Mercredi, 04 décembre 2024
Al-Ahram Hebdo > Au quotidien >

Vidéo - Pour que le troisième âge soit l’âge d’or

Dina Darwich , Mercredi, 15 mai 2024

L’Egypte compte plus de 7 millions d’individus de plus de 60 ans, et pour une bonne partie d’entre eux, l’après-retraite est loin d’être une période d’épanouissement. La fondation Golden Years les aide à garder leur autonomie, rompre la monotonie du quotidien et sortir de leur isolement. Enquête.

Pour que le troisième âge soit l’âge d’or

C’est à l’âge de 72 ans qu’elle a enfin réalisé son rêve. Au sein d’une chorale, elle prend conscience des plaisirs que peut procurer le chant. Entourée de choristes du même âge, Nabila Al-Ghoudy, ancienne consul-adjoint, a retrouvé son bien-être et son épanouissement. Elle a toujours aimé chanter et faire du jardinage, des plaisirs dont elle n’a pas profité en voulant assumer pleinement son rôle de mère et de grand-mère. Aujourd’hui, elle donne un second souffle à sa vie en faisant des activités dans ses domaines de prédilection. « Lorsque j’étais à l’école, j’aimais beaucoup écouter les chansons françaises que j’apprenais par coeur et fredonnais avec mes camarades de classe. J’ai même suivi des cours de piano au Centre culturel russe. Mais chanter dans une chorale après avoir pris de l’âge et participer à des spectacles n’ont jamais effleuré mon esprit. Je chante très bien en groupe, mais je suis encore timide pour le faire en solo », explique Nabila avec enthousiasme. « Après avoir perdu mon mari mort du Covid-19, j’ai commencé à ressentir la solitude et cette sensation de vide en moi », confie Nabila, qui a décidé de s’ouvrir à de nouveaux horizons et de vivre de la manière la plus agréable possible en faisant des activités qui lui permettent de s’épanouir sur le plan personnel.

Cette femme a retrouvé un sens à sa vie en faisant du bénévolat. Aujourd’hui, son calendrier d’événements est chargé : des sorties et des balades en pleine nature qu’elle organise avec l’aide de nouveaux amis et ce, dans le but de partager ensemble des moments agréables et motivants. Nabila oeuvre toujours pour rassembler le groupe et vaincre les obstacles que pourraient rencontrer les personnes du troisième âge lors des activités de l’ONG Golden Years qui présente des services aux personnes âgées. On la surnomme « la ministre du bonheur », tant qu’elle est encore capable de donner aux autres et de se sentir utile et motivée.

Le bien-être comme mot d’ordre

« Rencontrer des personnes de mon âge et programmer des sorties ont comblé ce vide qui me rongeait. Dans nos balades, on tente de jouir des belles choses qu’on a ratées dans notre jeunesse, comme le simple fait de profiter de la nature. On se rencontre aussi chaque mois pour célébrer ensemble les anniversaires des membres de la fondation », avance Nabila. Walk to walk, le club du livre, les concerts musicaux et d’autres activités sont proposés par la fondation Golden Years pour le développement sociétal (GYF) et sont consacrés aux personnes âgées.

Améliorer la qualité de vie des personnes âgées en créant des plateformes de soutien favorisant la prise en charge, la connexion et l’accessibilité, tel est l’objectif de Golden Years, une fondation à but non lucratif qui tente de changer la vie des seniors en promouvant un vieillissement en bonne santé et en les aidant à rester indépendants.

Selon l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), les plus de 60 ans sont au nombre de 7,4 millions de personnes, dont 8,5 % vivent au Caire. Or, les programmes de GYF ne concernent pas uniquement les seniors, mais aussi tous ceux qui s’occupent d’eux. « Ce sont les proches qui, généralement, portent assistance aux personnes âgées, soit quelque 40 millions de citoyens, en tenant compte du fait que l’espérance de vie moyenne atteint 72,5 ans, 70,2 ans pour les hommes et 75 pour les femmes », explique Dina Hashish, fondatrice de la fondation GYF reconnue par l’initiative de la Décennie des Nations-Unies pour le vieillissement en bonne santé (2021-2030) comme étant l’un des 50 leaders dans le monde qui travaillent pour promouvoir la santé et le bien-être des personnes âgées.


Sous le slogan Al-Haraka Baraka (bouger est bénéfique), la fondation GYF veut inciter les seniors à faire la marche avec les juniors.

Des rêves enfin réalisés

Parmi les activités de l’ONG figure un club littéraire. A la librairie Diwan à Héliopolis, c’est le rendez-vous mensuel du club littéraire animé par GYF. La salle est remplie de lecteurs et d’auteurs du troisième âge qui ne ratent pas ce rendez-vous périodique. Quelques étudiants universitaires sont aussi présents pour créer une passerelle entre les générations. « L’écriture est le fruit de tout un parcours individuel. Plus nous vieillissons, plus notre personnalité s’enrichit et plus nous avons quelque chose à raconter. Je compare toujours l’écriture à l’allaitement maternel. Plus l’enfant est allaité, plus la maman a du lait. C’est la même chose pour l’oeuvre artistique ou littéraire. Plus les expériences de vie se multiplient et les relations humaines se complexifient, plus l’oeuvre est plus mature et satisfaisante », explique Maha Hachich, 64 ans, une ancienne qui a entamé sa carrière littéraire à l’âge de 60 ans et dont le troisième livre venait de paraître la veille de la rencontre. Les commentaires pleuvent. « Le livre est une série de posts publiés sur Facebook, dans quel genre littéraire peut-on l’inscrire ? », demande l’une des assistantes qui a dépassé la barrière des 80 ans. « Intitulé Matin et soir, à l’instar de la chanson de la star Faïrouz, le livre est un message d’espoir et d’amour transmis avec subtilité et romantisme à la nouvelle génération et expliquant que toute situation difficile dans la vie pourrait être réglée si on gardait l’espoir. C’est la cuillère de miel que l’on doit ajouter pour atténuer l’amertume de la vie ! Je ne suis pas une grande rêveuse, mais c’est en fait le secret de toute une longue vie », avance Maha Hachich.


