Organisée sous le thème « Les conflits dans la Corne de l’Afrique et leurs répercussions sur la sécurité de la région et de l’Egypte », la conférence organisée jeudi 27 juin au Caire par le Centre égyptien des études stratégiques (ECSS) a rassemblé un large éventail d’experts en affaires africaines et en relations internationales, ainsi que des représentants de groupes de réflexion, de ministères, d’ambassades et d’organisations de la société civile.
« La Corne de l’Afrique est un noeud crucial reliant l’Afrique, l’Asie et l’Europe et ses routes maritimes stratégiques sont indispensables pour le commerce international. L’instabilité de cette région signifie non seulement des préoccupations régionales, mais aussi un impact mondial », a affirmé le directeur général de l’ECSS, Khaled Okacha, lors de son discours inaugural.
Cette assertion saisit l’essence même de la Corne de l’Afrique, une région en proie à des conflits ethniques, des différends frontaliers, des conflits liés aux ressources et un terrorisme croissant. Cependant, son emplacement stratégique la rend indispensable à la géopolitique et au commerce internationaux. L’impact sécuritaire sur les pays voisins né de la prolifération des personnes déplacées et des réfugiés ne saurait être négligé. Pour l’Egypte, le problème revêt une dimension encore plus critique, car les troubles dans cette région affectent directement ses corridors maritimes, notamment le Canal de Suez.
La conférence, d’une journée, s’est articulée autour de trois sessions riches, chacune abordant différents aspects des conflits et des problèmes sécuritaires de la Corne de l’Afrique.
« L’Afrique, en particulier la Corne de l’Afrique, est un domaine fondamental pour la sécurité nationale égyptienne. Malgré les nombreuses tensions régionales, les actions de l’Egypte dans la Corne de l’Afrique restent une priorité absolue en raison de leur influence directe sur notre sécurité », a expliqué le général de division Mohamed Ibrahim Eldawiry, directeur général adjoint de l’ECSS et modérateur de la première session « Déconstruire la carte des conflits complexes dans la Corne de l’Afrique ».
Les discussions ont porté notamment sur les conflits ethniques et frontaliers qui sévissent dans la région.
« Le récit classique consiste à attribuer les problèmes aux facteurs externes, les présentant comme des éléments importés résultant des politiques coloniales, du partage arbitraire des frontières, ou encore de la transformation de la région en une arène de compétition internationale », a noté Ahmed Amal, professeur de sciences politiques à la faculté des études africaines de l’Université du Caire. Et d’ajouter : « Ces conflits ne sont pas de simples escarmouches. Dire qu’il s’agit de problèmes importés ne reflète pas la réalité dans son intégralité. Il existe des causes internes profondes qui ne peuvent être ignorées. Ils sont profondément enracinés et multiformes, comportant des dimensions existentielles, séparatistes et nationalistes ».
Une réflexion qui souligne la nécessité d’une compréhension nuancée de ces conflits. Les conflits ethniques enchevêtrés sont dus à des griefs historiques, une répartition inégale des ressources et des frontières souvent arbitraires datant de l’époque coloniale.
Leur persistance témoigne, en effet, de l’échec des processus de reconstruction des Etats et de la mauvaise gouvernance post-coloniale.
L’espoir était de voir émerger des pays forts et stables après l’indépendance. « Cependant, la réalité a été marquée par des tentatives d’unité nationale souvent tumultueuses et conflictuelles », affirme Amal.
Concurrence géopolitique
La deuxième session a exploré les répercussions des conflits sur la sécurité régionale, l’accent a été mis sur la mer Rouge et le détroit de Bab-El-Mandeb en tant que points de passage critiques menacés par l’instabilité persistante dans la région. Une attention particulière a été portée aux politiques controversées de l’Ethiopie en matière d’eau, qui ont un impact direct sur les pays en aval, notamment l’Egypte, dans le contexte des négociations dans l’impasse concernant le barrage de la Renaissance.
Le débat a porté sur les intérêts directs des acteurs internationaux, notamment les Etats-Unis, la Chine et la Russie, dans la stabilité des routes maritimes. Tina Kukkamaa, du centre Martti Ahtisaari pour la paix, a souligné qu’il était crucial de trouver « des moyens créatifs pour promouvoir un dialogue inclusif dans cette ère de tensions et d’affaiblissement du multilatéralisme ».
La coopération est essentielle, mais elle est compliquée étant donné la concurrence géopolitique. La création d’un environnement maritime stable nécessite un consensus entre les puissances mondiales, ce qui est difficile dans le climat géopolitique actuel.
La Corne de l’Afrique est, en effet, devenue un théâtre de compétition croissante entre les puissances mondiales, notamment les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Cette rivalité, bien que présente dans d’autres régions du globe, revêt une dimension particulière dans cette zone en raison de son importance pour le commerce et la navigation maritime.
« Les Etats-Unis ont adopté une approche multidimensionnelle dans cette région, comprenant une présence militaire importante (commandement AFRICOM, forces à Djibouti), un engagement diplomatique actif, avec un envoyé spécial pour la Corne de l’Afrique et une coopération renforcée avec les organisations régionales africaines », explique Mohamed Kamal, directeur de l’Institut des recherches et des études arabes (IARS).
La région est également partie intégrante de la vision stratégique chinoise qui consiste à développer son influence économique mondiale, en sécurisant l’accès aux ressources naturelles et en ouvrant de nouveaux marchés. « La Chine déploie une stratégie pragmatique, privilégiant les investissements dans les infrastructures, le commerce et la coopération technique. Elle a établi sa première base militaire à Djibouti et a nommé un envoyé spécial pour la région », rappelle Kamal. La Russie, elle, bien que moins présente économiquement, cherche à renforcer son influence politique et tisse des liens étroits avec certains pays de la Corne de l’Afrique, notamment l’Ethiopie et l’Erythrée, en s’impliquant dans des médiations pour régler les conflits.
Kamal croit que pour faire face à ces défis, il est crucial d’établir « un cadre de coopération maritime inclusif dans la Corne de l’Afrique, qui évite les approches exclusives et le fait de cibler ou de marginaliser des pays spécifiques ».
Faire face aux menaces
La troisième et dernière session, animée par Ezzat Ibrahim, rédacteur en chef d’Al-Ahram Weekly et d’Ahram Online, et membre du conseil consultatif de l’ECSS, était l’occasion d’aller plus loin et d’évoquer les stratégies et les mécanismes visant à faire face à ces menaces croissantes.
« Un engagement continu est nécessaire, car la situation risque de se détériorer davantage si aucune vision régionale claire n’est élaborée pour ramener la stabilité, respecter la souveraineté des pays et promouvoir la coopération économique au lieu des conflits », souligne Ibrahim.
La conférence s’est clôturée par une série de recommandations, notamment la création d’une plateforme permanente de dialogue et de coordination, le lancement d’initiatives ciblées pour faciliter un dialogue global entre les pays de la Corne de l’Afrique et les parties prenantes régionales et internationales, afin de relever les défis communs en matière de sécurité. Elle a également proposé la mise en place de bases de données nationales et régionales pour surveiller les conflits, ainsi que la mise en oeuvre de systèmes d’alerte précoce pour identifier toute escalade et faciliter des actions proactives.
Lien court: