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Elles ne céderont jamais !

Dina Bakr, Mardi, 16 octobre 2012

L’échéance du référendum approche. Les activistes redoublent d’effort pour que le texte suprême affirme clairement l’égalité homme/femme. Le combat est dur, mais les ONG et les féministes sont prêtes à aller jusqu’au bout, par tous les moyens.

Elles ne cederont
Les femmes revendiquent le droit de participer à la rédaction de la constitution. (Photo : Mohamad Adel)

Il est 17h, les préparatifs vont bon train dans la rue située en face d’Al-Ettihadiya, le palais présidentiel d’Héliopolis. Un large public commence à occuper le trottoir, coupé par le tramway de la rue Al-Marghani. Des pancartes portent des slogans annonçant que la parole est aux femmes d’Egypte.

Des représentants des ONG, des particuliers, des mouvements féministes et des activistes indépendantes sont au rendez-vous. Toutes ces personnes sont venues pour protester et pour exiger que les droits de la femme soient portés haut et fort dans la nouvelle Constitution. L’objectif est avant tout de faire parvenir les revendications au président, pour qu’il se fasse le garant d’une égalité homme/femme.

Rassembler des femmes toutes tendances confondues n’est pas une mince affaire. L’histoire remonte au début du mois de septembre, lorsque Nawal Al-Saadawi, militante de la cause féminine de la première heure, appelle à la création du Mouvement pour la femme égyptienne. Ce mouvement réunit désormais 33 ONG, initiatives et mouvements féministes. L’objectif est avant tout de fédérer les multiples initiatives en faveur des droits de la femme tout en se faisant le gardien du respect de ces droits.

« Dans certains pays tels l’Espagne, la Suède ou la Norvège, la femme occupe quasiment 50 % des postes-clés, à savoir dans le législatif, l’exécutif, la magistrature et bien d’autres institutions publiques. L’Egypte devrait prendre l’exemple de ces pays », avait lancé Nawal Al-Saadawi, lors d’une rencontre avec des féministes au café Riche.

Parallèlement, le Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram dévoile que 65 % des personnes travaillant dans le secteur de la santé sont des femmes. Un chiffre positif bien qu’aucune d’entre elles n’a jamais été ministre de la Santé ou présidente de l’ordre des Médecins.

Aujourd’hui, ce mouvement sert à faire pression sur les responsables. L’échéance la plus courte étant la Constitution en cours de rédaction. Et là encore, c’est une écrasante majorité d’hommes qui s’occupe de la rédiger. « Il s’agit de parler d’une seule voix pour défendre nos droits. Marginaliser la moitié de la population signifierait un retour en arrière dans tous les domaines politiques, économiques et sociaux », craint Amani Al-Tawil, chercheuse au CEPS d’Al-Ahram. Elle fait partie de ce mouvement de protestation qui estime qu’il y a aujourd’hui urgence à agir.

Un seul souhait : agir ensemble

De jeunes filles et des femmes sont unies sous un même slogan : Ensemble, hommes et femmes, nous allons rédiger notre Constitution ! Un souhait qui ne reflète malheureusement pas la réalité de l’assemblée constituante.

Des femmes voilées aux vêtements amples en côtoient, d’autres en tenues décontractées. De jeunes activistes vêtues de gilets fluorescents distribuent des prospectus aux participantes et aux promeneurs. La lenteur de la circulation permet aussi d’échanger quelques mots avec les conducteurs de passage. Un haut-parleur et deux tambours permettent de se faire entendre et d’attirer toujours plus de monde.

« Ceux qui portent des barbes et des djellabas veulent confisquer notre Constitution ! », « Oh Gheriyani, dégage ! … On ne veut pas d’une Constitution rédigée par les Frères ! », « C’est à nous de parler, nous voulons nos droits inscrits dans la nouvelle Constitution ! ». Autant de slogans chantés en boucle pendant des heures ...

constitution
Elles veulent une vraie représentation au sein de l'assemblée constituante. (Photo : Mohamad Adel)

Le site Internet du comité fondateur de la Constitution a publié 6 chapitres pour tester l’opinion publique. Afaf Al-Sayed, présidente de l’association Heya (elle), affirme que les membres du comité ont précisé que ces articles n’étaient pas définitifs. « On doit protester dès maintenant et ne pas attendre le référendum sur la Constitution qui divise le peuple égyptien entre athées et croyants. Il n’est pas question de répéter le même scénario du référendum de mars 2011. Ils ont dupé les gens en les convaincant que celui qui dit oui ira au paradis, et que celui qui dit non ira en enfer », s’insurge Afaf Al-Sayed.