Au club du livre, des seniors découvrent ou redécouvrent leur talent.

Zeinab Mohamed Chafik, 82 ans, est connue sur Facebook sous le nom de « Magol », un nom perse qui signifie « contes de lune ». Sur la Toile, elle a rédigé 46 épisodes qu’elle a transformés plus tard en un livre intitulé Six heures quarante du matin. « J’ai été très encouragée par mes lecteurs, ma famille, mes enfants et mes petits-enfants, ceci m’a poussée à réaliser mon vieux rêve, celui de devenir journaliste. J’ai étudié le journalisme il y a 60 ans, à l’Université du Caire, mais je n’ai pas pu faire carrière dans mon domaine de prédilection car il fallait assumer mes responsabilités en tant que mère et épouse. J’ai gardé ce rêve enfoui au fond de mon coeur. Plus tard, j’ai exercé plusieurs métiers, professeure, gérante d’une boutique et organisatrice d’événements dans une école. Lorsque j’ai soufflé mes 78 bougies, j’ai décidé de prendre une pause et revivre mon ancien rêve, celui d’écrire », explique cette belle femme coquette qui nous rappelle que « chaque nouveau jour qui se lève est un don de Dieu, il faut en profiter au maximum et se dire qu’il n’est jamais trop tard pour se lancer dans un nouveau projet ».

Activités intergénérationnelles

Réaliser un rêve de jeunesse ou tout simplement vivre pleinement sa retraite, l’essentiel est d’améliorer les conditions de vie des personnes âgées. Une petite révolution dans la société égyptienne pour faire sortir les seniors du ghetto de la famille, leur créer leur propre univers et les aider à rester autonomes. « J’ai découvert un nouveau monde, alors que la particularité des personnes âgées est de rester très attachées à leur entourage familial et professionnel. Aujourd’hui, je ne rate aucun événement culturel organisé par GYF. Je ne pensais pas que je puisse tisser de vraies relations amicales à cet âge. Des personnes très variées et dont les expériences humaines sont très riches et inspirantes. Les amitiés que j’ai développées et les connaissances que j’ai acquises continuent d’enrichir ma personnalité à cette période de ma vie, car nous ne cessons pas d’échanger nos expériences. Chacune de nous transmet son énergie positive à l’autre, d’autant que nous passons plus de 10 heures par semaine ensemble », avance Nefertiti Toussoun, 65 ans, ex-conseillère au Parquet administratif.


Certaines Goldys (membres de la fondation Golden Years) ont rejoint la chorale à un âge avancé.

Dr Nadia Rizqallah, ancienne médecin de 77 ans, est sur cette même longueur d’onde. Elle dit avoir réussi à s’extirper de l’ambiance familiale traditionnelle en devenant une toute autre personne toujours en bonne humeur. « On sort pour manger ensemble, faire des courses ou des balades sur le Nil, sans compter les séances de danse que nous programmons avec des déguisements très rigolos », confie Nadia, tout en ajoutant que la fondation leur fournit des infos très utiles. « En côtoyant mes aînées, j’ai pris conscience de plusieurs choses. J’ai appris par exemple comment aider une personne âgée à se rendre aux toilettes ou prendre une douche sèche avec de la mousse nettoyante. Et en voyant ceux et celles qui commençaient à avoir des troubles de mémoire, j’ai décidé de révéler à mes enfants mes informations bancaires, afin qu’ils puissent gérer tout cela si cela m’arrivait », confie Nadia.

Ces petits détails sont pris en considération. Dina Hashish affirme que le rôle de l’ONG est aussi de préparer ceux qui ne sont pas encore vieux à vieillir en bonne santé, notamment en prenant garde des maladies héréditaires dont souffrent les aînés.

Et si l’un des objectifs de Golden Years est de permettre aux seniors de ne pas être dépendants de leurs proches, il n’est pas pour autant question de les détacher de leur famille. GYF est consciente que l’interaction générationnelle est bénéfique aux plus âgés comme aux plus jeunes. « On organise donc des événements et on incite les différents membres de la famille à y participer. Walk to walk est un rallye où les seniors et les juniors peuvent prendre part. On tente à travers ces célébrations de faire circuler plusieurs messages : sensibiliser au vieillissement en bonne santé, briser les stéréotypes de la société à l’égard des personnes âgées, intégrer les différentes générations d’une même famille dans une activité commune, mettre l’accent sur les avantages sociaux et psychologiques de l’entraînement physique, et enfin, promouvoir la marche comme activité pour les seniors », avance Hashish, qui a lancé cette initiative à travers son compte sur les réseaux sociaux.

Aujourd’hui, l’initiative qui a commencé par l’appel d’une personne connaît un succès à croissance rapide. GYF compte aujourd’hui plus de 58 000 membres, dont des seniors actifs, des membres de leur famille, des soignants et des médecins.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique