Le gouvernement a gelé les avoirs de 1 055 ONG et associations caritatives en lien avec les Frères musulmans.
Des milliers de citoyens, effrayés par la décision du gouvernement de geler les avoirs des associations caritatives, ont organisé un sit-in au Caire, devant le siège principal d’Al-Gameiya Al-Chareiya, la plus connue de ces ONG.
« Je ne sais pas comment je vais me débrouiller. Des responsables de l’hôpital d’Al-Gameiya Al-Chareiya m’ont appelé pour me demander de venir reprendre mon petit-fils orphelin de sa couveuse suite à la décision du gouvernement alors que l’enfant a besoin de plusieurs jours de plus dans la couveuse. L’hôpital des forces armées m’a demandé 300 L.E. par jour pour accepter le bébé et un autre a demandé 500 L.E. », crie oum Ahmad, une femme de 62 ans. Veuve et mère de 7 enfants, oum Ahmad n’a pas reçu sa pension mensuelle d’Al-Gameiya Al-Chareiya.
La scène s’est répétée devant plusieurs filiales d’Al-Gameiya Al-Chareiya dans différents gouvernorats. Al-Gameiya Al-Chareiya des serviteurs d’al-sunna al-mohamadiya est la plus importante et la plus célèbre des associations caritatives concernées par la décision du gouvernement d’Al-Beblawi. Fondée en 1913, elle dispose aujourd’hui 1 100 filiales à travers le pays, sans compter ses 6 000 mosquées. L’association possède aussi plusieurs hôpitaux et centres médicaux dans presque tous les gouvernorats et toutes les villes d’Egypte.
« Notre ONG se porte garante de plus de 430 000 orphelins et environ un million de familles sans soutien, musulmans et chrétiens. Notre travail se situe dans le domaine religieux et social, et nous n’avons aucune relation avec la politique », explique le cheikh Mohamad Mokhtar Al-Mahdi, président d’Al-Gameiya Al-Chareiya et membre du conseil des grands oulémas d’Al-Azhar.
La décision de geler les avoirs de 1 055 ONG a été prise cette semaine à l’issue d’une réunion ministérielle extraordinaire. Ces 1 055 ONG sont accusées de liens avec la confrérie des Frères musulmans qui vient d’être classée organisation terroriste. Pour certains, ces associations étaient des « outils de propagande » pour la confrérie. Comme l’explique Nasser Amin. « Le gouvernement a le droit d’enquêter sur les activités de ces associations, car s’il est vrai que certaines travaillent réellement dans le domaine caritatif, d’autres sont utilisées par les Frères comme paravent à des activités illégales », affirme-t-il.
Le tribunal des référés avait interdit le 23 septembre dernier les activités de la confrérie, et celles de toute organisation y affairant. « Mais qui a dit que ces 1 055 ONG relèvent de la confrérie ? Du point de vue juridique, cette décision est illégale, parce qu’elle ne se réfère pas à un jugement. Le gouvernement d’Al-Beblawi prend des décisions précipitées », souligne Gamal Eid, avocat et directeur du Réseau arabe d’informations sur les droits de l’homme.
Le ministre de la Solidarité sociale, Ahmad Al-Boraei, a, de son côté, affirmé que la tâche de vérifier si les associations appartiennent ou non à la confrérie des Frères musulmans incombe aux services de sécurité. « L’Etat applique des mesures pour protéger la société », a-t-il dit.
Les avoirs des ONG nationalisés
La liste « noire » renferme donc 1 055 ONG égyptiennes et associations caritatives. Outre Al-Gameiya Al-Chareiya, des associations telles qu’Al-Sunna al-mohamadiya, Dar Al-Fath, Al-Nour wal amal et Al-Gameiya al-khayriya al-islamiya sont également concernées par la décision du gouvernement. Bank Al-Taam (la banque de la nourriture) était également sur la liste, mais elle a été levée après que les autorités s’étaient assurées de son indépendance de la confrérie. Les 1 055 associations ont un facteur commun. Elles ont toutes un caractère islamique. Elles possèdent des mosquées, des hôpitaux et des écoles.
En pratique, la décision de l’Etat signifie que tous les avoirs mobiliers, immobiliers et les comptes bancaires de ces associations soient saisis. « Cette décision néglige le rôle essentiel joué par ces associations caritatives dans la société égyptienne. Ces ONG sont fondamentales pour la vie d’une partie non négligeable de la population. Elles rendent de nombreux services en matière de santé et d’éducation. Elles ont toujours été présentes là où l’Etat était absent », estime Gamal Eid.
En Egypte, l’activité caritative est notamment dominée par les associations religieuses, musulmanes ou chrétiennes. Les trois dernières décennies ont connu une extension des activités des ONG islamiques à cause notamment d’un désengagement du gouvernement dans le domaine des services sociaux de base.
Quelle alternative le gouvernement transitoire peut-il présenter à ces associations caritatives ? Le ministre de la Solidarité sociale a déclaré que le gel des avoirs de ces ONG n’affectera pas les pauvres qui en dépendent. « Les biens de ces ONG seront gérés par l’Etat. Les hôpitaux et les centres médicaux passeront sous la tutelle du ministère de la Santé. Les associations caritatives et les écoles seront rattachées aux ministères des Affaires sociales et de l’Education », annonce Al-Boraei.
Le ministre des Waqfs (biens religieux) a décidé de faire passer les mosquées des ONG sous sa tutelle. Sous la gestion du gouvernement, ces associations recevront-elles les mêmes dons ? Ou bien le gouvernement va assumer des charges financières supplémentaires étant donné la crise que connaît le pays actuellement ?
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