Al-Ahram Hebdo : Que pensez-vous de la déclaration du Conseil des ministres, qui qualifie la confrérie d’« organisation terroriste » ?
Réda Yacoub : Cette déclaration, qui est arrivée trop tard, reste incomplète. Cette décision gouvernementale n’est pas référencée et elle n’a pas non plus été publiée au journal officiel. Ce qui est aussi étonnant c’est que ce n’est pas Hazem Al-Beblawi qui a annoncé cette décision, mais le ministre de la Recherche scientifique, Hossam Eissa. Je pense qu’Al-Beblawi craint de subir le même sort que le premier ministre Al-Nokrachi, assassiné par les Frères musulmans en 1948 après sa décision de dissoudre la confrérie. Déjà, Al-Beblawi traîne dans l’exécution du verdict de septembre dernier concernant le gel des avoirs de la confrérie. A mon avis, c’est un gouvernement inefficace qui fait reposer ses torts sur les actes terroristes.
— Du point de vue juridique, quel est le poids de cette déclaration ?
— Cette déclaration n’est qu’une manoeuvre politique visant seulement à calmer la colère des Egyptiens, puisqu’elle manque de tout mécanisme législatif concernant sa mise en oeuvre. Il ne s’agit que d’une déclaration et non d’un décret. Les décisions administratives n’engagent nullement la justice pénale. Il est vrai que l’article 86 du code pénal, auquel la déclaration fait référence comme base légale, criminalise l’acte terroriste, mais ne réglemente pas la façon de qualifier un groupe de « terroriste ». Cette déclaration ne donne aucun pouvoir à la police ou à l’armée pour réagir immédiatement. Elles ne pourront le faire qu’après de longues investigations.
— Que doit faire le gouvernement pour contrer le terrorisme ?
— L’étape la plus importante, et que le gouvernement évite toujours de prendre, est de s’adresser le plus vite possible au comité contre le terrorisme des Nations-Unies. Guidé par les résolutions 1373 et 1624 du Conseil de sécurité, ce comité s’emploie à renforcer la disposition des Etats membres des Nations-Unies à empêcher les actes terroristes à l’intérieur de leurs frontières et dans l’ensemble d’une région. Et cela à travers une assistance technique, en fournissant à l’Egypte par exemple des appareils sophistiqués pour détecter des explosifs.
Geler les fonds des Frères musulmans et suivre leur déplacement d’un pays à l’autre, c’est simple. Il suffit de déposer devant ce comité un inventaire complet de tous les crimes commis par les Frères musulmans durant les derniers mois, ainsi que le verdict concernant le gel des activités de la confrérie. Suivre ces étapes forcera le Conseil de sécurité à inclure les Frères musulmans sur la liste mondiale des organisations terroristes.
— Et comment jugez-vous la démarche du gouvernement appelant à activer l’accord de lutte contre le terrorisme avec les pays arabes ?
— Cette démarche ne sert à rien. Comment peut-on s’attendre à ce que des pays tels que le Yémen, l’Algérie ou la Libye nous aident à combattre le terrorisme, alors qu’eux-mêmes en souffrent ? L’essentiel serait de geler les activités extérieures des Frères musulmans. Leurs fonds sont étendus à divers pays européens, comme notamment la Suisse et l’Allemagne.
— Comment le terrorisme a-t-il évolué au fil du temps ?
— Les Frères musulmans ont eu recours à deux genres de terrorisme. Ils ont commencé par ce qu’on appelle « le terrorisme stratégique » : il s’agit d’essayer de faire pression pour le retour du président déchu Morsi en recourant à la violence et à l’intimidation des Egyptiens, comme par exemple l’incident de Kerdassa. Ce terrorisme stratégique des Frères a échoué, c’est pourquoi ils ont recouru à un « terrorisme tactique ». Il s’agit de provoquer des explosions d’un endroit à l’autre. Et c’est la stratégie que suivent les Frères actuellement pour terroriser le peuple. A l’approche du référendum sur la Constitution, le terrorisme augmentera.
— Pourtant, la plupart des opérations terroristes ont été revendiquées par d’autres groupes terroristes comme Ansar Beit Al-Maqdes (partisan de Jérusalem) …
— Il existe une relation au niveau idéologique et tactique entre les Frères musulmans et les organisations terroristes dites « djihadistes » qui sont présentes sur le territoire égyptien. Et plus précisément, avec celles d’Ansar Beit Al-Maqdes, qui prend pour cible la police et l’armée. Il suffit de dire que Morsi, alors au pouvoir, a peuplé le Sinaï avec 24 organisations terroristes qui font partie d’Al-Qaëda et 8 autres liées au Hamas. Ce sera donc un coup dur pour ces organisations de voir inscrits les Frères musulmans sur la liste mondiale du terrorisme.
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