Classé par le magazine américain Forbes comme l’un des 50 meilleurs chefs au monde préparant les falafel égyptiens, Mostafa Al Rifaye s’est lancé dans le monde de la cuisine par pur hasard.
Etoilé aussi dans Autodidacte, il a mis 27 ans afin d’affiner ses connaissances et de trouver sa voie. Sa passion pour la cuisine l’a propulsé vers le succès. Sa chaîne de restauration rapide Zooba s’est hissée, en 2023, à la 9e place au Proche-Orient et en Afrique du Nord et à la 1re place en Egypte.
Son histoire commence en 1997, lorsqu’il part aux Etats-Unis afin de faire des études en psychologie. Il est obligé de travailler pour couvrir ses dépenses. « J’ai été embauché comme commis de cuisine. Je grattais les restes de nourriture dans les assiettes, les casseroles et les poêles. Je lavais la vaisselle et nettoyais le matériel de cuisine », se souvient-il.
Son père était médecin, lui-même titulaire d’un diplôme de tourisme et marié à une femme qui a fait des études de lettres. Mostafa se posait la question jusqu’à quand il continuerait à faire ces petits boulots, mal vus dans son entourage familial.
Le propriétaire du restaurent italien dans lequel il travaillait lui a donné la chance de faire ses débuts en tant que cuisinier. Il passait la matinée à faire les tâches du commis et l’après-midi, il préparait des spécialités italiennes. Réputé pour son élégance, il n’a cessé de raffiner ses techniques.
« Je côtoyais de grands chefs cuisiniers comme Khaled el Nemr, c’est la personne qui a le plus influencé ma carrière aux Etats-Unis ». Al Rifaye s’est rendu en Italie, en France, en Thaïlande … pour découvrir les dernières tendances gastronomiques. Il prenait des notes, essayait de nouvelles recettes et revisitait les plats classiques de la cuisine égyptienne, en y ajoutant des touches modernes. « Le succès d’un cuisinier ne dépend pas uniquement de son talent, mais aussi de sa culture et de son assiduité », dit-il. Et d’ajouter : « Malheureusement, la cuisine de nos ancêtres n’a pas de particularité précise, comme c’est le cas de la gastronomie libanaise ou syrienne ». Les mets qui remontent à l’Egypte Ancienne ne sont pas mentionnés dans les livres de cuisine. Mostafa, lui, a décidé de faire des plats populaires sa spécialisation, dont notamment les falafel (taemiya). Minutieux et rapide à la fois, aucun détail ne lui échappe. Au cours de sa longue carrière, il a appris à résister au stress et à la fatigue. « Dans le concours où j’ai été étoilé, j’ai cuisiné 50 kilos de falafel en cinq heures. C’était au Borough Market, un marché au centre de Londres dont l’histoire remonte à 1755 ». Plus de 500 visiteurs sont venus d’Egypte, de Palestine, d’Arabie saoudite, d’Iraq, de Syrie, du Liban ... Les plus gourmets ont été séduits en grignotant les falafel croustillants du chef égyptien.
« Chaque chef doit avoir ses secrets. Il doit constamment renouveler ses menus pour continuer à épater sa clientèle. Il doit être créatif même en préparant les plats les plus classiques. Le plus important dans la recette de falafel est de bien épicer les ingrédients avec des herbes fraîches, du persil et de la coriandre, mais aussi avec des épices comme le cumin en poudre ; il faut également ajouter de l’ail ». Al Rifaye s’est spécialisé aussi dans la préparation du foul (fèves), en variant les goûts et en s’inspirant des recettes répandues dans plusieurs gouvernorats. Par exemple, dans les villes proches de la Méditerranée, l’huile d’olive est indispensable pour assaisonner le plat de fèves, tandis qu’en Haute-Egypte, notamment dans les régions pauvres, on fait revenir l’ail dans du beurre clarifié et on ajoute du concentré de tomate pour obtenir un plat consistant pour le déjeuner. « La méthode de cuisson et le rajout de certains éléments comme les pois chiches, le riz et les lentilles jaunes servent à relever le goût du foul et à lui donner une texture douce et crémeuse », dit Al Rifaye.
