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Nadia Zakhary : La science au féminin

Névine Lameï, Mercredi, 12 juin 2024

Ex-ministre de la Recherche scientifique et professeure émérite à l’Institut national de cancer, Nadia Zakhary est une scientifique passionnée, également très active dans le domaine des droits de la femme. Elle continue à se donner corps et âme à ces deux missions.

Nadia Zakhary

Classée par SCOPUS parmi les 909 meilleurs scientifiques du monde, et par FORBES, en mars 2013, parmi les femmes les plus influentes (1re en Egypte et 16e dans la région MENA), Nadia Zakhary est une femme d’exception. Spécialisée en biochimie, elle est très respectée dans son domaine de spécialisation et jouit d’un CV très riche en matière scientifique, notamment en biochimie. « La biochimie est un domaine scientifique magnifique parce qu’il t’explique le tout sur le corps humain, le végétal et l’animal. Et ce, à travers la chimie. Il te fait comprendre, en intégrant les données obtenues au niveau moléculaire, comment les biomolécules et leurs interactions génèrent les structures et les processus biologiques observés dans les cellules. Ce qui ouvre la voie à la compréhension des organismes. Avec la biochimie, on est en pleine interaction avec tout ce qui est humain et vivant, et cela m’enchante », affirme Zakhary avec passion.

Cette femme calme, sage et dotée d’un savoir-faire a occupé, entre décembre 2011 et juillet 2013, le poste de ministre de la Recherche scientifique à un moment crucial de l’histoire de l’Egypte moderne. Professeure émérite au département de biologie moléculaire (biologie du cancer), à l’Institut national du cancer (NCI) relevant de l’Université du Caire, elle a derrière elle une longue carrière. Zakhary est présidente du comité de la recherche scientifique du Conseil national de la femme depuis 2016. Elle est également rapporteuse de la commission de propriété intellectuelle du conseil.

Zakhary prend part à toutes les manifestations scientifiques et sociales du Conseil national de la femme. Elle a participé le 4 juin 2024, au Palais Mohamad Ali à Manial, à une conférence sur le projet Ending Violence qui soutient les efforts déployés par l’Etat égyptien pour mettre fin à la violence contre les femmes. Son travail au Conseil national de la femme porte sur la place des femmes dans le monde de la recherche, notamment les femmes souffrant de marginalisation, d’exclusion sociale, de pauvreté et d’inégalité des sexes. « J’ai aidé des femmes de Sohag, par exemple, à lancer leur marque de vêtements afin de ressusciter le patrimoine du tally (tulle fin brodé à l’aide de fils d’or ou d’argent, répandu en Haute-Egypte). Je les ai aidées à tirer un avantage financier de leurs créations ; cela crée un environnement propice à l’épanouissement », raconte Zakhary.

Souvent, on lui demande comment elle est arrivée à reprendre son travail à l’Institut national du cancer après avoir été ministre de la Recherche scientifique. « Je suis toujours traitée comme une ministre ! », ironise-t-elle. Mais en réalité, Zakhary sait s’adapter aux exigences de ses nouvelles fonctions.

Zakhary est membre dans de nombreuses organisations scientifiques nationales et internationales, dont l’Académie des sciences de New York, l’Académie de la recherche scientifique et de la technologie (ASRT), le Conseil d’administration et le comité scientifique de l’Université britannique en Egypte. « Dans mon travail, j’étais chargée de rendre visite à des filles dans des écoles pour les encourager à faire carrière dans la recherche scientifique et les sensibiliser à la cybersécurité, ainsi qu’au dépistage du cancer du sein, etc. », raconte-t-elle. Zakhary a également participé à la campagne « 100 jours pour la santé » qui a fourni des services de santé gratuits à des millions de citoyens dans différents gouvernorats.

Le 21 mars 2024, elle a été honorée par le président Sissi, parmi 10 femmes pionnières égyptiennes. Une distinction qui lui est chère. « Etre femme et être scientifique, cela ne m’a jamais posé problème », affirme-t-elle tout en ajoutant que le monde de la recherche scientifique ne cesse de la passionner.

« Mon père était ingénieur en irrigation et c’est dans le cadre de son travail qu’il s’était installé au Soudan. J’y suis née, mais nous sommes rentrés alors que j’avais à peine deux mois ». Ancienne élève d’une école religieuse, à éducation sérieuse et disciplinée, elle raconte avoir été élevée comme sa mère, sur une liberté responsable. « Malgré mes engagements en recherche scientifique, je n’ai jamais laissé mes deux filles être élevées par quelqu’un d’autre. J’ai rejeté toutes promotions qui m’ont été offertes tant que mes filles étaient encore petites. Et je n’ai commencé mes voyages scientifiques autour du monde que quand elles ont grandi », confie Zakhary, diplômée en 1970 de l’English Mission College, une école missionnaire épiscopalienne et internationale située au quartier de Hadayeq Al-Qobba. « Hadayeq Al-Qobba, où j’habitais avec ma famille de retour du Soudan, était un quartier chic et élégant, avec des immeubles à l’architecture qui remonte à l’époque de Mohamad Ali pacha. C’est à Hadayeq Al-Qobba où siégeait le palais royal, devenu aujourd’hui un palais présidentiel », évoque Zakhary, toujours chic et élégante.

