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Ghannam Ghannam : Le conteur de l’Histoire

May Sélim, Mercredi, 05 juin 2024

Comédien, dramaturge, metteur en scène palestinien et membre du secrétariat général de l’Institut du théâtre arabe (ATI), Ghannam Ghannam porte la nationalité jordanienne et vit aux Emirats arabes unis. Pour lui, le théâtre est un moyen de faire parler de la cause palestinienne.

Ghannam Ghannam
(Photo : Ahmed Abdel-Hamid)

Ghannam Ghannam vient de présenter son monodrame Bi Om Aïni 1948 (témoin oculaire de 1948), au Caire et à Kébili en Tunisie. Dans une ambiance tamisée, il émerge parmi les rangs du public, portant un chapeau sur la tête et un keffieh palestinien sur les épaules. Il salue les spectateurs comme s’il avait affaire à de vieux amis et leur souhaite une bonne soirée.

Sur scène, il traîne ses souvenirs relatifs à la vie quotidienne en Palestine. Il use de ses expériences personnelles pour poser tant de questions sur la situation où se trouve aujourd’hui son pays d’origine. « Bi Om Aïni est un spectacle né après ma dernière visite à ma terre natale en 2017. J’étais à Ramallah pour animer une série d’ateliers sur le théâtre scolaire et représenter une pièce intitulée : Je mourrai en exil. Pendant deux semaines, j’ai travaillé à Ramallah sans me rendre chez mes deux filles qui habitent dans les territoires occupés, ni visiter mon village natal. Car j’ai refusé d’avoir un visa israélien sur mon passeport. J’ai vécu en Jordanie avec mes enfants. Ensuite, j’ai divorcé et mon ex-femme s’est installée en Palestine. En 2004, mes filles ont choisi d’aller vivre aux côtés de leur mère, et elles se sont mariées là-bas, ont donné naissance à mes petits-enfants, et je n’ai pas pu les rejoindre, à aucun moment », confie-t-il. Et d’ajouter : « Pendant ce séjour passé à Ramallah, j’ai dit à mes proches que je voulais voir mes filles. Le lendemain, une amie à la famille m’a proposé d’y aller en cachette. Alors, j’ai passé une semaine avec elles et j’ai ramené du sable de chez moi dans une bouteille ».

Dans son monodrame, il évoque justement ce voyage. De temps en temps, il interroge l’occupant à haute voix : « Mais où es-tu ? », affirmant que toutes sortes d’attaques ne pourront pas empêcher les Palestiniens de vivre. « Vous avez vu les nuits de noces célébrées, sous les bombardements, dans les camps de réfugiés à Gaza ? », lance-t-il avec fierté.

Ghannam se vante de la force de son peuple, défiant la mort. Lui aussi, il a été un enfant qui a grandi dans les camps de réfugiés, mais en Jordanie. Il trouve que son devoir est de raconter.

Il se rappelle les spectacles de rue qu’il a vus, encore enfant à Jéricho. Ils étaient interprétés et montés par Abou Amin, Hassan, Abou Zaker et Abou Zakia. C’étaient les narrateurs que le petit Ghannam suivait d’un endroit à l’autre. « J’étais moi-même le petit narrateur de la famille et du quartier. Dans ma ville, il y avait trois cinémas : Rivoli, Ramsès et Hicham. J’aimais le cinéma. Je n’avais pas assez d’argent pour voir six films par semaine, alors le vigile me laissait parfois entrer gratuitement car j’étais le fils d’Abou Fahim. Mon père était bien connu dans l’entourage. De retour à la maison, je jouais au narrateur, devant ma mère et ses amies. Je leur racontais les films que j’ai vus au cinéma. Je chantais aussi pour elles. Ceci m’a donné confiance en moi ».

A l’école, il brillait dans les activités artistiques, notamment le chant et le théâtre. Il a même remporté le prix du meilleur comédien dans le concours du théâtre scolaire à Jérusalem. « Dans ma tête, j’étais un comédien ! ».

Mais à la suite de la défaite de 1967, la famille Ghannam a été déplacée à Amman, puis à Jerash. « J’étais le seul réfugié de l’école ! Et je me posais la question : comment vais-je défendre mon existence ? Comment puis-je me présenter ? Le théâtre était toujours la réponse. A l’âge de 13 ans, un an après mon installation dans ce nouveau pays, les professeurs ont reconnu en moi un élève des plus doués. Ils me confiaient la programmation des cérémonies de la fin d’année ». A 15 ans, l’adolescent a signé ses premières mises en scène, données dans les différents lycées. Il faisait aussi du théâtre au centre de la jeunesse.