PDG de l’Association des chefs égyptiens, Al Rifaye est sorti gagnant de « la guerre des falafel ». « Je n’avais qu’une obsession en passant d’un concours à l’autre, celle de célébrer une délicieuse victoire contre Israël. Il s’agit ici d’une petite guerre, certes, une guerre gastronomique ». A un moment donné, le chef a sérieusement envisagé d’intenter un procès contre Israël, qui affirme être à l’origine des falafel et qui tente de s’approprier le plat du foul, en le commercialisant sous un label israélien. « C’est une petite victoire, mais elle nous a permis de prouver que les falafel sont une spécialité égyptienne et non israélienne et que leur origine remonte probablement au temps des pharaons. Les coptes (chrétiens d’Egypte) ont toujours mangé des falafel pendant le carême, période durant laquelle il est interdit de manger de la viande. Ils ont hérité de cette recette de l’Egypte Ancienne », avance Al Rifaye qui n’a pas hésité à ses débuts à fréquenter les meilleures écoles culinaires du monde, telles que Henry Ford, basée à Dearborn, dans le Michigan, aux Etats-Unis. C’est là qu’il a acquis une bonne formation et a affûté ses techniques pour répondre aux normes mondiales.
Dans ce genre d’école, il incombe à chaque stagiaire de choisir un ou plusieurs plats de chez lui et d’essayer de les perfectionner. « J’ai toujours opté pour des plats égyptiens comme le foul (purée de fèves aromatisée à l’ail et à l’huile d’olive), le kochari (mélange de riz, de lentilles brunes et de macaronis, garni d’oignons frits et d’une sauce tomate épicée) et les falafel, préparés avec une purée de fèves et de persil ».
Du jour au lendemain, il a décidé de créer sa propre entreprise en 2012, deux ans après son retour en Egypte, et il a ouvert une première branche dans le quartier huppé de Zamalek. Il ne craignait rien, avait son diplôme d’art culinaire en poche et une grande expérience dans plusieurs restaurants italiens de qualité. Son épouse ne partageait pas sa certitude, elle avait peur que le projet n’échoue. « C’était une période cruciale. La révolution qui venait de secouer le pays a fait aussi trembler la gastronomie. Si on ne suit pas les dernières tendances, on prend rapidement du retard », disait sa femme. « En plus, lorsque l’économie vit des moments difficiles, c’est l’un des premiers secteurs touchés. L’activité est en net recul, la clientèle est de plus en plus rare, les propriétaires des magasins ne parviennent plus à couvrir les dépenses mensuelles de leurs commerces : salaires des ouvriers, factures d’électricité, impôts, etc. », lui répétaient ses amis.
Mais Al Rifaye était obsédé par son idée, jugeant que le temps était propice pour commencer son projet. Son partenaire Chris, un banquier qui a la double nationalité égypto-américaine, a effectué des études de faisabilité et une analyse du marché et ils se sont lancés dans l’aventure.
Le succès était au rendez-vous. « Nous avons réussi à investir à un moment critique de l’histoire du pays, juste après la Révolution de 2011 », se souvient le chef de cuisine, toujours optimiste. Et d’ajouter : « Des fois, je me demande si nous étions fous d’avoir faire ça. Nous avons quand même convaincu notre clientèle d’acheter un sandwich de foul ou de falafel à 5 L.E., alors qu’il coûtait 2 L.E. ailleurs. Un défi. Mais les consommateurs étaient prêts à payer en échange d’une meilleure qualité ».
Aujourd’hui, sa chaîne de restauration possède 11 branches répandues un peu partout en Egypte. « Nous avons ouvert en 2017 une branche à Manhattan à New York, connue pour être la capitale de la gastronomie internationale. Cette banlieue industrielle a réussi à transformer ses anciens ateliers en bistrots, où tout le monde se nourrit à toute heure de la journée assis, debout, en parlant au téléphone ». Il a ouvert aussi à Bahreïn et en Arabie saoudite et envisage d’inaugurer une 12e branche aux Emirats arabes unis en 2025.
« La caractéristique la plus importante d’une chaîne de restaurants c’est la standardisation. Les clients savourent le même goût dans n’importe quelle branche, quel que soit l’endroit, ce qui donne un sentiment de confiance », conclut-il.
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