Vendredi, 11 octobre 2024
Al-Ahram Hebdo > Panorama africain >

Mohamadou Labarang : Il est crucial d’abolir les frontières entre les pays africains

May Atta , Mercredi, 22 mai 2024

A l’occasion de la commémoration du 52e anniversaire de l’Etat Unitaire du Cameroun, l’ambassadeur camerounais au Caire, S.E. M. Mohamadou Labarang, revient sur les principaux défis et opportunités de l’Afrique et les relations avec l’Egypte.

Mohamadou Labarang
(Photo : Ahmad Agamy)

Al-Ahram Hebdo : Dans le cadre de la célébration du 52e anniversaire de l’Etat Unitaire du Cameroun, quelles sont les leçons que le pays a tirées de son expérience de développement ?

Mohamadou Labarang : La première chose que le Cameroun a tirée du développement, c’est qu’il faut être autosuffisant. Autosuffisant en alimentation. Nous avons pensé que l’important était de développer une agriculture diversifiée : une agriculture d’exportation pour les devises, mais aussi une agriculture vivrière qui fait vivre les uns et les autres. La deuxième chose est l’éducation. Un peuple qui n’est pas éduqué ne sortira jamais de la misère. Ensuite, la santé. Un esprit sain dans un corps sain fait que cette personne peut être un acteur de développement qui puisse être productif. Sur le plan politique, c’est l’unité. Il faut être unis, vivre en paix et en concorde nationale.

— Quelle est votre vision pour l’avenir de l’Afrique ?

— Dans quelques jours, nous célébrerons le 61e anniversaire de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), devenue l’Union Africaine (UA). Nous voulons saisir cette occasion pour d’abord nous rappeler les défis que l’Afrique a traversés et surmontés. Ensuite, à partir de là, voir quelles sont les perspectives pour l’avenir. Vous vous souvenez qu’à l’époque des années 1960, les défis de l’Afrique étaient d’achever la décolonisation, d’éradiquer l’apartheid en Afrique du Sud et de travailler à l’unité de nos pays qui avaient été divisés suite à la colonisation. Les pères fondateurs de l’OUA se sont réunis à Addis-Abeba en 1963 et ont décidé de créer cette organisation. Son objectif est de nous rappeler que nous avons un destin commun et que nous devons travailler collectivement pour relever les défis. Après avoir lutté pour l’indépendance, il est maintenant temps de canaliser nos énergies pour le développement de nos pays.

— Quelles sont les réalisations concrètes du Cameroun au sein de l’UA ?

— Beaucoup de choses ont été accomplies et je me réjouis d’en parler car mon pays, le Cameroun, y a largement contribué. Nous avons eu deux secrétaires généraux originaires du Cameroun à la tête de l’UA. Ces personnalités, aux côtés des autres pères fondateurs, ont travaillé pour asseoir l’unité sur des bases solides et atteindre les objectifs fixés par la Conférence des chefs d’Etat. Après 60 ans d’efforts, il est temps de se pencher sur l’avenir de l’Afrique. L’image traditionnellement véhiculée par les médias de notre continent était celle d’un continent en détresse, touché par la maladie, la sécheresse et l’analphabétisme, un continent en quête d’aide extérieure. Cependant, aujourd’hui, l’Afrique est considérée comme un nouveau pôle d’opportunités pour le monde, notamment en raison de sa jeunesse — 60 % de la population sont des jeunes —, de ses ressources naturelles abondantes, de ses vastes terres arables et de sa population éduquée et déterminée.

— Où se trouvent donc les nouveaux défis ?

— Les nouveaux défis résident avant tout dans notre capacité à prendre en main notre destin. La coopération et l’aide étaient nécessaires à un moment donné, mais il est désormais primordial pour les Africains de devenir les maîtres de leur destin. Nous devons analyser nos réussites et nos échecs, les améliorer et décider du futur que nous voulons pour nos peuples. Nous devons adopter les nouvelles technologies et les opportunités de notre époque. Nous devons relever le défi démographique, valoriser le potentiel humain africain et résoudre les problèmes environnementaux. L’unification politique de l’Afrique doit s’appuyer sur la création d’un marché commun, permettant à nos pays de choisir et de promouvoir les produits qui servent nos intérêts. Au lieu de subir les choix des anciens colonisateurs, nous devons déterminer notre production, ses destinations et ses bénéficiaires. La création d’un marché regroupant plus d’un milliard et 300 millions d’habitants offre une perspective d’une économie africaine endogène. Certes, cela ne sera pas facile, mais je crois en la capacité de l’Afrique à effectuer une transformation qualitative. Il est important de reconnaître que nous vivons dans un monde globalisé aux limites apparentes. Pour y faire face, il est essentiel de compter d’abord sur nos propres forces et d’établir des partenariats mutuellement bénéfiques avec les autres peuples du monde, tout en préservant nos intérêts.

— Comment voyez-vous l’importance de la coopération arabo-africaine ?