« En tant que réfugié, issu d’une famille pauvre, je n’ai pas eu le luxe de faire des études de théâtre. Suivant les conseils de ma mère, j’ai rejoint la seule faculté admettant des réfugiés à l’époque, à savoir la faculté de Wadi Al-Sir, offrant un cursus de formations techniques. Dès mon premier jour à la faculté, j’ai été attiré par le panneau signalant l’existence d’une activité théâtrale ». Le matin, Ghannam étudiait sérieusement, et le soir, il faisait du théâtre. « J’ai eu la chance de rencontrer alors Hani Abou Gharib, une star du théâtre jordanien qui m’a initié à lire des ouvrages sur le jeu du théâtre et la mise en scène, surtout ceux de l’érudit égyptien Al-Deriny Khachaba », se rappelle-t-il. Et de poursuivre : « Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai travaillé dans les chantiers de construction et je gagnais beaucoup d’argent. J’aidais ma famille jusqu’à ce que mon jeune frère ait terminé ses études. Ensuite, j’ai quitté le travail pour m’adonner corps et âme au théâtre ».

En Jordanie, il a fondé sa première troupe théâtrale d’amateurs, s’est présenté sur scène en tant que comédien, puis deux ans plus tard, en tant que dramaturge, et un an après en tant que metteur en scène.

En 1991, il a participé avec son ami le metteur en scène Khaled El Tareefi au Festival du théâtre expérimental du Caire avec la pièce Man Honak ? (qui est là ?). « Durant cette édition, j’ai été impressionné par un spectacle allemand où le public entourait le comédien, formant un cercle. Il me rappelait les cercles des conteurs traditionnels du Hakawaty que j’avais l’habitude de fréquenter à Jéricho. J’ai découvert la magie de la disposition en cercle à partir de ce moment-là ».

Après la présentation de Antar Zamano et le tigre en 1994, Ghannam a misé dans ses spectacles sur les formes de divertissement populaire. Il a même évoqué son expérience dans deux essais intitulés Le théâtre pour tous, et Le spectacle populaire. « En 2007, j’ai osé présenter mon premier monodrame, Ana Lah Habibi que j’ai écrit et monté moi-même, et qui a été interprété par El Tareefi. J’ai essayé de me débarrasser de tous les éléments superflus dans cette oeuvre qui a eu un grand succès. Elle offrait un jeu ouvert devant le public, durant lequel le comédien contrôle l’éclairage, le décor … ».

En 2009, le metteur en scène Yéhia Al- Bechlawy lui a demandé de jouer dans Retour à Haïfa, d’après l’oeuvre éponyme de Ghassan Kanafani, datant de 1968. « J’ai accepté à condition de la présenter sous la forme d’un cercle. Et j’en ai fait une adaptation contemporaine », précise-t-il. En 2010, le spectacle a été donné en coopération avec Lina Abyyad à Beyrouth. Il a été présenté 52 fois dans une nouvelle adaptation. « A l’aéroport, j’ai entendu : Egypt Airlines annonce le départ de son vol vers Le Caire. J’ai remarqué un Egyptien costaud qui parlait à un membre de sa famille au téléphone portable, le priant d’emmener tous ses parents pour qu’il puisse les serrer dans ses bras. Je me suis posé la question : y aurait-il un jour une compagnie aérienne palestinienne, annonçant les horaires de ses vols dans le haut-parleur ? Pourrais-je par la suite serrer les miens dans les aéroports du monde ? Cette réflexion m’a inspiré l’idée du monodrame Je mourrai en exil ». Les trois monodrames, Retour à Haïfa, Je mourrai en exil et Témoin oculaire de 1948 forment une trilogie sur la Palestine.

Pour lui, l’exil constitue une sorte d’oppression. Il a voulu en faire part dans son texte afin de se débarrasser de son fardeau. « Pour alléger l’ensemble, j’ai misé uniquement sur la relation entre le comédien et le public ».

En 2011, Ghannam Ghannam s’installe aux Emirats arabes anis en tant que membre du secrétariat général de l’ATI, lui qui favorise toutes les formes de coopération artistique régionale.

Pour octobre prochain, il prépare Fatma Al-Hawary la Tossaleh (Fatma Al-Hawary ne fait pas la paix). « Je suis en train de préparer un récit narrant l’histoire d’une femme, victime des attaques israéliennes, qui a refusé d’accepter le pardon de son agresseur. J’ai découvert son histoire durant mon dernier séjour en Palestine en 2017. J’ai déjà terminé l’écriture, et je compte présenter la pièce en octobre prochain, avec les comédiens Ahmed Al-Omri de Jordanie et Amany Belagie de Tunisie », conclut l’homme de théâtre qui a pris sur lui de défendre la Palestine.

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