

Car les éléments de crise latente sont toujours là, en matière d’économie surtout, ce qui est loin de stabiliser le futur régime. L’ancienne recette consistant à pousser les gens à accepter l’échange de la liberté contre la sécurité n’est pas garantie. Pour le moment, le ministère de l’Intérieur est occupé aux dernières retouches de « la cérémonie officielle » qui se tiendra sur la place Tahrir, pour célébrer l’anniversaire de la révolution et la fête de la police.

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