« En 2024, le smoky eye n’a aucune limite. On ose avec le crayon noir à l’intérieur des muqueuses et l’eye-liner dessiné de façon intense et voyante », explique Annan Amr, la maquilleuse, ou comme on le dit plus communément, la makeup artist, à la mariée. Du maquillage naturel nude au plus glamour, elle essaie de lui créer un look exceptionnel, afin d’être une mariée radieuse. Au lieu de faire le cat eye sur la paupière supérieure, Annan trace la virgule en la faisant partir de la paupière inférieure, au ras-de-cil. Utilisant un crayon gras, elle l’applique sur le ras-de-cil, puis l’estompe avec un petit pinceau plat éventuellement. Puis elle dépose par-dessus un fard à paupières noir afin de bien fixer le crayon, et commence à dessiner la virgule avec un eye-liner liquide pour préciser le tracé dans le coin externe de l’oeil. Résultat : un regard félin, doublé d’un effet fumé sensuel.
« Il faut savoir être à l’écoute de ma cliente. Le maquillage que je vais réaliser doit répondre à ses attentes, pas à mes envies. Si je pense avoir fait un très beau maquillage mais que la cliente, surtout si elle est la mariée, ne ressort pas satisfaite, c’est que je n’ai pas su l’écouter. Il faut aussi avoir la fibre artistique, oser tester des nouveautés, être curieuse, rester à l’affût de ce qui se fait, des modes et des tendances du moment », explique-t-elle. Comme une peintre, Annan mixe les produits et teste les techniques. Selon elle, c’est un métier créatif et sans routine. Etant donné qu’elle travaille sur des visages et chaque visage est différent, il faut adapter le maquillage à chacune, c’est donc très varié. « L’harmonie et l’expression d’un visage passent, par exemple, par les sourcils. En cours, on nous a expliqué qu’il suffisait de les redessiner pour tout changer », poursuit cette maquilleuse professionnelle.
Passionnée de beauté depuis son plus jeune âge, Annan, 29 ans, diplômée de la faculté des beaux-arts, a choisi d’entamer sa carrière après avoir pris plusieurs stages d’esthétique et de cosmétique. Après avoir travaillé quelques mois comme professeure de dessin dans une école, sa passion pour le maquillage s’est de nouveau manifestée comme une évidence. Son goût pour le beau a toujours été là. « Il ne faut pas savoir dessiner, mais il faut aimer les couleurs, savoir les harmoniser et avoir un peu la fibre artistique. On peut apprendre les techniques de maquillage de A à Z, mais la créativité est une qualité en soi et on la développe avec l’apprentissage et l’expérience », affirme-t-elle, tout en ajoutant que pour se faire connaître, le parcours n’était pas facile. Elle a commencé d’abord à faire un bon carnet d’adresses qui renfermait toutes ses relations. La présence sur les réseaux sociaux a été aussi impérative, cela a permis d’accroître sa visibilité et sa notoriété.
De l’art et du business
Depuis, la makeup artist n’a pas cessé de repousser les limites de son art, s’imposant aujourd’hui comme une maquilleuse professionnelle. « Sortir de l’anonymat demande un travail acharné, constant, qui nécessite d’alimenter les réseaux sociaux par des contenus différents. Par exemple, la clientèle qui me sollicite me choisit pour ma touche qui lui parle, l’inspire. C’est pour cela que j’essaie de cultiver ma propre identité, sans imiter les autres, et ce, en ayant ma propre signature de makeup artist, comme un photographe ou un designer », dit cette jeune maquilleuse, suivie par des milliers de followers et qui, petit à petit, a réussi à se faire une renommée sur les réseaux sociaux.
Chaque occasion a son maquillage, chaque femme son style, dit Haidy El-Chérif.
Une renommée, mais aussi pas mal d’argent. De nombreuses jeunes femmes se lancent aujourd’hui dans cette profession lucrative. Le secteur est devenu extrêmement compétitif. Et chacune met ses tarifs comme elle a envie. Pour une mariée par exemple, cela commence par 5 000 L.E. et peut atteindre 25 000 L.E., voire bien plus.
Haidy Al-Chérif, 31 ans, diplômée de la faculté de communication de masse de l’Université du Caire, a toujours beaucoup aimé le dessin, la peinture et les couleurs. C’est en maquillant ses amies et les filles de sa famille lors des noces qu’elle pourrait en faire son métier. Elle a commencé à prendre des stages au Liban et en Egypte et à suivre des cours en ligne. « Le maquillage représente pour moi non seulement une forme d’art, mais aussi un moyen de détente. C’est une expression de ma personnalité, il me permet de laisser libre cours à mon imagination, de véhiculer des messages. Le maquillage est une libération », dit-elle, tout en assurant que les débuts sont souvent difficiles et qu’il faut être très patient pour réussir. « Les coûts sont importants et il faut du temps pour construire une clientèle », souligne-t-elle. Car il faut avoir du matériel varié et de qualité. Aujourd’hui, une valise de maquillage professionnel dépasse facilement les 150 000 L.E.
Des formations à prendre au sérieux
Sophistiqué ou naturel, du matin ou du soir, chaque type de maquillage a ses propres palettes de couleurs et se déploie sous les minutieux gestes des maquilleuses. Offrant une plateforme aux makeup artists du monde entier, Instagram, ainsi que les autres réseaux sociaux ont aidé cette profession à pouvoir exploiter son plein potentiel. Le grand public a pu découvrir sur ces plateformes visuelles le travail exceptionnel des maquilleurs et maquilleuses.
Au fil du temps, la profession a évolué. Heba Mourad, sociologue à l’Université de Aïn-Chams, explique qu’autrefois, le maquillage était souvent relégué au second plan, étant considéré comme une extension des compétences du coiffeur. Mais aujourd’hui, le maquillage est devenu une forme d’art à part entière, avec ses propres techniques, tendances et experts. Ainsi est née la profession de makeup artist, qui a connu une croissance exponentielle ces dernières décennies, devenant un métier lucratif.
« Dans le passé, la plupart des femmes se contentaient d’appliquer un maquillage basique, souvent limité à du rouge à lèvres et du fard à joues, et se tournaient vers leur coiffeur pour des conseils en matière de maquillage pour des occasions spéciales. Et avec l’avènement des médias sociaux et l’explosion de la culture de la beauté en ligne, le maquillage est devenu un moyen d’expression personnel et artistique. Les femmes ont commencé à expérimenter avec une gamme de produits, de couleurs et de styles, ce qui a créé une demande croissante pour des professionnelles du maquillage hautement qualifiées et créatives », explique Heba Mourad. Elle ajoute qu’aujourd’hui, de nombreuses écoles de maquillage offrent des programmes complets couvrant une gamme de techniques, de styles et de produits, allant des bases du maquillage aux techniques avancées de contouring. Sans compter les makeup artists expérimentés proposant des ateliers et des master-classes pour partager leur expertise.
Pour Annan Amr, le maquillage est un véritable art qui requiert de la pratique et de l’expérience.
Toute une histoire
En effet, l’origine du maquillage remonte à l’Egypte Ancienne, soit environ 4 000 ans av. J.-C. Il a tout d’abord été utilisé pour des raisons religieuses lors des rites funéraires pour les embaumements. Il permettait de donner un aspect propre et juvénile pour rejoindre les dieux dans l’au-delà. « La civilisation égyptienne a été la première de l’Histoire à utiliser le maquillage pour embellir le visage et le corps. Les Egyptiens portaient une attention particulière à leur apparence physique et à leur hygiène corporelle. C’était le seul peuple de l’antiquité à se raser intégralement et à se mettre de l’huile parfumée pour protéger leur peau. Ils avaient une très grande connaissance de la chimie cosmétique et fabriquaient eux-mêmes leurs produits », explique Dr Magda Abdallah, historienne et professeure agrégée d’art et d’architecture, tout en soulignant que le maquillage avait une place importante dans la culture égyptienne. Tout comme Cléopâtre, les Egyptiens dessinaient le contour de leurs yeux en noir à l’aide du « mesmedet », une poudre sous forme de minerai de plomb dérivé de la galène et ce, pour souligner le regard. Le « mesmedet » n’est autre que l’ancêtre du khôl.
Selon Dr Abdallah, bien que le maquillage existe depuis l’antiquité, il s’est répandu surtout au XVIe siècle, chez les aristocrates. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, son utilisation explose, tant chez les femmes que chez les hommes, pour se distinguer dans l’espace public. Au XIXe siècle, le maquillage est critiqué et rejeté. « Les seules femmes qui se maquillent sont les femmes de petites vertus. Ce sont aussi les femmes qui montent sur scène », précise-t-elle. Le maquillage devient ensuite plus cosmétique et il est plutôt appliqué sur la peau avec des crèmes adoucissantes et de la poudre de riz. Cependant, l’apparition du cinéma au XXe siècle contribue au retour du maquillage, qui devient un langage social. L’industrialisation du maquillage et l’essor des grands magasins répandent son utilisation. Bref, de Cléopâtre aux stars d’aujourd’hui, les cultures du monde entier ont utilisé le maquillage sur les femmes et les hommes pour modifier leur apparence, et dans certains cas, indiquer leur statut.
Un maquillage professionnel réside dans la perfection des détails.
Le monde du maquillage est en constante évolution, encore plus aujourd’hui avec les médias sociaux qui répandent les dernières tendances. Et il touche désormais toutes les catégories. Hanan Mokhtar, propriétaire d’une académie de maquillage au gouvernorat d’Assiout, a toujours voulu avoir son propre business. Hanan mise sur ses compétences et se fixe un objectif à atteindre. Innover et offrir de meilleurs services à ses clientes. « L’art du maquillage est l’une des compétences que vous développerez au fur et à mesure que vous allez acquérir de l’expérience. Vous apprendrez quels sont vos produits préférés, ce qui convient le mieux à certains teints de peau, comment travailler avec différents outils, quelles couleurs d’ombres à paupières conviennent le mieux à certaines couleurs d’yeux, et bien d’autres choses encore. Qu’il s’agisse d’un trait d’eye-liner parfait, d’une lèvre magnifique ou d’une technique de contournement correcte, un maquillage professionnel réside souvent dans la perfection des détails », explique-t-elle à ses étudiantes en essayant de leur transmettre sa passion dans une société conservatrice en Haute-Egypte. Et de conclure : « Ce qui nous plaît le plus dans notre métier, c’est le bien-être, la détente et la joie que nous voyons dans les yeux des mariées ».
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