L’édition 2024 a été marquée par le retour de cinéastes légendaires tels Francis Ford Coppola, Paul Schrader et David Cronenberg, par la présence de réalisatrices de grand talent telles Andrea Arnold, Coralie Fargeat et Payal Kapadia, ainsi que par le retour de certaines valeurs sûres tels Sean Baker, Jacques Audiard et Yorgos Lanthimos.
La compétition a offert cette année beaucoup d’espaces à un cinéma agressif et bruyant. On peut y lire le reflet d’une époque abattue et tourmentée, ou l’ambition d’auteurs qui cherchent à tout prix à attirer l’attention sur leurs oeuvres.
En outre, le festival a fait la part belle au cinéma américain et aux septuagénaires : Meryl Streep Palme d’honneur à 77 ans, Richard Gere montée des marches avec son film à 74 ans, ainsi qu’aux octogénaires : les 80 ans de George Lucas, aussi Palme d’honneur, mais évidemment Francis Ford Coppola, l’un des rares cinéastes doublement Palme d’or, venu cette année à la Croisette à 85 ans ! Le jury, par contre, a offert la grande majorité des prix aux jeunes et aux nouveaux talents.
On se demandait en fait si le jury, présidé par une jeune réalisatrice, Greta Gerwig, et regroupant des comédiens phares représentant la nouvelle génération : Omar Sy, Pierfrancesco Favino, Eva Green et Lily Gladstone, aurait le courage de récompenser des artistes peu reconnus, mais qui ont donné un peu de relief à une compétition qui n’a pas vraiment offert de véritables perles cinématographiques. Et en fin de compte, on n’a pas été déçus. Car la Palme d’or a été décernée à Sean Baker pour Anora, mettant en lumière le talent d’un auteur américain, réaliste et indépendant, ayant une courte filmographie.
En fait, c’est un Américain qui a remis la Palme d’or à un autre Américain ! Symbole assuré d’une 77e édition cannoise, placée sous le sceau du cinéma d’outre-Atlantique. George Lucas, tout juste auréolé d’une Palme d’honneur, a transmis la récompense suprême à son compatriote, Sean Baker. A 53 ans, ce chef de file du cinéma indépendant a mis le jury d’accord avec Anora, sorte de thriller aussi drôle que touchant, se déroulant à New York. « Un film magnifique, rempli d’humanité, qui nous a brisé le coeur », a dit Greta Gerwig, présidente du jury. Une trame à la Pretty Woman moderne, un conte de fées dans le milieu de la nuit et du sexe qui consacre le cinéma du réalisateur américain.
Avec ce film, le jury célèbre un thriller new-yorkais qui passe des bas-fonds aux villas de luxe des oligarques russes. Ce conte à la Cendrillon version 2024 est servi par une révélation, l’actrice Mikey Madison, dans le rôle d’une travailleuse du sexe. Il offre à Hollywood sa première Palme d’or depuis 13 ans et The Tree of Life de Terrence Malick.
Le Grand Prix du festival a été remporté par All We Imagine As Light de Payal Kapadia, le premier film indien présenté en compétition à Cannes depuis 30 ans. Film doux, tendre et lumineux, il raconte l’amitié et la solidarité entre trois femmes qui s’épaulent dans un monde patriarcal. Sa réalisatrice avait déjà remporté l’OEil d’or, saluant le meilleur documentaire sur la Croisette, en 2021 avec A Night of Knowing Nothing.
Il s’agit dans ce film de Prabha, une infirmière à Mumbaï qui voit son quotidien bouleversé lorsqu’elle reçoit un cadeau de la part de son mari qu’elle n’a pas vu depuis des années. De son côté, Anu, sa jeune colocataire, cherche en vain un endroit dans la ville pour partager un peu d’intimité avec son fiancé. A l’occasion d’un séjour dans une station balnéaire, elles se trouvent donc face à leurs désirs qu’elles cherchent à exprimer.
Un vrai coup de coeur !
Le Prix du Jury a récompensé le film Emilia Perez de Jacques Audiard, en le qualifiant de « l’un des coups de coeur » de cette édition. Le cinéaste français ajoute ainsi un nouveau prix à sa collection cannoise après avoir déjà reçu un Prix du scénario en 1996 pour Un héros très discret, un Grand Prix en 2009 pour Un prophète et une Palme d’or en 2015 pour son film Dheepan.
Il s’agit ici de Rita qui, surqualifiée et surexploitée, use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle : aider le chef de cartel Manitas à se retirer des affaires et à réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être.
En outre, le jury a offert au film un autre prix assez spécial. Sur la scène du Grand Théâtre Lumière, Karla Sofía Gascon a reçu pour ses partenaires Zoe Saldana, Selena Gomez et Adriana Paz un Prix Collectif d’Interprétation féminine.
Absent lors de la soirée du palmarès, l’acteur américain de 36 ans, Jesse Plemons, a reçu, quant à lui, le Prix de la meilleure interprétation masculine pour ses rôles dans Kinds of Kindness de Yorgos Lanthimos. Si le film n’est pas à la hauteur des précédents du réalisateur grec, sa prestation est remarquable. Le film est une fable en trois parties, suivant un homme sans choix, qui tente de reprendre le contrôle de sa vie.

L’équipe du documentaire égyptien Les Filles du Nil reçoit l’OEil d’or.
Palme de la liberté
Mohamad Rasoulof reçoit un prix spécial du jury qui fait écho à la situation en Iran, mais plus largement dans le monde, pour son film Les Graines du figuier sauvage. Il lui a fallu 28 jours pour rejoindre le Festival de Cannes, alors qu’une peine de cinq ans de prison et de flagellation était annoncée à son encontre par le régime de son pays. Son film, Rasoulof présente un Téhéran secoué par des troubles politiques et sociaux. Un juge d’instruction, Iman, découvre que son arme a disparu, il soupçonne sa femme et ses filles, imposant des mesures draconiennes qui mettent à rude épreuve les liens familiaux.
Le Prix du meilleur scénario a récompensé un film-choc du festival, à savoir : The Substance, de la réalisatrice française Coralie Fargeat. Ce film d’horreur féministe, version dite « trash de Barbie », dénonce le culte du corps et de la jeunesse dans les chaînes de télé. Grâce à une étrange substance, une comédienne âgée, interprétée par Demi Moore, parvient à créer son double jeune. L’oeuvre pose donc la question : est-ce possible de générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite ?!
Par ailleurs, le jury du Prix l’OEil d’or, prix du meilleur documentaire présenté à Cannes, décerné par le festival et par la SCAM (Société des auteurs multimédia) a été attribué au documentaire égyptien Rafaat Aïni lil Sama (les filles du Nil) de Nada Riyadh et Ayman Al-Amir, projeté dans la section Semaine de la Critique. Une récompense partagée avec un autre documentaire haïtien Ernest Cole, photographe de Raoul Peck.
Le film égyptien suit une bande de jeunes filles de la Haute-Egypte, montant dans leur village très conservateur une troupe de théâtre de rue pour se faire entendre (voir article Al-Ahram Hebdo no1522).
Norah de Tawfik Alzaidi, le premier film saoudien à participer à la section Un Certain Regard, a remporté une mention spéciale du jury. Il raconte les tentatives d’émancipation d’une jeune fille qui étouffe sous le poids des traditions et de la religion dans un village bédouin.
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