Al-Ahram Hebdo : Quelle est la signification, selon vous, des récentes manifestations étudiantes aux Etats-Unis en protestation contre la guerre génocidaire menée par le gouvernement Netanyahu à Gaza ?
Dr Jalal Qayyama : Plusieurs facteurs ont conduit à cette situation unique dans l’histoire de la société américaine et de ses relations avec Israël. Le rôle des réseaux sociaux depuis le 7 octobre dernier joue pour beaucoup. Les réseaux sociaux ont fait que chaque citoyen palestinien est devenu un média à part entière loin des salles de rédaction traditionnelles des médias et leurs mensonges. Ces derniers, contrôlés par le lobby sioniste et les membres du Capitole avec ses deux chambres, contrôlaient la société américaine pour de longues décennies. Les réseaux sociaux ont montré aux étudiants américains la fausseté des informations propagées dans les médias traditionnels. La jeunesse américaine a compris que la guerre à Gaza n’est pas une guerre de légitime défense comme le prétend Israël, mais une vraie guerre d’extermination qui a fait des dizaines de milliers de victimes, pour la plupart des femmes, des vieillards et des enfants. Ainsi, les contribuables américains ont découvert qu’ils payaient les armes destructrices fournies par le gouvernement américain à Israël. D’où ces soulèvements qu’on a vus dans les universités américaines pour protester contre la barbarie israélienne à Gaza et contre le soutien illimité fourni par le gouvernement américain à Israël.
Rappelons que les médias traditionnels américains ont pour longtemps véhiculé l’image d’un Israël en détresse et qui est amené à se défendre dans un environnement hostile.
Il convient de noter que ces protestations ont été menées par des étudiants d’universités prestigieuses dont Columbia, Yale, New York et Harvard, qui appartiennent toutes à l’Ivy League, qui regroupe les universités les plus célèbres, les plus anciennes et les plus prestigieuses des Etats-Unis et du monde.
L’Ivy League ou Top 10 comprend les dix meilleures universités américaines. Elles étaient les premières à protester avant d’être rejointes par d’autres établissements aux Etats-Unis et en Europe. Ces protestations se poursuivent encore en dépit de la violence policière. Les étudiants érigent des tentes sur les campus universitaires et exigent la fin de la guerre à Gaza, l’arrêt de la coopération entre les universités et les institutions éducatives israéliennes et le désinvestissement dans les entreprises qui soutiennent Israël. Ce mouvement étudiant est alimenté par un courant qui a émergé aux Etats-Unis et qui réclame que le pays ne soit plus tributaire d’Israël et exige l’arrêt du soutien financier américain à l’Etat hébreu.
La jeune génération aux Etats-Unis n’est pas soumise aux pressions politiques et financières que le lobby juif exerce sur les personnalités politiques et les membres du Congrès. Elle veut que les universités et le gouvernement américains se libèrent de ces pressions et prêtent attention à la réalité.
A ce jour, les manifestations se sont étendues à plus de 75 universités américaines, mais aussi à d’autres universités occidentales, notamment en Europe du Nord et au Canada, ce qui explique pourquoi les autorités américaines ont cherché à réprimer ces manifestations en répondant aux demandes du gouvernement israélien dirigé par Benyamin Netanyahu.
— Ces protestations sans précédent depuis la guerre du Vietnam auront-elles un impact réel sur la politique américaine au Moyen-Orient totalement alignée sur Israël ?
— Il ne fait aucun doute que ces mouvements étudiants ont provoqué un léger changement dans la position de l’Administration Biden, qui a fourni un soutien illimité au gouvernement extrémiste de Netanyahu dans sa guerre inhumaine et génocidaire. Une guerre qui a détruit les hôpitaux et les lieux de culte, assiégé les civils et utilisé la faim comme arme de guerre contre la population palestinienne isolée. L’Administration Biden a commencé à critiquer le gouvernement Netanyahu et à exercer des pressions sur lui, même s’il s’agit de critiques de pure forme. Biden a arrêté une cargaison d’armes et de munitions qui se dirigeait vers Tel-Aviv. L’Administration américaine a fait également pression sur le gouvernement Netanyahu pour l’empêcher de procéder à une invasion de Rafah et l’amener à accepter une trêve et à arrêter la guerre à Gaza en échange de la libération des otages et des prisonniers des deux côtés. Notons ici que la position de l’Administration Biden était nettement plus alignée sur Israël au début de la guerre et qu’elle a utilisé son droit de veto au Conseil de sécurité pour empêcher l’arrêt de la guerre.
