Samedi, 02 novembre 2024
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L’exil, la guerre et l’écriture

Lamiaa Alsadaty , Mercredi, 01 mai 2024

Dans le cadre du Festival culturel de l’AUC, organisé au campus du centre-ville du Caire du 17 au 22 avril dernier, une rencontre-débat s’est tenue avec deux écrivains arabes dont les pays souffrent des tourments de la guerre : le Palestinien Ibrahim Nasrallah et le Soudanais Hamour Ziada.

L’exil, la guerre et l’écriture
Ibrahim Nasrallah et Hamour Ziada évoquent leurs villes de coeur, au Festival de l’AUC à Tahrir.

Ecrire sur la ville dépasse le simple acte de décrire ou même de s’exprimer. Dans un contexte moyen-oriental où plusieurs villes souffrent de conflits comme le cas du Soudan ou d’occupation comme la Palestine, écrire devient un engagement contre l’oubli, une mission pour garder son patrimoine. L’écrivain entretient alors avec sa ville natale un rapport d’influence réciproque.

Telle était l’idée véhiculée par les deux écrivains Ibrahim Nasrallah (Palestine) et Hamour Ziada (Soudan), oscillant constamment entre mémoires individuelle et collective pour essayer de reconstituer les traits de leurs villes, et par la suite de leurs pays.

« On est influencés par tout ce qui nous entoure : les villes comme les Hommes. Et c’est la fusion entre ces deux avec l’imaginaire qui fait naître ce qu’on appelle la littérature. On est également touchés par les transformations que subissent les villes. Je suis né dans la moitié des années 1950, toutes les villes que j’ai connues ont changé. Des Hommes, des quartiers sont morts, et d’autres sont nés, des bâtiments ont été démolis et d’autres y étaient implantés. Le camp de réfugiés où je naquis a connu à son tour plusieurs changements », a souligné Ibrahim Nasrallah, durant la rencontre qui s’est déroulée dans l’ancien campus de l’Université américaine du Caire (AUC).

Ce dernier a élaboré un projet d’écriture à partir de 1985, qu’il a intitulé Al-Malhah Al-Falastiniya (le tragi-comique palestinien). Ce projet aspire à transformer l’histoire orale de la Palestine d’avant 1948 en récits écrits et bien documentés.

Le déplacement, au sens large, l’a vraiment marqué, et lui a inspiré un nombre important de ses oeuvres dont son premier roman Barari Al-Homma (les prairies de la fièvre) qu’il avait rédigé en travaillant comme professeur dans Al-Qonfoda, village désertique de l’Arabie saoudite, où il a passé plusieurs années. « L’influence du déplacement persiste dans mes oeuvres, d’ailleurs, on la retrouve dans mon dernier roman Al-Sira Al-Taëra (la biographie volante). Dans celui-ci, j’aborde mon histoire personnelle de Palestinien qui bouge d’une ville à l’autre, et dont le pays lui manque énormément. Le camp où je suis né m’a beaucoup marqué aussi. Normal, ce fut l’endroit représentant les divers aspects de la Palestine, dans lequel un habitant de Jaffa côtoyait celui de Jérusalem, etc. », a-t-il indiqué lors du colloque.

Contrer l’oubli et l’effacement

Né à Omdurman en 1979, Hamour Ziada a vécu au Caire pendant dix ans, avant la chute du régime de Omar Al-Béchir. « Ce qu’il y a de plus dur dans la vie, c’est d’être obligé de se détacher de son pays, et de partir seul, accompagné de sa mémoire. Quand je suis arrivé pour la première fois au Caire, la situation au Soudan n’était pas aussi difficile. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr si j’aurai la possibilité de me rendre un jour à Omdurman, mais ce dont je suis certain c’est que je continuerai à écrire sur cette ville et ses habitants. Au début, j’écrivais sur une ville microcosme, influencé par l’univers de Naguib Mahfouz, maintenant, je dois assumer toute une autre mission qui consiste à maintenir ma ville, mon pays, en vie, rien que sur papier », a-t-il souligné. Pour ce faire, il n’a de cesse d’évoquer son pays, ses us et coutumes dans ses oeuvres, comme son recueil Al-Noum Ind Qadamay Al-Gabal (dormir au pied de la montagne) dont l’une des nouvelles Satamout Fil Echrine (tu mourras à l’âge de 20 ans) a été adaptée dans un film éponyme d’Amgad Abou-Alaa, avec beaucoup de succès.

Selon Nasrallah, l’effacement est un acte systématique en Palestine : les noms des villes ont été remplacés par d’autres noms hébreux, cet effacement atteint son apogée avec l’élimination des hommes, des vrais habitants des lieux. L’écriture doit se faire alors de manière impeccable, pour garantir que ses lieux persistent dans la mémoire. Ainsi, il a écrit une biographie poétique sur l’enfant palestinienne de 4 ans Iman Hegou, bombardée par les Israéliens. Il a éternisé sa mémoire dans Maraya Al-Malaëka (miroir des anges). « Je me souviens quand j’ai envoyé la première version à sa mère, cette dernière m’a dit : Iman est désormais plus vivante que jamais, nul ne pourrait la tuer ! », rappelle l’écrivain palestinien.

Peut-on récupérer la patrie par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs personnages ? Cette question a été soulevée par le modérateur du débat, Mostapha Al-Tayeb, et c’était aux deux invités d’y répondre. « Tout le monde essaye d’empêcher le Palestinien de retourner chez lui. Toutefois, l’idée continue de l’habiter : la catastrophe de la Nakba se poursuit, mais aussi le rêve du retour persiste », a promptement dit Nasrallah, tandis que Hamour Ziada a répliqué : « Aujourd’hui, je suis entouré de ma grande famille, dont plusieurs membres sont venus au Caire. Lorsqu’un de mes proches est décédé, on a tenu un deuil exactement comme on le fait à Omdurman. Je ne sais pas si c’est une bonne chose ou une mauvaise ».

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