Mercredi, 06 novembre 2024
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Les risques d’extension régionale de la guerre de Gaza

Dr Mona Soliman*, Mercredi, 05 juin 2024

La guerre de Gaza a exacerbé les tensions entre Israël et les alliés régionaux de l’Iran et menace la sécurité de quatre pays arabes : le Liban, l’Iraq, la Syrie et le Yémen.

Les risques d’extension régionale de la guerre de Gaza

Hezbollah libanais et Israël. Cette escalade a ravivé les craintes d’une extension de la guerre israélienne brutale contre la bande de Gaza, qui a déjà fait 36 000 morts. D’autres pays arabes, notamment la Syrie, le Liban, le Yémen et l’Iraq, sont également menacés par cette escalade. Ces pays abritent des milices chiites armées qui reçoivent un soutien politique et militaire de l’Iran. Après le début de la guerre dans la bande de Gaza, ces milices ont déclaré leur soutien au Hamas en attaquant des intérêts israéliens et américains dans la région. Cela a attisé la tension sur les fronts militaires du sud du Liban, du Golan syrien occupé par Israël et de l’Iraq. La milice houthie au Yémen a également menacé la navigation en mer Rouge en détenant des navires dans le détroit de Bab el-Mandeb. Cette escalade des tensions a conduit à des combats armés entre les alliés de l’Iran, Tel-Aviv et Washington et dont les aspects-clés sont résumés dans les paragraphes suivants.

Escalade entre le Hezbollah et Israël

Des bombardements mutuels quotidiens ont lieu dans la zone frontalière libano-israélienne entre la milice libanaise du Hezbollah et certains groupes armés palestiniens au Liban d’une part, et l’armée israélienne d’autre part. Cela a entraîné le déplacement de 90 000 colons israéliens de la région. Les combats se sont intensifiés au cours de la dernière semaine après que le Hezbollah libanais avait annoncé, le 26 mai, avoir mené 15 opérations militaires contre des cibles israéliennes en une seule journée. L’armée israélienne a ensuite riposté par plus de 40 frappes aériennes au Liban contre 10 cellules et bâtiments du Hezbollah. Tel-Aviv a déclaré « l’état d’alerte militaire » et a revu ses plans d’attaque contre le Liban. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, le premier ministre, Benyamin Netanyahu, et le président Isaac Herzog, se sont rendus dans la région fin mai 2024 pour évaluer l’état de préparation militaire en cas de guerre élargie avec le Hezbollah.

Le 1er juin 2024, des informations ont circulé selon lesquelles Netanyahu aurait donné l’ordre à l’armée israélienne d’intensifier ses frappes contre le Liban, après que le Hezbollah avait annoncé avoir abattu, pour la première fois, un drone israélien de type Hermes 900, ce qui représente un développement qualitatif. Malgré l’engagement du Hezbollah à cesser les attaques en cas de cessation de la guerre israélienne à Gaza, cela n’est pas nécessairement certain. En effet, les affrontements entre le Hezbollah et Tel-Aviv sont fréquents, chacun d’entre eux exploitant ces incidents pour mobiliser ses partisans et apaiser le front intérieur en proie à des crises profondes. Ces crises comprennent, côté libanais, l’obstruction par le Hezbollah de l’élection d’un nouveau président du pays depuis plus d’un an, ainsi que des entraves aux sessions du parlement libanais. En plus, il contrôle la décision militaire et domine plusieurs articulations vitales de l’Etat, tout en menaçant ses opposants politiques. De même, Netanyahu utilise les affrontements avec le Hezbollah pour mobiliser ses partisans et propager l’idée d’une menace militaire contre Israël, même après la fin de la guerre à Gaza. Son objectif est de maintenir son pouvoir face aux divisions internes et aux appels à sa démission. Par conséquent, il est probable que les affrontements frontaliers entre le Hezbollah et Israël se poursuivent même après la cessation de la guerre à Gaza, en raison des multiples motivations des deux parties.

Attaques des bases américaines en Syrie et en Iraq

Suite à la guerre israélienne contre la bande de Gaza, les factions et les milices chiites en Syrie et en Iraq, soutenues par l’Iran, ont annoncé qu’elles allaient cibler les bases militaires et les intérêts américains dans les deux pays en raison de la position américaine pro-israélienne. Des bases de l’armée américaine en Syrie ont été visées fin 2023 dans la région pétrolifère de Rmeilan, dans la ville de Shaddadi et à Deir ez-Zor oriental, par des tirs de missiles sans faire de blessés. Plusieurs missiles ont également été tirés sur le plateau du Golan syrien occupé par Israël, ce à quoi Tel-Aviv a répondu en bombardant le consulat iranien à Damas et en tuant un certain nombre de hauts responsables militaires.

