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Tempête d’accusations contre Erdogan

Maha Al-Cherbini avec agences, Mardi, 31 décembre 2013

Eclaboussé par un scandale politico-financier sans précédent, le pre­mier ministre turc Recep Tayyip Erdogan tente de résister face à l'étau qui se resserre contre lui, et qui menace son rêve de briguer la présidentielle de 2014.

Tempête d’accusations contre Erdogan
La récente vague de manifestations turques ressuscitent le souvenir de la fronde antigouvernementale de juin. (Photo:Reuters)

Jamais le premier ministre turc — au pouvoir depuis 2002 — n’a été aussi fragi­lisé que ces derniers jours. Contraint de quitter ses fonc­tions en 2015, Recep Tayyip Erdogan ne doit pas espérer bri­guer la présidentielle de 2014. Les dernières évolutions qui secouent le pays politiquement et économiquement éloignent de plus en plus son rêve. Pire encore, Erdogan risque d’être accusé de corruption et de malversations.

En effet, rien ne va plus pour le premier ministre turc depuis une dizaine de jours. A tel point qu’Erdogan a été obligé de pro­céder à un vaste remaniement ministériel d’urgence après la démission de 3 de ses ministres — ceux de l’Intérieur, Muammer Güler, de l’Economie, Zafer Caglayan, et de l’Environ­nement, Erdogan Bayraktar — mis en cause dans un retentissant scandale de cor­ruption qui éclabousse le Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdogan, en pleine campagne pour les élections municipales du 30 mars 2014. Au total, 10 ministres ont été rempla­cés à la faveur de ce renouvelle­ment, dont ceux de la Famille, de la Justice et des Transports, tous les 3 candidats aux prochaines élections municipales.

Malgré ce vaste remaniement, le scandale de corruption ne semble pas retomber et pourrait même s’étendre à la famille du premier ministre qui a, lui-même, confié son inquiétude à son entourage : « La cible principale de cette opération, c’est moi ». Selon le journal turc Milliyet, le premier ministre a confié que les procureurs instruisant la vaste enquête sur les fraudes envisa­geaient de remonter jusqu’à ses propres fils, à la tête de grandes entreprises, et de là jusqu’à lui-même. Surtout après que son ministre de l’Environnement démissionnaire, furieux d’avoir été contraint de quitter ses fonc­tions, eut jeté un pavé dans la mare en affirmant avoir agi « en toute connaissance du premier ministre ». « De ce fait, je crois que le premier ministre devrait aussi démissionner », a-t-il lancé.

Ressuscitant le souvenir de la fronde antigouvernementale qui a fait vaciller le pouvoir islamo-conservateur en juin dernier, des manifestations beaucoup plus graves — notamment à Ankara, Istanbul et Izmir — exigent depuis la semaine dernière la démission d’Erdogan. Rassemblés vendredi à Istanbul sur la place Taksim — coeur de la fronde de juin — les manifestants scandaient : « La corruption est partout ! », « La résistance est partout ! », « Gouvernement, démission ! ». Des heurts ont éclaté entre les manifestants et la police qui a fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser plu­sieurs milliers de personnes. Selon le barreau local, 70 per­sonnes ont été interpellées ven­dredi par la police.

Selon les experts, cette poli­tique du « bâton » ne va ni étouf­fer la voix de la rue, ni sauver un Erdogan, placé entre le marteau et l’enclume. « Erdogan fait face au plus grand défi de sa carrière. Si la crise continue, il perdra la présidentielle car la majorité des Turcs l’ont élu depuis 2002 trois fois de suite parce qu’il leur a garanti la stabilité politique et la croissance économique. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui », explique Mohamad Abdel-Qader, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Selon certains son­dages, la côte de popularité d’Er­dogan est en baisse depuis 6 mois. Même les grandes réalisa­tions économiques sur lesquelles il a tablé pour sa popularité depuis une décennie semblent menacées. Selon les économistes, la récente crise politique a vite accéléré l’affaiblissement des marchés turcs. La monnaie turque a plongé à son plus bas niveau historique, s’échangeant à 2,1492 livres pour un dollar, et la Bourse d’Istanbul a reculé toute la semaine. Outre la crise écono­mique, 3 députés de l’AKP ont quitté cette semaine leur forma­tion à cause du scandale. « Nous ne continuerons pas à marcher avec ceux qui nous ont trahis, nous les jetterons dehors », a défié le premier ministre.

Pire ennemi

Loin de calmer la tempête poli­tique, le remaniement du gouver­nement a été rapidement relégué au second plan par l’opposition, sur fond de guerre ouverte entre le pouvoir islamo-conservateur et la confrérie du prédicateur musulman Fetullah Gülen, ancien allié d’Erdogan devenu son pire ennemi. Exilé aux Etats-Unis, Gülen est à la tête d’une puis­sante confrérie influente dans la police et la magistrature turques. Selon les experts, cette guerre fratricide entre islamistes s’est envenimée après la décision très contestée, en novembre, du gou­vernement de fermer certaines écoles privées, manne financière de la confrérie. Selon Abdel-Qader, cette fois Erdogan est contesté dans son propre camp, par son ex-allié, sur lequel il s’était appuyé pour renforcer son autorité face à l’influence poli­tique de la puissante armée, gar­dienne des principes laïques. « Cette guerre fratricide pourrait modifier la donne politique nationale avant les municipales de mars et la présidentielle d’août. Elle va jouer en faveur des partis de l’opposition qui pourraient se renforcer si le cou­rant islamo-conservateur chute », pronostique l’expert. Samedi, la presse de l’opposition a rendu le premier ministre res­ponsable de la crise, alors que ce dernier reste inflexible, dénon­çant la justice, ses rivaux et la rue de comploter contre lui.

Même s’il n’a pas nommé son adversaire, le premier ministre a pointé du doigt la responsabilité du mouvement Gülen. « Les récents développements sont une conséquence de l’affaire des écoles privées », a lancé Erdogan, qui a reproché aux procureurs en charge du dossier d’avoir « stig­matisé » sans preuve son gouver­nement.

Face à ces évolutions, l’Union européenne — en premier l’Alle­magne opposée à une adhésion d’Ankara au bloc européen — a maintenu la pression sur la Turquie, l’appelant à résoudre la crise de façon « transparente et impartiale ». Une intervention européenne qui pose la question suivante : ces graves secousses politiques et économiques qui ébranlent le pays depuis juin vont-elles faire avorter le rêve turc d’adhérer au club euro­péen ?.

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