« Malheureusement, je n’ai pas vécu l’époque royale. A l’école, on nous parlait tout le temps de la Révolution de 1952 et Nasser. Quand j’ai grandi, j’ai réalisé que les cours d’histoire présentaient une fausse image du roi Farouq. Je suis née en 1953, juste après la Révolution. Ce qui me ravit le plus, c’est d’être née avec le chiffre 3 ! », confie Zakhary. Peut-être en raison de sa foi en la Trinité, le principe fondateur commun aux principales confessions chrétiennes. Zakhary se rappelle l’honoris qu’elle a reçu du pape Tawadros II et du Centre culturel copte orthodoxe, en tant que « mère idéale » en 2018.

Nadia Zakhary est, en effet, de confession copte et appartient à une famille de renom où l’éducation et la science prennent une place primordiale. Parmi les Zakahry se trouvent de nombreux médecins et ingénieurs. « En dépit de ma passion pour l’art dès ma tendre enfance, mon père n’admettait pas que je m’inscrive à la faculté des beaux-arts. Pour lui, cela pouvait être un hobby, un passe-temps, mais pas un gagne-pain. Personnellement, je vois le contraire. Cela dit, je me suis résignée aux voeux de mon père et j’ai fait des études en sciences, une matière que j’aimais aussi », évoque Zakhary, qui était une enfant douce et docile, dorlotée par ses parents. Jeune, elle aimait lire les oeuvres de Shakespeare et de Charles Dickens. « A l’instar de Naguib Mahfouz, Dickens te donne une image de la société et te fait vivre dans les menus détails grâce à la description et aux personnages de ses romans. Shakespeare, quant à lui, est un portraitiste de l’âme humaine ».

En 1974, la faculté des sciences de l’Université de Aïn-Chams ouvre un nouveau département de biochimie, l’une des cinq spécialités de la biologie médicale. Nadia a choisi d’en faire sa spécialité. « A l’école, je n’étais pas brillante en langue arabe et en matières sociales. Par contre, j’excellais dans les sciences. Faire ce que tu aimes, c’est la liberté ; aimer ce que tu fais, c’est le bonheur ! », déclare Zakahry.

A l’ouverture d’un nouveau département de biologie du cancer, en 1975, au sein de l’Institut national du cancer, Nadia Zakhary répond présente. Depuis, elle a été promue à plusieurs postes dans cet Institut. En 1983, elle est nommée maître de conférences, puis professeur adjoint de biochimie médicale en 1990, professeur de biochimie médicale depuis 1995 et chef de département de biologie du cancer en 2001. Elle a dirigé plus de 60 thèses de doctorat et signé près de 67 recherches et articles scientifiques. Zakahry est également membre du comité de rédaction dans de nombreuses revues et conférences scientifiques nationales et internationales. Aujourd’hui, elle est professeure émérite à l’Institut national du cancer.

« La recherche scientifique a besoin d’échange et de partage des connaissances. L’Egypte accorde de l’importance à la science et publie régulièrement des recherches. Et pourtant, il nous faut impérativement augmenter le budget de la recherche scientifique à travers les financements de projets et l’augmentation des crédits de base des laboratoires … Il nous faut également former de nouveaux scientifiques », estime Zakhary. Pour elle, qui a été invitée en 1999 à la prestigieuse école de médecine de l’Université de New York (NYU), la science joue un rôle crucial pour le développement durable d’un pays.

Nommée ministre de la Recherche scientifique en novembre 2011, sous le gouvernement de Kamal Al-Ganzouri, puis sous Hicham Qandil, en juillet 2012, Zakhary n’a pas hésité à demander à ce dernier pourquoi il l’a choisie. « Est-ce que vous m’avez choisie parce que je suis femme, et copte, ou pour mes compétences ? ». La réponse était évidemment pour ses compétences. Ministre, Zakhary a contribué pour favoriser un environnement propice à la science, à la technologie, à l’innovation, à la création de nouveaux laboratoires, comme à la rénovation de ceux du département de la biologie médicale oncologique de Qasr Al-Aïni.

Dévouée, la brillante scientifique n’a pourtant jamais cherché à se faire valoir. Elle continue à travailler passionnément, pour l’amour de la science.

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