Al-Ahram Hebdo : Pourquoi la dernière escalade de violence autour d’El-Fasher, au Darfour, inquiète-t-elle autant la communauté internationale tandis qu’une guerre dévastatrice sévit au Soudan depuis plus un an ?
Dr Mona Soliman : Le Soudan a déjà été le théâtre de plusieurs guerres civiles, notamment celle qui a abouti à la création du Soudan du Sud. Mais cette fois, la guerre a éclaté à travers tout le pays et le paralyse. Chaque gouvernorat souffre de la guerre. En même temps, la situation attise les velléités d’autonomie ou d’indépendance. Donc, chaque province a ses propres objectifs. Depuis que le conflit actuel a commencé entre Abdel-Fattah Al-Burhan, chef de l’armée, et Mohamed Hamdan Daglo dit Hemedti, à la tête des Forces de Soutien Rapide (FSR), chaque partie a créé des alliances internes et externes. Sur le terrain, cela se traduit par une guérilla qui oppose les partisans des deux camps dans chaque ville. Et dès le déclenchement de cette guerre, les analystes ont prévenu des dangers qu’elle représente et de la situation catastrophique dans laquelle va se trouver le Soudan. Mais, la communauté internationale a fait la sourde oreille en pensant que l’un des deux camps allait vite l’emporter. Par exemple, aucune conférence n’a été organisée pour résoudre la crise soudanaise. Les envoyés spéciaux désignés par l’ONU sont restés impuissants et leurs déplacements au Soudan étaient rares. En plus, le monde était occupé par la guerre en Ukraine. Ensuite, la guerre contre Gaza a attiré toutes les attentions. Pendant ce temps, le conflit civil au Soudan s’est intensifié et a divisé le pays. C’est dans ce contexte qu’est intervenue la dernière prise, par les FSR, de la ville de Mellit, située à 70 km d’El-Fasher, dans la région du Darfour du Nord. 2,5 millions de riverains et de déplacés sont massés à El-Fasher, la seule ville de cette immense région de l’ouest du Soudan à ne pas être tombée aux mains des FSR et Hemedti veut conquérir plus de terres. Cette nouvelle escalade des tensions souligne l’urgence pour la communauté internationale de promouvoir une résolution pacifique de la crise au Soudan. C’est pourquoi le Conseil de sécurité a appelé, le 3 mai, les autorités soudanaises à mettre un terme à toute accumulation de forces militaires et à prendre des mesures concrètes pour désamorcer la situation. Mais cet appel reste pour l’heure sans réponse.
— Les récentes évolutions à El-Fasher sont-elles déterminantes sur le cours de la guerre ?
— Après plus d’un an de combats acharnés, la guerre n’a pas été militairement tranchée. Et comme pour tous les conflits, il faut, à un moment ou à un autre, passer à la table des négociations. Pour le moment, chaque partie tente de renforcer sa position sur le terrain avant d’en arriver aux négociations. En même temps, au Soudan, la question est difficile car chaque camp a ses alliés qui le soutiennent politiquement, économiquement et militairement. Ce qui fait que la solution passe par une entente entre les alliés étrangers des parties soudanaises.
— Quels sont les possibles scénarios à venir ?
— Le sommet annuel de la Ligue arabe se tiendra le 16 mai à Bahreïn. Bien sûr, la guerre de Gaza va prendre la part de lion dans les discussions. Mais, la crise soudanaise sera aussi sur l’agenda, les dirigeants arabes vont examiner les compromis suggérés pour arrêter cette guerre. Les analystes estiment qu’une médiation arabe est possible pour établir un cessez-le-feu. Mais, on doit prendre en considération que plusieurs pays arabes sont en proie à des situations critiques, comme le Liban, le Yémen, la Libye ou la Syrie. Tous ces pays attendent aussi un règlement à leurs crises. Ce qui ne pousse pas à l’optimisme. L’ONU peut également intervenir et adopter une résolution qui appelle à un cessez-le-feu avec de vraies sanctions pour obliger les deux camps à présenter des concessions. Le dernier scénario et le plus probable est la poursuite de la guerre des années encore.
— Mais un prolongement de la guerre présente de sérieux risques humanitaires, alors que la situation est déjà catastrophique …
— En effet, selon l’ONU, près de 6,7 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du Soudan et la situation reste très dangereuse. Dans le même temps, des milliers de personnes continuent de quitter le Soudan chaque jour en quête de sécurité dans les pays voisins. A ce jour, 1,8 million de personnes ont rejoint les pays voisins. Le bilan établi par l’envoyé spécial américain pour le Soudan, Tom Perriello, est alarmant : 18 millions de personnes en insécurité alimentaire, 5 millions au bord de la famine et 8 millions de déplacés. D’où l’urgence, pour la communauté internationale, d’agir rapidement.
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