Les femmes membres du comité fondateur de la nouvelle Constitution sont au nombre de 3. Manal Al-Teibi, activiste et présidente du Centre du droit au logement, vient de présenter sa démission. Restent Azza Al-Garf et Omaïma Kamel, toutes deux députées des Frères musulmans du précédent Parlement.

Manal Al-Teibi a démissionné après avoir rejeté la manière avec laquelle la majorité islamiste travaillait à la Constitution. « Ils ont formé un clan. Ils font tout pour ne pas dévoiler leurs informations et ils travaillent dans leur coin. Lorsqu’un article commence à soulever des débats, les membres le refusent simplement ou ils évitent tout commentaire », regrette Manal Al-Teibi. Pour elle, participer à la rédaction de la nouvelle Constitution dans les conditions actuelles n’est ni privilège, ni honneur.

L’article 36 fait partie de ceux qui ont provoqué les plus vives polémiques. Il aborde l’égalité entre homme et femme à travers une phrase ambiguë : « Tout en étant conforme aux principes de la charia islamique ».

« Si la charia est le principe fondateur des droits de la femme, le législateur pourra se permettre de l’interpréter à sa guise. Ainsi, la femme sera exposée à des interprétations différentes selon les mentalités des gens », craint Fatma Khafagui, membre à l’alliance de la femme arabe.

Des années de progrès à conserver

Les féministes ne sont pas prêtes à ce que les islamistes viennent effacer des années de militantisme. En 2000, le droit au kholea, qui permet à la femme de divorcer si elle abondonne ses droits pécuniaires à son mari, fut un progrès notable. Mais les plus conservateurs prétendent toujours que cette loi n’est pas conforme à la charia et qu’elle détruit les liens familiaux. Le kholea était pourtant appliqué au temps du prophète.

Mais le combat va plus loin. Selon les protestataires manifestants devant le palais présidentiel, la constituante aurait refusé d’ajouter un article sur l’esclavage et le trafic des êtres humains sous prétexte que cela n’existerait plus aujourd’hui. « Ce refus pourrait permettre d’accepter le mariage des filles de 9 ans. Les islamistes se basent sur la vie du prophète, alors qu’à son époque, le mariage précoce des filles était une sorte de protection », estime Daoud Abdel-Sayed, réalisateur. Il est venu manifester avec sa femme. Daoud Abdel-Sayed pense qu’à l’avenir, le législateur ne pourra interdire le mariage précoce (entre 9 et 16 ans) car une telle loi se retrouverait alors en contradiction avec la charia, et donc avec la Constitution.

Pour sensibiliser l’opinion publique, ces jeunes femmes organisent des conférences et manifestent dès que l’occasion se présente. Ingy Hammam, activiste, estime que « l’arrivée des islamistes au pouvoir aura une influence négative sur les droits de la femme. Ils vont inventer des prétextes pour marginaliser encore plus la femme et l’enfermer chez elle ».

Ingy Hammam appelle toutes les femmes à résister : le chemin est encore long et semé d’embûches. « On ne restera pas les bras croisés, il faut sensibiliser à la fois l’homme et la femme ! On ne se contentera pas de rencontres ou de conférences, on collera des posters dans les rues, on organisera des mouvements de protestation et des sit-in pour leur dire que nous sommes contre l’obscurantisme », lance-t-elle avec verve.

A quelques pas des protestataires, deux graffeurs esquissent un dessin en noir et blanc illustrant certains métiers qui illustrent l’importance de la femme dans la société. « Sans la femme, la vie n’est pas parfaite ». Dans leurs dessins, on trouve une activiste, une ingénieur et une artiste. D’autres photos symboliques ont été collées sur les wagons du tram. Celle d’une femme portant le niqab, une deuxième portant le voile et une troisième avec les cheveux au vent, avec en bas une signature « Nous sommes tous des êtres humains ! ».

Les activistes du mouvement Fouada Watch se font, elles aussi, remarquer. Cette initiative a vu le jour lorsque Mohamad Morsi a prêté serment. Elle a pour but d’évaluer les décisions du nouveau président concernant la femme. « Nous avons rédigé 3 rapports sur les violations des droits de la femme depuis son arrivée au pouvoir. Mais nous n’avons reçu aucune réponse », explique Jeannette, membre de Fouada Watch. Elle indique que récemment, à Minya, le parti des Frères musulmans a lancé une campagne d’excision et que personne n’a réagi pour faire cesser ce scandale.

Certaines activistes refusent les idées rétrogrades proposées dans la nouvelle Constitution et ne sont pas tendres avec les femmes qui font partie du comité. « Je n’ai élu ni Oum Aymane, ni Omaïma Kamel. Toutes les deux représentent les Frères musulmans et ne peuvent en aucun cas représenter toutes les Egyptiennes », estime Janette. Mais peu importe, la lutte n’en est qu’à ses débuts.

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