Dès que l’on franchit le seuil de la galerie le Lab, on est complètement épris par un monde mythique créé par l’artiste multidisciplinaire Khaled Hafez, intitulé The Illustrated History of the Mundane — Laboratory Function Tests (l’histoire illustrée du banal — tests fonctionnels en laboratoire). Des peintures, des sculptures, des objets d’art et des meubles dévoilent des protagonistes mythiques de l’Egypte Ancienne associés à des super-héros. Le monde de Khaled Hafez évoque avec ironie et créativité l’actualité, la politique et la vie quotidienne.
L’histoire illustrée du banal est un projet qui a débuté en 2019 et qui continue encore. « C’est un projet comportant plusieurs parties partageant le même titre. La première a vu le jour en 2020 avec des photographies de rue prises pendant la pandémie du Covid-19 et dont la plupart étaient captées par un téléphone portable sous le titre : Les Villes de ciment. Les deuxième et troisième parties étaient des installations dans l’espace qui s’intitulaient La Grotte et Les Réalités de Grenade. Elles étaient présentées, en coopération avec le Lab, dans des espaces alternatifs comme Grenade à Héliopolis. La quatrième partie, Le Complexe militaro-industriel, combinant photographie et collage avec des papiers en carton recyclés, a été présentée dans la salle Extension à Stockholm, en Suède. En ajoutant une animation bidimensionnelle, elle a été réexposée au musée Moderna de Malmö également en Suède, constituant ainsi la cinquième partie du projet », souligne Khaled Hafez.
Quant à Tests fonctionnels en laboratoire, Hafez fait allusion à un jeu de mots. Il profite des connotations que suggère le titre de la galerie : le Lab (un laboratoire des expériences), fondée dans le but de briser les barrières entre l’art et le design et de fournir une plateforme d’expérimentation et d’exploration, et de son ex-formation en tant que médecin. Hafez, dans son exposition, mélange habilement une myriade d’éléments, apparemment disparates, voire contradictoires, avec l’intention d’engendrer une création nouvelle, un processus proche de l’alchimie, où le mythe propose la transformation de la matière banale en quelque chose de précieux.
Nout. (Photo : Ayman Lotfy)
Dans une série de quatre peintures sous l’étiquette « Il était une fois à Eden », les caractères des super-héros sont omniprésents. On reconnaît Batman avec les masques d’Anubis, des corps féminins avec des sandales à talons prennent la position de la reine Nout, des gladiateurs avec des ailes, etc. Sur les toiles s’imposent des motifs reliés à la propagande américaine dans les médias et l’industrie du cinéma : des voitures, des vaisseaux spatiaux, etc. Un jeu d’humour émane des oeuvres de Hafez. Est-ce qu’il critique l’imitation de la culture occidentale ou cherche-t-il à nous rappeler nos ancêtres égyptiens ? « L’ironie est ma ligne directrice dans toute ma création artistique. Je trouve que la spécificité des Egyptiens est dans le fait de tout ridiculiser. Voyez-vous, je suis toujours touché par l’art cinématographique et surtout les oeuvres des années 1960 et 1970 où l’ironie était à son extrême pendant la défaite. C’est là où réside la force de l’art », explique-t-il. Dans ses peintures, il imagine un éden trompeur où les modèles américains ou ceux de la culture occidentale constituent l’exemple de rêve auquel on aspire. Pourtant, Hafez, avec ses emprunts des caractères et dieux de l’Egypte Ancienne, nous fait remettre en question toute l’histoire de la civilisation égyptienne d’autrefois.
Sculptures en bronze et meubles en bois
De ses peintures, il fait sortir des caractères qu’on retrouve fréquemment dans son design des meubles et ses sculptures en bronze. Toujours les symboles de la culture de l’Egypte Ancienne sont de mise. Khaled Hafez dévoile huit pièces sculpturales, extraites de son répertoire d’oeuvres picturales, dont deux réalisées dans son atelier d’après le scénario d’un film qu’il a écrit en 2003, intitulé All Time Idlers (les oisifs de tous les temps). Malheureusement, le film n’a pas vu le jour, faute de fonds. Et ces oeuvres n’ont jamais été présentées au public auparavant.
Dans ses sculptures en bronze, Nout est reproduite. Sa fameuse position témoigne d’une souplesse et d’une grande habileté dans la création de la forme. Le portrait de Tut reprend encore une fois l’idée de l’ironie puisque le portrait est associé à des ailes, avec un large cou et une tête avec de grandes oreilles. Ce portrait fait partie d’un caractère que Hafez a développé pour son film. « Mes sculptures sont à l’origine des caractères que j’ai créés durant une expérience artistique de plus de trente ans », déclare Hafez.
De même, les meubles exposés ont été déjà conceptualisés par l’artiste dans son propre studio, il y a 20 ans, initialement sous forme de prototypes. « Pour moi, dans ma pratique interdisciplinaire, l’art, le design fonctionnel, le design graphique, le travail artisanal et l’architecture ne constituent qu’un seul résultat de l’esprit créatif. Il n’y a aucune différence entre l’art et le design », explique l’artiste aventurier.
Quelques objets d’art ont subi une momification : un sceptre, un verre d’eau, une bouteille, des ciseaux, un pistolet, etc. Ils sont enveloppés par des bandelettes en lin beige. Des objets qui renvoient à d’anciens projets de Hafez et dont la disposition ici ajoute plus de détails à l’ambiance mythique d’autrefois.
Il était une fois à Eden. (Photo : Ayman Lotfy)
Ridiculiser le Printemps arabe
Deux vidéos d’animation présentent une approche comique et satirique du Printemps arabe. Projeté à l’entrée de la galerie, Kartonopolis, d’environ deux minutes, est conçu dans un monde en carton dans lequel Hafez résume l’histoire du Printemps arabe. La musique de la célèbre chanson de Farid Al-Atrach Voici le printemps est de retour situe bien son film dans un contexte lié à l’Egypte et au monde arabe. « Il s’agit d’une technique que j’ai adoptée dans mes collages en 1994 pour faire de l’art par les moyens du bord. Puis en 2004, j’ai créé une série de collage intitulée Tut en carton. Vingt ans plus tard, j’ai fait Kartonopolis », souligne-t-il.
Kartonopolis est une réflexion critique sur les promesses du Printemps arabe. Batman se métamorphose en Anubis, dieu mythique de l’Egypte Ancienne, se fraye un chemin dans une maison d’individus endormis et joue le rôle du Père Noël, plaçant des jouets sur une table dans chaque chambre. Tous les jouets sont des éléments militaires : un char, un véhicule blindé, un hélicoptère, etc.
Le deuxième film d’animation Spring Affair (une affaire du printemps) est projeté au deuxième étage sur deux écrans placés l’un au-dessus de l’autre. La projection des deux films se fait simultanément ; pourtant, sur l’écran en dessous, on remarque un certain décalage. En plus, il existe une sorte de distorsion dans l’écran du dessus qui fait paraître quelques séquences plus grandes ou même fait paraître parfois la moitié des personnages. La chanson de Souad Hosni des années 1970 célébrant le printemps est entendue : « Le monde est au printemps, il fait beau … ». Les militaires font toujours leur marche cadencée et machinale et les oiseaux prennent la forme des avions de guerre. La confusion, le décalage et les caractères ridiculisés témoignent d’une forte ironie.
The Illustrated History of the Mundane — Laboratory Function Tests, oeuvres de Khaled Hafez, jusqu’au 24 août, tous les jours de 15h à 22h (sauf le lundi) à la galerie Le Lab, à Walk of Cairo (WOC), Cheikh Zayed.
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