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Erdogan perd son équilibre

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 06 janvier 2014

Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, tente de s'accrocher et de résister à la crise politique qui secoue le pays.

Erdogan
(Photo : Reuters)

A l’aube d’une année électorale cruciale marquée par des élections municipales en mars et présidentielle en août, le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, semble décidé à suivre la devise de Napoléon Bonaparte : « L’attaque est le meilleur moyen de défense ». Sentant l’étau se resserrer autour de son cou, suite à la vaste enquête anticorruption qui ébranle son pouvoir depuis 2 semaines, Erdogan a dénoncé samedi une « tentative d’assassinat » visant l’avenir et la stabilité de la Turquie, accusant tout le monde de « comploter » contre lui. « Erdogan n’arrive pas à croire ce qui se passe. Du jour au lendemain, il voit son rêve de devenir président s’effondrer devant ses yeux, et bien plus, il risque d’être accusé de corruption. Le début de la fin a commencé pour lui. Il sent que tout le monde complote contre lui. Ce qui n’est pas normal », analyse Mohamad Abdel-Qader, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.

Refusant de se résigner, Erdogan a battu les estrades cette semaine pour proclamer qu’il triomphera de cette « conspiration criminelle », comme il a réussi à surmonter la vague de manifestations qui a fait trembler son régime en juin. « C’est une tentative de mini-coup d’Etat », a dénoncé samedi le vice-premier ministre en charge de l’économie, Ali Babacan. « Nous avons les choses en main. Nous sortirons vainqueurs », a-t-il assuré.

Dans une tentative de reprendre les rênes du pouvoir, le premier ministre a lancé une vaste offensive pour reprendre le contrôle de l’institution judiciaire qu’il accuse d’être noyautée par l’organisation du prédicateur musulman, Fethullah Gülen. Dimanche, Erdogan a demandé à la justice de rester impartiale, soupçonnant le mouvement Gülen, longtemps son allié, de profiter de cette affaire de corruption et d’instrumentaliser la justice où il dispose de puissants relais pour prendre sa revanche sur son gouvernement. Erdogan a aussi menacé le Haut conseil des juges et des magistrats (HSYK), réformé en 2010 pour y réduire l’influence des tenants de « l’ancien régime » kémaliste et laïque. « Nous avons fait une erreur au sujet du HSYK, nous allons y remédier », a lancé Erdogan, promettant de présenter un amendement constitutionnel pour rogner les ailes de cette institution.

Selon les experts, les menaces d’Erdogan sont difficiles à réaliser, le Parti de la justice et du développement (AKP) ne disposant pas de la majorité des deux tiers à l’Assemblée nécessaire pour modifier la loi fondamentale. Et l’opposition a déjà annoncé qu’elle s’y ferait face catégoriquement. Dans le même temps, un nouveau député de l’AKP a claqué la porte pour dénoncer les tentatives d’intimidation exercées par le pouvoir politique sur la justice et la police. Cette démission porte à 5 le nombre de parlementaires ayant quitté l’AKP depuis 2 semaines. Si elle ne remet pas en cause la majorité dont l’AKP dispose à l’Assemblée (320 sièges sur 550), cette vague de départs a révélé des fractures au sein du camp islamo-conservateur, qui règne depuis 2002.

L’armée s’invite à la crise

A cela s’ajoute l’intervention de l’armée. Vendredi, l’armée turque a exigé un nouveau procès pour des centaines d’officiers condamnés en 2012 et 2013 pour complot contre le régime. Selon les médias turcs, l’état-major a déposé le 27 décembre une plainte auprès du bureau du procureur d’Ankara pour dénoncer les preuves utilisées lors de deux affaires judiciaires qui ont envoyé de nombreux militaires derrière les barreaux. Dans la première, dite « Ergenekon », un tribunal a prononcé en août dernier de lourdes peines de prison contre 275 accusés, dont l’ancien chef d’état-major de l’armée turque, le général Ilker Basbug, condamné à la prison à vie, pour avoir tenté de renverser le gouvernement islamo-conservateur en 2008. En août 2012, un tribunal d’Istanbul avait condamné 300 militaires, dont des généraux, à des peines de 13 à 20 ans de réclusion pour une autre tentative de complot contre Erdogan en 2003. Ces condamnations, dénoncées comme une « chasse aux sorcières », ont permis à Erdogan de réduire l’influence de l’armée qui, depuis 1960, avait mené 3 putschs. Défiant, le gouvernement turc a affirmé cette semaine qu’il n’envisage pas d’amnistie générale pour les centaines d’officiers condamnés dans ces procès.Selon les économistes, cette crise sans précédent a eu de graves séquelles sur les marchés financiers et inquiète fort les milieux économiques. De quoi pousser deux figures de proue du gouvernement Erdogan — le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, et l’ancien ministre de la Justice, aujourd’hui vice-président de l’AKP, Mehmet Ali Sahin — à tenter de désamorcer la crise en lançant des appels à la conciliation en direction de la confrérie Gülen, responsable de la crise. Ce changement radical de ton et de stratégie de la part de l’AKP signifie-t-il que le parti au pouvoir a décidé de laisser passer la tempête qui risque de le déraciner ?

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