D’une guerre de l’ombre à une guerre ouverte ? C’est la question qui préoccupe le monde depuis que l’Iran a lancé, dans la nuit du samedi 13 au dimanche 14 avril, une attaque contre Israël avec des centaines de drones et de missiles. Une attaque menée en riposte à la frappe attribuée à Israël qui a détruit le consulat iranien à Damas le 1er avril et qui a provoqué la mort de 16 personnes, dont sept membres des Gardiens de la Révolution.
L’attaque iranienne, en soi, n’est pas de nature à provoquer un conflit plus large : elle est d’une ampleur limitée, elle n’a ni provoqué de dégâts, ni ciblé des sites stratégiques, et Téhéran aurait donné aux pays voisins et aux Etats-Unis un préavis de 72 heures avant de la lancer. Si Washington démentit avoir été prévenu, tout porte à croire que la version iranienne est la bonne. D’un côté, elle a été appuyée par des responsables turcs, jordaniens et iraqiens, de l’autre, il semble clair que l’Iran ait planifié une attaque mesurée, d’une envergure minime, comme le pense le chercheur au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques et spécialiste de l’Iran, Ali Atef. Ce dernier estime même que « Washington a donné son feu vert ». « Les Iraniens ne veulent pas d’escalade, ils ont même annoncé l’attaque dès le lancement des drones et des missiles », dit-il. « C’est une attaque de façade dont le but est de contenir le mécontentement interne et des alliés de Téhéran (le Hezbollah, les Houthis, les milices pro-iraniennes d’Iraq) qui attendaient depuis deux semaines la réponse iranienne », estime, de son côté, Dr Mona Soliman, politologue et professeure de sciences politiques, qui va jusqu’à décrire ce qui s’est passé de « mise en scène ».
Mais pourquoi donc cette attaque ? Et quels en sont les objectifs ? « L’Iran devait riposter pour plusieurs raisons : d’abord pour ne pas revenir sur le principe de dissuasion, puisque la frappe contre le consulat est considérée comme une attaque contre le territoire iranien. Ensuite pour sauver la face », explique Ali Atef.
L’Iran « n’a pas eu d’autre choix que d’exercer son droit à l’autodéfense », a, en effet, déclaré son ambassadeur à l’ONU, Amir Saeid Iravani, lors de la réunion du Conseil de sécurité convoquée dimanche 15 avril suite à ces développements, accusant le Conseil de sécurité d’avoir « failli à son devoir de maintenir la paix et la sécurité internationales » en ne condamnant pas la frappe du 1er avril contre le consulat iranien à Damas et assurant que Téhéran ne voulait pas d’escalade mais qu’il répondrait à « toute menace ou agression ».
Une tempête dans un verre d’eau ?
Au pire une mise en scène, au mieux une attaque pour la forme ? Mais pourquoi donc tous ces appels à la retenue qui fusent de toutes parts et qui mettent en garde contre un embrasement dans la région ? Tout simplement parce que c’est une attaque inédite directe contre le sol israélien et qu’un cap a ainsi été franchi. Le 1er avril, une ligne avait déjà été franchie avec une frappe aérienne attribuée à Israël contre le consulat de l’ambassade d’Iran à Damas. Entre Israël et l’Iran, la guerre de l’ombre ne date pas d’hier. Israël a souvent ciblé, sans le reconnaître, des responsables militaires ou des sites iraniens dans des pays tiers, notamment en Syrie. L’Iran, de son côté, par l’intermédiaire de ses proxys, notamment le Hezbollah et les Houthis, a également souvent ciblé Israël. Mais cette fois-ci, une ligne rouge a été franchie. Et c’est pour cela que l’importance de l’attaque iranienne ne se mesure pas à l’aune de ses résultats miliaires.
Nous sommes donc face à une nouvelle équation dans la dissuasion entre Israël et l’Iran. Toute la question est de savoir quelle sera la riposte à la riposte et si elle entraînera à son tour une réponse iranienne. Ce qui donnera lieu à un cercle vicieux d’attaques et de contre-attaques.
Selon les analystes, on ne va pas en rester là. Israël, qui traditionnellement a une zéro tolérance si son sol national est directement frappé, a clairement exprimé son intention de riposter. Plusieurs responsables l’ont ouvertement promis, comme le chef d’état-major de l’armée israélienne, Herzi Halevi, et le porte-parole de l’armée, Daniel Hagari, qui a affirmé : « Nous le ferons à l’occasion et au moment que nous choisirons ». Mais l’ancien chef du renseignement militaire israélien, Tamir Hayman, est allé plus loin, déclarant sur X que la « réponse israélienne interviendra sur le sol iranien ».
Israël s’en prendra-t-il au nucléaire iranien ? La question inquiète. Et les avis divergent. Pour Mona Soliman, « la réponse israélienne sera elle aussi d’une ampleur limitée, mais Israël ne peut pas ne pas réagir ». En revanche, pour Ali Atef, « pour Israël, c’est l’occasion ou jamais d’agir contre l’Iran. Israël veut cibler certaines zones militaires iraniennes et, peut-être de manière très mesurée, des sites nucléaires ». Selon lui, « à l’origine, l’attaque contre le consulat avait pour but de pousser l’Iran à riposter pour qu’on arrive à ce stade. Israël veut se débarrasser d’un certain nombre de dossiers avec l’Iran, le nucléaire : les missiles balistiques, les drones », dit-il.
Et pendant ce temps, à Gaza …
Pour le moment donc, « Israël, comme l’Iran, vont exploiter ces développements pour servir leurs propres agendas ». En effet, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, qui a toujours fait de l’Iran son plus grand ennemi, n’a pas manqué d’appeler, dans un message sur X, la communauté internationale à « rester unie » face à l’Iran qui « menace la paix mondiale ». Paradoxalement, « Netanyahu est le grand gagnant, il en sort renforcé dans sa position à l’encontre de l’Iran et de la menace qu’il représente. Il va l’exploiter pour rester au pouvoir et pour avoir plus d’aides militaires occidentales », estime Soliman. Voire plus, pour renforcer sa guerre contre Gaza.
« On dit même que la frappe contre le consulat iranien à Damas avait pour but de faire diversion, alors que Netanyahu est en mauvaise posture et que, malgré l’intensité de la guerre à Gaza, il est largement critiqué à l’intérieur. D’où la provocation lancée à Téhéran pour détourner l’attention des Israéliens vers ce qu’il considère comme la menace étrangère », explique Atef.
Car pendant ce temps, Israël poursuit et intensifie sa guerre contre la bande de Gaza. L’armée israélienne a même annoncé cette semaine qu’elle ferait bientôt appel à deux brigades de réserve. Peut-être en vue d’une opération à Rafah, pendant que les regards sont tournés vers l’Iran.
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