— Cette coopération est cruciale et doit être renforcée. De nombreux points rapprochent, en effet, les pays arabes et africains. Tout d’abord, nous partageons le même continent et avons connu les mêmes difficultés liées à la colonisation. Nous devons exploiter pleinement cette coopération. Ayant vécu 30 ans au Proche-Orient et dans des pays arabes, je peux affirmer qu’il existe de nombreuses opportunités de coopération auxquelles les gens ne pensent pas. Les pays arabes doivent reconnaître qu’il est préférable de travailler avec l’Afrique qu’avec d’autres nations, du fait de nos proximités culturelle et historique qui facilitent la compréhension mutuelle. Collaborer ensemble, à mon avis, serait plus avantageux que de continuer en tant qu’entités séparées. Il s’agit d’écrire une histoire basée sur la volonté populaire et sur la conscience que nous partageons un destin commun, et que nous pouvons réaliser de grandes choses ensemble.

— Comment l’Afrique peut-elle parvenir à une plus grande intégration économique ?

— L’OUA a été créée dans le but de réaliser l’unité politique et l’harmonisation entre les 54 pays africains. Dans une certaine mesure, cet objectif a été atteint, mais les énormes potentiels de l’Afrique restent inexploités par les Africains étant donné que les marchés et les diverses économies de nos pays ont été façonnés selon des besoins qui ne sont pas les nôtres. Par exemple, l’exploitation de nos ressources minières s’est faite de manière inéquitable, entraînant un endettement inutile pour l’Afrique. Les compagnies qui exploitent les minerais en Afrique réalisent 80 % des bénéfices, tandis que seuls 20 % reviennent à ceux qui possèdent ces ressources. Cette situation doit changer. Nous devons savoir que le temps a changé et que nous avons des partenariats qui peuvent évoluer. Les pays africains doivent comprendre que cette richesse interne doit être partagée. Il est plus facile de partager la richesse que la pauvreté. L’émigration de nos populations vers l’Europe nous fend le coeur. L’être humain est un être d’émigration, mais les Africains doivent savoir comment ils peuvent organiser leur population de manière naturelle. C’est naturel qu’un citoyen du Sénégal parte pour la Mauritanie plutôt que de traverser la mer. Il faut maîtriser cette émigration et que chaque pays puisse en bénéficier de manière équitable.

— Quels sont les secteurs les plus prometteurs pour le développement de l’Afrique ?

— Je pense que l’agriculture, particulièrement mécanisée, est l’un des secteurs les plus prometteurs pour l’Afrique. En plus, les nouvelles technologies représentent un secteur très porteur en Afrique. Des exemples tels que le Rwanda montrent le potentiel de développement de certains pays africains. Si le Rwanda a pu réussir, d’autres nations africaines peuvent en faire autant. Avec des politiques adéquates et une bonne gouvernance, il est possible pour l’Afrique de parvenir à ses objectifs en travaillant avec détermination. Il faut maîtriser les technologies. On ne doit pas se déplacer pour réaliser ce but grâce aux nouvelles télécommunications. Durant la pandémie de Covid-19, la structure du travail a complètement changé. Cela veut dire qu’on peut le faire sans se déplacer. Il est crucial d’abolir les frontières entre les pays africains. L’Afrique est une entité unique et ne devrait pas nécessiter de visas pour se déplacer de pays à pays. Il est impératif de supprimer progressivement les barrières douanières afin d’avancer vers un libre-échange continental. En plus, l’introduction d’une monnaie commune en Afrique serait bénéfique pour éviter de nombreux problèmes. Il est essentiel que les matières premières quittent l’Afrique sous forme transformée et que la valeur reste sur le continent.

— Comment l’Egypte et le Cameroun peuvent-ils renforcer leurs relations bilatérales ?

— Notre présence ici est justement motivée par cette question. Les relations entre le Cameroun et l’Egypte remontent à la période d’avant l’indépendance. Lors des luttes pour l’indépendance, de nombreux leaders camerounais ont trouvé refuge en Egypte et le président Gamal Abdel-Nasser les a soutenus dans leurs combats pour l’indépendance. Ainsi, dès que le Cameroun a accédé à l’indépendance en 1960, nous avons ouvert notre ambassade au Caire en décembre 1961. Cette ambassade est restée ouverte depuis lors, ce qui témoigne de l’excellence de nos relations à divers niveaux, qu’il s’agisse de coopération économique, politique, culturelle, etc. Plusieurs accords de coopération ont été signés, et le dernier dialogue politique s’est tenu à Yaoundé en mai dernier dans le cadre des mécanismes de consultation politique entre nos deux pays. Actuellement, nous préparons la 7e commission mixte de coopération pour cette année. Nous avons déjà réalisé diverses initiatives de coopération, notamment dans le domaine de la sécurité avec la signature d’un accord de coopération dans le domaine de la défense l’année dernière. Une commission mixte de défense est également en préparation.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique