Al-Ahram Hebdo : Avec l’appel de Benny Gantz à des élections anticipées et la présentation d’un projet de loi visant à dissoudre la Knesset, la situation politique interne en Israël est critique. Qu’en pensez-vous ?
Mohab Adel : La politique interne d’Israël est complexe. Des manifestations ont lieu chaque semaine depuis le début de la guerre. Mais la question est : quelle est la proportion des Israéliens qui soutiennent le gouvernement de droite et d’extrême droite de Benyamin Netanyahu ? La guerre de Gaza a permis à Netanyahu de mobiliser l’extrême droite, alors que la rue israélienne est profondément divisée entre un courant composé des familles des otages et un autre courant d’Israéliens déplacés des colonies autour de la bande de Gaza et de la frontière avec le Liban, qui sont directement touchés. Ce bloc dirige actuellement la rue aux côtés de certaines personnalités de l’opposition qui exploitent l’état de colère dans la rue face à la coalition gouvernementale pour tenter de s’emparer de gains politiques. La scène israélienne interne est d’une certaine manière divisée. Le tout est de savoir si ces pressions conduiront à la dissolution du gouvernement ou de la coalition. A mon sens, non, parce que cette coalition de droite a des intérêts communs, ce qui pousse Netanyahu à se lancer dans des manoeuvres politiques ; il s’engage pour la ligne dure avec le mouvement de droite, cela renforce la cohésion du mouvement. Toutefois, les pressions de la rue israélienne convergent avec celles internationales et régionales et affectent la légitimité de la coalition elle-même dans la poursuite de la guerre. C’est pourquoi Netanyahu a cherché à surmonter ce problème au début de la guerre contre Gaza en formant un cabinet de guerre et non un gouvernement d’union qui comprend des partis de l’opposition, dont seul est resté le parti du Camp national dirigé par Benny Gantz et Gadi Eisenkot, notamment après le retrait du chef du parti Nouvel Espoir, Gideon Sa’ar. Le parti de Gantz est devenu le seul parti à représenter l’opposition. Récemment, les déclarations du ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, contre le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, l’accusant de ne pas avoir réussi à gérer la guerre et affirmant s’opposer au modèle de régime militaire dans la bande de Gaza ont été suivies d’une escalade parallèle de la part de Benny Gantz qui a soutenu la position de Gallant et ses déclarations, menaçant Netanyahu de se retirer du gouvernement s’il ne respectait pas les conditions dans un délai maximum allant jusqu’au 8 juin. Ce sont autant de défis auxquels est confronté le cabinet de guerre et qui pourraient conduire à son effondrement. Par contre, cela n’affectera pas la légitimité de la coalition gouvernementale qui est liée à des calculs internes au sein de la coalition elle-même.
— Selon vous, dans quelle mesure l’opposition peut-elle réussir à évincer Netanyahu ?
— Oui, l’opposition constitue une pression, mais quelle est l’ampleur de cette pression ? Quel est son effet ? Un renversement du gouvernement actuel n’est possible qu’en cas de désaccord interne au sein de la coalition. Cependant, si nous regardons la carte des partis de cette coalition, ils sont tous des partis de droite, y compris celui de l’opposition de Benny Gantz, afin de donner l’impression que tous les segments de la rue sont inclus et non seulement l’extrême droite. Il convient également de noter que le communiqué de Benny Gantz est avant tout une déclaration électorale, car tous les sondages indiquent qu’il est le plus susceptible de remporter les élections. L’opposition exerce une pression sur Netanyahu en critiquant la guerre et sa gestion, mais son influence reste insuffisante pour renverser la coalition.
— Pensez-vous que la prolongation de la guerre devienne la seule raison pour le maintien au pouvoir du gouvernement israélien ?
— En principe, prolonger la guerre renforce la cohésion de la coalition gouvernementale israélienne et lui confère une légitimité pour perdurer. Bien entendu, l’objectif de la prolongation du conflit jusqu’à atteindre un point de victoire, que Netanyahu met en avant dans ses discours politiques mais dont la réalité est douteuse, lui accorderait une marge de manoeuvre politique. En effet, il refuse jusqu’à présent d’aborder le scénario post-guerre au sein du cabinet de guerre, préférant prolonger le conflit sur la scène politique le plus longtemps possible. Ses motivations sont d’ordre électoral : il estime qu’une guerre prolongée permettrait d’accroître les chances de sa coalition lors de futures élections, tout en atténuant les pressions et les critiques qui surgiront à l’issue du conflit à Gaza.
— Mais la guerre finira un jour. Quel est le plan de Netanyahu pour le scénario de l’après-guerre ?
— Netanyahu refuse de fixer un plafond à son action au lendemain de la guerre, car s’il ne le respecte pas ou n’y parvient pas, il est obligé de déclarer son échec ou de s’engager dans une voie politique qu’il ne veut pas. Il cherche constamment à prolonger la guerre en s’appuyant sur le facteur chance et les changements de circonstances en sa faveur pour parvenir à une situation lui permettant de déclarer sa victoire. D’après toutes les données disponibles sur le terrain, il est clair qu’il n’a pas atteint ses objectifs.
— Malgré les pressions de Washington qui embarrassent Netanyahu …
— Avec la poursuite des opérations militaires, dont la plus récente « le massacre des tentes », aucun signe ne montre que Netanyahu s’engage sérieusement dans le processus de négociations. L’annonce par Israël d’un retour aux négociations vise en réalité à apaiser les tensions en Israël, où les protestations des familles de prisonniers israéliens s’intensifient. Il instrumentalise donc les négociations à des fins politiques. La situation actuelle confirme que le négociateur israélien ne fera preuve d’aucune flexibilité durant les négociations. En réalité, il s’agit d’une manoeuvre destinée à gagner du temps et à renforcer son image politique, tant au niveau national qu’international. Netanyahu cherche ainsi à détourner les critiques concernant son manque d’intérêt pour le sort des prisonniers et à rejeter la responsabilité de l’impasse sur le Hamas.
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