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Anna Bjerde: « Nous sommes fiers d’aider l’Egypte à bâtir une économie durable et inclusive »

Sarah Al-Eissawy , Dimanche, 30 juin 2024

Anna Bjerde, directrice générale de la Banque mondiale chargée des opérations, revient sur le contexte économique régional et les défis auxquels est confrontée l’économie égyptienne. Entretien.

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Anna Bjerde, directrice générale de la Banque mondiale chargée des opérations

Al-Ahram Hebdo : Les projections de la Banque Mondiale (BM) laissent entrevoir une phase de stabilisation de la croissance mondiale, teintée d’incertitude. Au vu de ces prévisions, pourriez-vous nous en dire plus sur le climat économique mondial actuel ?

Anna Bjerde : L’économie mondiale se stabilise après plusieurs années de chocs négatifs concomitants. Selon nos dernières projections, la croissance mondiale devrait atteindre cette année un rythme légèrement plus rapide que prévu, en raison principalement de l’expansion soutenue de l’économie américaine. Dans l’ensemble, la croissance mondiale devrait se maintenir à 2,6 % cette année, malgré les tensions géopolitiques et les taux d’intérêt élevés. Elle devrait légèrement augmenter pour atteindre 2,7 % en 2025-2026, parallèlement à une progression modeste des échanges et des investissements.

Malgré ces améliorations, des problèmes majeurs subsistent. Par exemple, en dépit de l’assouplissement des conditions financières dans les économies émergentes et en développement, environ 40 % d’entre elles restent vulnérables aux tensions liées à la dette. En résumé, le rythme actuel de la croissance mondiale devrait rester insuffisant pour progresser sur les principaux objectifs de développement. 

— La plupart des Banques Centrales mondiales maintiennent des taux d’intérêt élevés pour tempérer l’inflation. En quoi cela va-t-il impacter la croissance, l’investissement et l’emploi ?

— Les Banques Centrales des principales économies avancées devraient progressivement abaisser leurs taux d’intérêt cette année. Mais le niveau des taux d’intérêt réels devrait continuer de peser sur l’activité économique, l’investissement et l’emploi à court terme. 

Dans les économies en développement, les coûts de l’emprunt restent élevés, ce qui nuit à l’investissement et à l’emploi. La situation est particulièrement difficile pour des pays qui, comme l’Egypte, se sont endettés pour financer d’importants programmes d’investissement public.

Si les pressions inflationnistes durent plus longtemps que prévu, les baisses des taux d’intérêt pourraient être moins importantes ou reportées à plus tard. Ce qui pourrait avoir un effet néfaste sur la croissance mondiale, sur l’investissement et sur l’emploi dans les économies en développement. 

— Les crises mondiales, notamment la pandémie de Covid-19, ont poussé de nombreux pays à augmenter les dépenses sociales au détriment des initiatives de lutte contre le changement climatique. Partagez-vous cette analyse ? De quelle manière la pandémie a-t-elle influé sur les priorités de financement de la Banque mondiale, et ces priorités ont-elles évolué dans l’environnement post-Covid ?

— Nous avons tiré beaucoup de leçons de la pandémie de Covid-19, et l’une des plus importantes peut-être est qu’il serait illusoire de penser éradiquer la pauvreté sans se soucier du climat, de la santé, de l’insécurité alimentaire et de la fragilité.

Tous ces défis sont étroitement liés. Et c'est pourquoi le Groupe de la Banque mondiale est guidé par une nouvelle vision et mission : créer un monde sans pauvreté sur une planète vivable. Nous œuvrions déjà à la réduction de la pauvreté. L'élément nouveau, c’est la préservation d’une « planète vivable », et cela signifie un air respirable, de l’eau potable et l'accès à l’éducation et aux soins de santé pour tous.

Par exemple, nous savons que le changement climatique touche des milliards de personnes et qu’il a de graves conséquences, en particulier sur la productivité agricole et la sécurité alimentaire. C’est l’une des grandes raisons pour lesquelles nous nous employons à protéger les plus vulnérables — comme en Egypte, notamment, dans le cadre du travail que nous menons avec le gouvernement sur le programme Takafol wa Karama. Cette initiative phare est le plus grand programme de transferts monétaires de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Elle couvre plus de 5 millions de familles et plus de 22 millions d’habitants. 

En même temps, le passage à une économie verte peut également représenter une opportunité, en particulier pour un pays comme l’Egypte qui dispose d’un immense potentiel dans le domaine des énergies propres.
Le Groupe de la Banque mondiale est la principale source multilatérale de financements climatiques pour les pays en développement. Nos prêts pour le climat ont considérablement augmenté année après année, pour atteindre un niveau record de 38,6 milliards de dollars sur le dernier exercice. Et nous avons l’ambition de consacrer au climat 45 % de nos engagements annuels de financements d’ici 2025.

— Comment évaluez-vous la situation économique de l’Egypte et les défis auxquels elle est confrontée ? Quelles stratégies pourrait-elle adopter pour surmonter ses difficultés économiques actuelles sans alourdir le fardeau qui pèse sur sa population ? 
— Nous estimons que les récentes mesures prises par l'Egypte, en particulier en matière de politique monétaire, avec notamment la libéralisation du taux de change, étaient nécessaires pour rétablir l’équilibre et la stabilité de l’économie. Un environnement macroéconomique stable est essentiel pour protéger les familles de l’inflation, en particulier les ménages pauvres.

L’Egypte dispose d’un énorme potentiel économique, de par sa situation géographique, son vaste marché et sa richesse historique. Mais pour créer les millions d’emplois nécessaires, en particulier pour les jeunes et les femmes qui entrent sur le marché du travail, le pays doit créer un environnement propice au développement du secteur privé. Il faut pour cela redéfinir le rôle de l’Etat dans l’économie, encourager une concurrence loyale sur les marchés — afin de faciliter les importations et les exportations — et assurer une justice commerciale plus rapide et plus prévisible. 

Il y a quelques jours à peine, la Banque mondiale a engagé 700 millions de dollars supplémentaires de financement à l’appui des politiques de développement en faveur de l’Egypte, précisément pour soutenir ces réformes. 

— Malgré le soutien de la Banque mondiale au développement des secteurs de l’éducation et de la santé en Egypte, les besoins de financement sont encore considérables. Comment envisagez-vous de répondre à ces besoins et d’améliorer les ressources humaines ?

— La ressource la plus précieuse d’un pays est sa population. En Egypte comme ailleurs, nous considérons les secteurs de l’éducation et de la santé comme des leviers essentiels non seulement du développement, mais aussi de la croissance économique, en particulier en ce qui concerne les femmes.

Depuis près d’une décennie, la Banque mondiale accompagne sans relâche l’Egypte dans ses efforts de réforme des systèmes d’éducation et de santé. Ce soutien porte notamment sur l'amélioration des enseignements et des apprentissages dans les écoles publiques et sur le déploiement national de l’assurance maladie. Elle a également fourni un appui technique et financier important pour le dépistage et l’élimination de l’hépatite C, et nous poursuivrons nos efforts pour améliorer l’accès aux services de santé et de planification familiale dans tout le pays.

Nous nous réjouissons que l’Egypte tire parti du programme d’allocations Takafol pour promouvoir la santé, la nutrition et l’éducation, en particulier pour les jeunes enfants. 

Cela dit, il est possible d’investir plus et mieux dans les secteurs du développement humain, notamment en mettant davantage l’accent sur le développement et la nutrition de la petite enfance, sur le développement des compétences et la formation technique et professionnelle, ainsi que sur les systèmes et les services de santé.

— Pourriez-vous nous en dire plus sur les programmes et projets récents ou en préparation et sur les secteurs jugés les plus importants ?

— La stratégie du Groupe de la Banque mondiale pour l’Egypte, élaborée en collaboration avec le gouvernement, s’articule autour de trois objectifs : créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité dans le secteur privé, améliorer les résultats en matière de capital humain et renforcer la résilience aux chocs. La promotion de l’autonomisation des femmes est par ailleurs un thème transversal important. 

Nous savons qu’un secteur privé robuste et compétitif est essentiel à la réussite future de l’Egypte, et je suis heureuse d’assister à la Conférence Egypte-UE sur l’investissement, qui mettra en lumière les réformes entreprises par le pays pour stimuler les investissements du secteur privé. Nous travaillons activement avec le gouvernement pour soutenir les réformes et stimuler l’activité du secteur privé, notamment par le biais du financement à l’appui des politiques de développement de 700 millions de dollars que j’ai précédemment mentionné. Ce financement est destiné à aider l’Egypte à répondre à trois priorités de politique publique essentielles : une plus grande participation du secteur privé, une meilleure résilience macroéconomique et budgétaire et une trajectoire de croissance plus verte.

Il s’agit de la première partie d’un programme de soutien de 6 milliards de dollars que le Groupe de la Banque mondiale prévoit de déployer au cours des trois prochaines années. La moitié de cette enveloppe est destinée à appuyer les politiques de réforme économique, d’assainissement des finances publiques, de développement et d’action climatique portées par le gouvernement, tandis que l’autre moitié portera sur un soutien direct au secteur privé.

Nous sommes également fiers d’aider l’Egypte à bâtir une économie plus durable et inclusive en soutenant les petites et moyennes entreprises, en créant des emplois et en promouvant l’entrepreneuriat, en particulier pour les femmes. Au cours de ma visite, j’ai eu la chance de m’entretenir avec de jeunes entrepreneuses qui comptent parmi les plus prometteuses du pays et qui ont bénéficié de l’appui de la Banque mondiale. Ces femmes sont l’avenir de l’Egypte. 

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