Du Nord au Sud. Israël frappe la totalité de la bande de Gaza. Alors que toute l’attention était, ces derniers jours, tournée du côté de Rafah, où Israël s’apprête à lancer une offensive terrestre d’ampleur, les frappes contre le nord de l’enclave palestinienne ont repris cette semaine, Israël visant notamment le camp de réfugiés de Jabalia et émettant des ordres d’évacuation aux civils résidant encore dans cette zone. Pour l’armée israélienne, le Hamas serait en train de « tenter de reconstituer ses capacités militaires » dans le nord, d’où les nouveaux raids israéliens.
Des frappes qui n’ont pas empêché l’armée israélienne de maintenir la pression sur Rafah et de continuer à brandir la menace d’une opération d’envergure. « Des véhicules militaires israéliens ont avancé sur environ 2,5 kilomètres en profondeur » de Rafah, a dit dimanche 12 mai le porte-parole de l’autorité des points de passage de Gaza, Hicham Adwan, cité par l’AFP, alors que l’armée israélienne a affirmé que ses troupes poursuivaient des « opérations ciblées » dans l’est de Rafah. Selon l’UNRWA, plus de 360 000 Palestiniens auraient été déplacés depuis la menace d’une invasion majeure à Rafah. Des chiffres confirmés par l’armée israélienne.
Mais que ces chiffres soient véridiques ou non, la réalité est désastreuse pour les civils palestiniens. En effet, les plus grandes craintes internationales concernent toujours Rafah, dans l’extrême sud de la bande de Gaza, et les quelque 1,4 million de Palestiniens qui s’y entassent, en majorité déplacés par les bombardements destructeurs et les combats.
Mettant en garde contre « la possibilité de nouveaux crimes atroces » en cas d’offensive à grande échelle à Rafah, Volker Türk, haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, a souligné que les villes supposées recevoir des déplacés sont déjà « réduites en ruines ». « Les derniers ordres d’évacuation affectent près d’un million de personnes à Rafah. Où doivent-elles aller maintenant ? Il n’y a pas d’endroit sûr à Gaza », a-t-il dit. Alors que le secrétaire général de l’ONU a prévenu qu’une telle offensive conduirait à une « catastrophe humanitaire colossale », appelant à un « cessez-le-feu immédiat » dans le territoire palestinien assiégé et menacé de famine.
Washington hausse le ton
En plus de l’ONU, l’Union européenne et ses dirigeants ont eux aussi mis en garde Tel-Aviv à plusieurs reprises. Quant aux Etats-Unis, ils ne cessent, depuis des semaines, d’avertir Israël des dangers que représenterait une incursion d’envergure de Rafah. Mais ces derniers jours, le ton est monté : Washington a menacé de suspendre la livraison de certaines catégories d’armes à Israël si ce dernier lançait une offensive majeure à Rafah.
Une première. En réponse, le premier ministre, Benyamin Netanyahu, a assuré qu’Israël combattrait « seul » s’il le fallait. Et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, a répondu implicitement à Joe Biden, en réaffirmant lui aussi la détermination d’Israël à anéantir le Hamas avec ou sans le soutien américain.
Rien n’y fait donc. Netanyahu ne compte pas faire marche arrière. Lundi 13 mai, il a de nouveau affirmé, au sujet de la guerre contre Gaza, qu’« il n’en avait accompli que la moitié, mais qu’il était déterminé à mener à bien cette tâche sacrée ».
Mais pourquoi donc Israël insiste-t-il à aller jusqu’au bout de sa logique de guerre et à mener son opération à Rafah, notamment après que le Hamas eut annoncé, la semaine dernière, accepter une proposition de trêve ? « Netanyahu espérait que le Hamas refuserait le cessez-le-feu, lorsque ça ne s’est pas produit, il s’est mis à le saboter », pouvait-on lire la semaine dernière dans le quotidien d’opposition israélien Haaretz. Un commentaire qui en dit long alors qu’au sein d’Israël, la colère monte parmi les familles des otages et parmi l’opposition.
De plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer le départ de Netanyahu, estimant que la politique jusqu’au-boutiste du premier ministre israélien a pour but de masquer la responsabilité de Netanyahu et de son ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, qui auraient dû démissionner après le 7 octobre.
Et la colère est montée d’un cran la semaine dernière après l’espoir, aussitôt né aussitôt mort, d’une trêve et d’une libération des otages.
Blocage
Or, les discussions sur une trêve sont totalement bloquées. Après l’annonce, la semaine dernière, par le Hamas de son accord sur une proposition de trêve, les pourparlers ont repris au Caire avant d’être à nouveau suspendus, faute d’accord. Le Hamas a alors estimé que « la balle est désormais entièrement dans le camp de l’occupation » et que le « rejet par Israël » de la dernière proposition de trêve ramenait les négociations « à la case départ », alors que l’Egypte a appelé le Hamas et Israël à faire preuve de « flexibilité », précisant que les efforts des pays médiateurs (Egypte, Qatar, Etats-Unis) « se poursuivent pour rapprocher les points de vue des deux parties ».
Pour autant, les espoirs s’amenuisent d’autant plus qu’au cours des dernières semaines, un accord impliquant une trêve, ainsi qu’une libération d’otages et de prisonniers palestiniens a été annoncé comme imminent à plusieurs reprises, avant que les discussions ne capotent à la dernière minute.
Dès février dernier, Netanyahu prévenait : « Il est impossible d’atteindre l’objectif de la guerre sans éliminer le Hamas et ses bataillons à Rafah ». Un argument qu’il continue d’avancer même si l’idée d’éradiquer le Hamas est, de l’aveu même du plus grand allié d’Israël, quasiment impossible. Une attaque totale contre la ville de Rafah à Gaza ne ferait que provoquer « l’anarchie » plutôt que d’éliminer le Hamas, a insisté le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, critiquant la conduite de la guerre par Israël à Gaza.
Dans deux interviews télévisées dimanche 12 mai, Blinken a souligné que Washington estime que les forces israéliennes devraient « sortir de Gaza » car leurs tactiques n’ont pas réussi à neutraliser le Hamas et pourraient conduire à une insurrection durable. Ce sont là les critiques publiques les plus fortes à ce jour de l’Administration Biden sur le comportement d’Israël dans la guerre contre Gaza.
Malgré cela, Netanyahu persiste et signe. D’abord parce qu’après sept mois d’une guerre dévastatrice contre Gaza, Israël n’a réussi ni à libérer les otages, ni à éliminer le Hamas, ni à neutraliser son leader à Gaza, Yayha Sinouar, lequel ne serait pas, selon les renseignements américains cités par le New York Times, à Rafah. Ensuite et surtout parce que Netanyahu a tout intérêt à prolonger cette guerre parce qu’il y joue son avenir politique, ainsi que la survie de sa coalition.
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