Un niveau inédit. Une personne sur 69, soit 1,5 % de la population mondiale, est aujourd’hui déplacée de force. C’est ce que vient de dévoiler le dernier rapport sur les tendances mondiales des déplacements forcés publié la semaine dernière par l’Agence des Nations-Unies pour les réfugiés, le HCR, à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés célébrée le 20 juin de chaque année. Selon ce rapport, le monde compte jusqu’à fin mai 2024 plus de 120 millions de personnes déracinées, qui ont fui la violence, les conflits ou les persécutions. En effet, c’est la 12e année consécutive que le nombre de personnes déplacées augmente. Ce chiffre est passé de 41 millions en 2010 à 82,4 millions en 2020 puis à 110 millions en 2022 avant d’atteindre 117,3 millions en 2023. Cette croissance fulgurante reflète, comme l’alerte le HCR, « l’émergence de nouveaux conflits, la mutation de certaines situations existantes, ainsi que l’incapacité à résoudre des crises persistantes ».
L’édition 2024 de la Journée mondiale des réfugiés coïncide cette année avec une multitude de crises humanitaires dévastatrices au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe qui ont engendré une augmentation significative des déplacements de population dans le monde. Face à cette situation alarmante, de nombreuses questions se posent. Quel avenir pour les déplacements dans le monde ? Quelles sont les répercussions économiques et sociales de ces crises sur les pays d’accueil ? Comment la communauté internationale peut-elle partager le fardeau de manière efficace ?
« Dans un contexte mondial où les crises s’aggravent et se recoupent, et où le nombre de réfugiés dans le monde atteint des niveaux sans précédent, la coopération internationale reste le seul moyen de s’attaquer efficacement et durablement aux questions de réfugiés », a souligné l’Egypte dans un communiqué publié par le ministère des Affaires étrangères à l’occasion de cette journée, en appelant à traiter la question des réfugiés selon « une approche globale qui reconnaît l’interdépendance des dimensions humanitaire et de développement afin de renforcer la résilience des communautés hôtes, parallèlement au renforcement des efforts de paix pour s’attaquer aux racines des crises dans les pays d’origine des réfugiés ». « A cette occasion, l’Egypte rappelle l’importance de redoubler d’efforts au niveau international pour garantir une mise en oeuvre juste et durable du principe du partage des charges et des responsabilités, notamment en mobilisant les ressources nécessaires pour répondre aux besoins des réfugiés et contribuer à alléger les pressions exercées sur les pays d’accueil », ajoute le communiqué.
Selon Ayman Zohri, président de l’Association égyptienne pour les études sur les migrations à l’Université américaine du Caire, la situation des réfugiés et des personnes déplacées devrait rester préoccupante pendant les mois à venir, avec des impacts négatifs persistants sur eux, ainsi que sur leurs pays d’origine et d’accueil, « si des mesures sérieuses ne sont pas prises pour s’attaquer aux causes profondes et aux facteurs qui ont aggravé cette crise au cours des dernières années ». « Les conflits armés, les guerres civiles et l’instabilité politique que connaissent de nombreuses régions du monde sont les principales causes des flux de réfugiés et de personnes déplacées internes. A cela s’ajoutent les effets négatifs croissants du changement climatique qui est un autre facteur majeur de déplacement et de refuge dans le monde d’aujourd’hui. Les données disponibles et les projections futures indiquent que le nombre de réfugiés climatiques pourrait dépasser un milliard d’ici 2050 », explique Zohri. Et d’ajouter : « Ces conflits ont entraîné la persistance des phénomènes de déplacement et de refuge pendant de nombreuses années consécutives, ce que l’on appelle le déplacement prolongé. Cela a, à son tour, aggravé les problèmes des réfugiés en raison de l’incapacité des pays d’accueil à les intégrer et de la réticence des grandes puissances à accueillir et à installer un nombre suffisant d’entre eux. Le retour reste l’option la plus optimale et la plus préférable, mais il exige un retour à la normale dans les pays d’origine, ce qui n’est actuellement pas le cas dans de nombreux pays ».
Multiplication des conflits
Comment se dessine la carte de réfugiés dans le monde ? Selon le HCR, la hausse continue du nombre depuis 12 ans s’explique par la persistance des conflits et l’émergence de nouvelles guerres et de nouveaux foyers de tension, qui aggravent encore la crise des réfugiés. Plus de la moitié des personnes nouvellement déplacées, d’après le rapport, proviennent de quatre pays seulement : le Soudan (9,9 millions), la République démocratique du Congo (3,9 millions), la Somalie (2,3 millions) et Myanmar (1,3 million). Il y a également 1,7 million de personnes nouvellement déplacées dans la bande de Gaza.
La crise au Soudan, l’une des plus grandes crises humanitaires au monde, a par exemple entraîné le déplacement de plus de 9 millions de personnes, dont la plupart à l’intérieur du pays. Cependant, environ 1,9 million d’entre elles ont fui vers des pays voisins. Ce conflit reste le grand moteur de déplacements massifs, a indiqué le HCR. Et les chiffres continuent d’augmenter. Dans la bande de Gaza, l’UNRWA estime que 1,7 million de personnes, soit 75 % de la population, ont été déplacées depuis le 7 octobre. A ce jour, plus de 6 millions de réfugiés palestiniens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du territoire, sont enregistrés auprès de l’UNRWA et environ 90 % des réfugiés palestiniens vivent actuellement en dessous du seuil de pauvreté à Gaza, au Liban et en Syrie. En effet, Israël considère l’UNRWA comme une menace parce qu’elle protège le droit au retour des descendants des quelque 75 % de Palestiniens déplacés pendant la Nakba. Depuis des années, Israël cible l’organisation, tentant de discréditer sa réputation et de saper son fonctionnement ; ces attaques ont pris une nouvelle ampleur pendant la guerre d’Israël contre Gaza.
Le Moyen-Orient sous les projecteurs
Outre les réfugiés palestiniens, le Moyen-Orient est un microcosme des conflits majeurs à travers le monde qui ont entraîné des nombres massifs de réfugiés ces dernières années. Selon Ahmed Bayoumi, chercheur au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS), « les conflits au Moyen-Orient se caractérisent par leur complexité unique et leur impact considérable, où les intérêts locaux, régionaux et internationaux s’entremêlent ». La Syrie représente toujours la plus grande proportion de personnes déplacées dans le monde, avec plus de 6,6 millions de réfugiés qui se répartissent actuellement entre la Turquie, le Liban, la Jordanie, l’Iraq et l’Egypte. Les réfugiés syriens représentent près de 27 % du nombre total de réfugiés dans le monde. Par ailleurs, plus de 6,4 millions d’Afghans ont été contraints de quitter leur foyer depuis la prise de pouvoir par les Talibans en 2021. Plus de 7,7 millions de personnes ont quitté le Venezuela après l’effondrement de l’économie sous le régime du président socialiste Nicolas Maduro, au pouvoir depuis 2013. Alors que la guerre entre la Russie et l’Ukraine se poursuit, le nombre de réfugiés en provenance d’Ukraine a atteint 6 millions à la fin de l’année 2023. En parallèle, beaucoup d’experts mettent en garde contre la détérioration des conditions dans les camps de réfugiés dans un certain nombre de pays de la région, en particulier au Liban, qui est confronté à une crise économique sans précédent depuis fin 2019, ce qui a un impact négatif sur ses citoyens et sur ceux qui ont trouvé refuge sur son territoire, tant Syriens que Palestiniens.
Pays d’accueil : Une facture lourde
L’augmentation probable du nombre de réfugiés suscite des inquiétudes quant aux répercussions économiques et sociales de ces crises sur les pays d’accueil. « Les pays voisins des zones de crise, souvent confrontés à des situations économiques difficiles, assument la plus grande part du fardeau en accueillant le plus grand nombre de réfugiés. Il est donc temps de mettre en oeuvre un véritable principe de partage international équitable des charges et des responsabilités entre les membres de la communauté internationale », souligne Zohri. Selon le rapport du HCR, 75 % des réfugiés et des personnes déplacées de force vivent dans les pays voisins des crises de leur pays, qui sont des pays à revenu faible ou intermédiaire, et produisent ensemble moins de 20 % du revenu mondial. Selon Ayman Zohri, « si l’on examine la répartition des réfugiés et des demandeurs d’asile par pays d’origine, on constate que plus de 85 % d’entre eux se trouvent dans des pays du Sud et que moins de 15 % des réfugiés et des demandeurs d’asile se trouvent dans des pays du Nord. Cela contredit l’image véhiculée par les médias occidentaux, qui laissent souvent croire que la majorité des réfugiés se trouvent chez eux ».
L’Egypte accueille actuellement près de 9 millions de réfugiés originaires de 133 pays, soit 8,7 % de la population égyptienne. Ce chiffre représente une augmentation d’environ 10 % par rapport à 2019 et s’explique par l’instabilité dans les pays voisins qui a poussé des milliers de Soudanais, de Sud-Soudanais, de Syriens, d’Iraqiens et de Yéménites à chercher refuge en Egypte. Malgré cela, l’Egypte a adopté une approche unique pour gérer ce nombre extraordinairement élevé de réfugiés, qui diffère de celle d’autres pays ayant accueilli un nombre inférieur. Contrairement à la plupart des pays hôtes de réfugiés, l’Egypte ne les a pas confinés dans des camps, mais leur a permis de vivre librement au sein de la société égyptienne. Elle leur a également fourni un accès à l’éducation, aux soins de santé et à d’autres services, sur un pied d’égalité avec les citoyens égyptiens. Cependant, l’accueil de ce nombre massif de réfugiés a entraîné des coûts économiques importants pour l’Egypte. « Le fardeau financier de cette question pour l’Egypte a atteint 10 milliards de dollars », a déclaré récemment le premier ministre, Mostafa Madbouly, en soulignant que « le soutien que reçoit l’Egypte de la communauté internationale n’est pas à la hauteur des charges qu’elle supporte pour offrir une vie décente aux réfugiés et ce, à un moment où l’économie égyptienne souffre des conséquences des crises mondiales ».
Face à cette situation, le HCR appelle les pays à revenu élevé à être davantage en charge en réaffirmant le principe de partage des responsabilités entre les nations. Selon Rolla Amin, porte-parole du HCR pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, le soutien financier alloué à la crise des déplacements forcés est insuffisant en raison de l’augmentation constante du nombre de personnes déplacées et de la multiplicité des guerres et des conflits qui dispersent ce soutien. « Les pays à revenu élevé et les pays éloignés de ces crises doivent faire plus pour soutenir les efforts des pays d’accueil en première ligne », conclut Rolla Amin.
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