— Existe-t-il, selon vous, d’autres raisons qui ont conduit à cet état de colère contre Israël parmi les jeunes Américains ?
— Je pense que l’une des raisons les plus importantes est que le récit israélien sur les événements du 7 octobre a été un fiasco. De même, toutes les tentatives israéliennes visant à diaboliser la résistance palestinienne en l’accusant de décapiter des enfants, de violer des femmes et d’agresser les civils ont échoué. Les réseaux sociaux ont permis aux personnes impartiales de réfuter ces récits fabriqués de toutes pièces avec des preuves à l’appui. C’était un coup porté aux Israéliens. Soulignons aussi les pratiques barbares de l’occupation israélienne qui a bombardé et pris d’assaut des hôpitaux, détruit des écoles et des mosquées. Des organisations humanitaires ont même été prises pour cible. Les images des massacres contre les enfants et les femmes inondaient les médias. Tous ces facteurs ont fait que l’opinion publique s’est retournée contre l’occupation.
— Comment évaluez-vous la réaction de l’Administration Biden à ces protestations étudiantes, notamment à l’approche de la prochaine élection présidentielle prévue en novembre ?
— L’année en cours est une année électorale, car l’Administration américaine est occupée par les élections, non seulement la présidentielle, mais aussi celles de la Chambre des représentants, du Congrès, de l’administration locale et d’autres échéances électorales. Le monde s’intéresse à l’élection présidentielle et ce n’est un secret pour personne que l’AIPAC (ndlr : l’American Israel Public Affairs Committee est un lobby créé en 1963 aux Etats-Unis visant à soutenir Israël) ou le lobby juif à l’intérieur des Etats-Unis a toujours une grande influence qui pousse les candidats au poste de président à travailler pour lui. Les autorités américaines n’ont eu d’autre choix que d’utiliser les lois de prévention de l’antisémitisme pour réprimer, arrêter et effrayer les manifestants en considérant que les camps mis en place sur les campus des universités sont illégaux et qu’ils incitent à la haine raciale. En dépit de tout cela, les tentatives de disperser les sit-in par la force à l’Université de Columbia n’ont pas réussi, mais ont plutôt conduit à une augmentation du nombre de manifestants et à l’expansion du mouvement à d’autres universités américaines, ce qui indique qu’il y a un changement profond au sein de la société américaine qui tend à rejeter les récits sionistes et appelle à se soustraire à la pression des lobbies, d’autant que le gouvernement d’occupation poursuit sa politique d’assassinat et de prise pour cible des civils dans la bande de Gaza et ignore les demandes de l’Administration américaine. Malgré cela, ce dont les universités américaines ont été récemment témoins confirme que l’emprise du lobby juif, qui avait un pouvoir sur les médias et la société américaine, s’est affaiblie.
— Les minorités ont-elles joué un rôle dans les manifestations de solidarité avec Gaza et la cause palestinienne ?
— Oui, ces minorités ont une forte présence au sein de l’Administration américaine, au Congrès et à la Chambre des représentants, et sont apparues avec force après l’échec de l’Administration Biden et du Parti démocrate à gérer dossier de la guerre en Ukraine et leur soutien illimité à ce pays qui a coûté aux Etats-Unis des dizaines de milliards de dollars et qui n’a rien donné jusqu’à présent. Même chose dans le dossier de la guerre israélienne à Gaza et le soutien illimité de l’Administration Biden à Tel-Aviv qui n’a rien donné.
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