En Iraq, depuis la mi-novembre, les factions chiites iraqiennes de la « Résistance islamique en Iraq », soutenues par l’Iran, ont annoncé des attaques à la roquette contre le port d’Eilat, la base de Nevatim, le port de Haïfa et Tel-Aviv en Israël, sans faire de victimes. Elles ont affirmé que ces attaques étaient « une victoire pour notre peuple à Gaza ».

Dans le même contexte, Washington a annoncé, fin avril 2024, que ses forces avaient subi dès novembre dernier plus de 180 attaques de la part de milices soutenues par l’Iran contre leurs bases militaires en Syrie et en Iraq. L’attaque la plus importante a été celle contre une base militaire en Jordanie le 28 janvier, qui a fait trois morts parmi les soldats américains. Washington a répliqué le 2 février dernier en lançant des raids aériens contre 85 cibles des milices en Iraq et en Syrie. On peut affirmer que les Etats-Unis riposteront à toute nouvelle attaque contre leurs forces ou leurs intérêts en Iraq et en Syrie, d’autant plus qu’ils y possèdent des bases militaires leur permettant de le faire. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils continuent d’être ciblés. Les milices armées iraqiennes et syriennes exigent la fin de la présence militaire américaine dans les deux pays et profitent de la guerre à Gaza pour intensifier leurs actions contre Washington, afin d’atteindre leur objectif, qui servira les intérêts de l’Iran et renforcera son influence politique et sa présence militaire en Iraq et en Syrie.

Menace houthie en mer Rouge

Le chef du groupe houthi au Yémen, Abdul Malik Al-Houthi, a annoncé fin mai que ses combattants avaient attaqué 129 navires depuis novembre 2023 « pour soutenir les Palestiniens de Gaza » et s’est engagé à poursuivre l’escalade « en quantité et en qualité ». Ces attaques ont entraîné une baisse du trafic maritime et une menace pour la navigation internationale en mer Rouge au cours du premier trimestre de l’année en cours. Début juin, le groupe a annoncé l’exécution de six opérations contre trois navires en mer Rouge et dans l’océan Indien, et le porte-avions américain Eisenhower a également été visé, ce qui a poussé Washington à lancer des raids nocturnes sur l’ouest du Yémen, tuant 16 personnes. Ces raids s’inscrivent dans le cadre de l’opération « Prosperity Guardian » que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont annoncé avoir lancée au Yémen pour préserver la navigation internationale en frappant militairement les camps des Houthis.

Il est prévu que ces affrontements entre les Houthis et Washington se poursuivraient jusqu’à ce que la situation intérieure au Yémen se stabilise et qu’un règlement pacifique du conflit entre les Houthis et le gouvernement yéménite légitime, qui dure depuis 2015, soit trouvé.

Washington tente de contenir les tensions

D’après ce qui précède, on constate que la guerre israélienne contre la bande de Gaza a fait exploser les tensions régionales entre Tel-Aviv et les agents de l’Iran, et menace désormais la sécurité et la stabilité de quatre pays arabes (l’Iraq, la Syrie, le Liban et le Yémen). Les milices chiites de ces pays ont profité de la guerre pour lancer des attaques contre Israël en raison de l’hostilité qui règne entre eux. Malgré cela, les Etats-Unis s’efforcent de contenir ces tensions régionales et d’empêcher le déclenchement d’une guerre dans la région.

Soucieux d’éviter cette éventualité dans une année électorale, le président américain, Joe Biden, a annoncé début juin une initiative en trois étapes pour mettre fin à la guerre dans la bande de Gaza. Il a également mis en garde contre une extension régionale de la guerre et a menacé de suspendre les exportations d’armes vers Tel-Aviv, afin de faire pression sur Israël pour qu’il mette fin à son agression brutale contre Gaza. Biden cherche également à mettre fin à la guerre pour empêcher qu’elle ne soit exploitée par la Russie et la Chine pour étendre leur influence au Moyen-Orient en soutenant la cause palestinienne, ce qui constitue une menace pour l’influence américaine dans la région. Si l’initiative de Biden est acceptée et que la guerre dans la bande de Gaza est stoppée, cela désamorcera les tensions dans la région et réduira les risques d’une extension des affrontements régionaux entre Israël et les agents de l’Iran, mais ne les éliminera pas. Il est probable que les attaques contre les bases militaires américaines en Iraq et en Syrie se poursuivent jusqu’à leur démantèlement. De même, le front libanais est le plus susceptible de connaître une guerre directe entre le Hezbollah et Israël. Des efforts conjoints arabes et internationaux doivent être menés pour éviter ce risque.

*Chercheuse en sciences politiques

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