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Taher Alwan : Un maître du cinéma Iraqien

Houda Belabd, Mardi, 17 décembre 2013

Cinéphile dans l’âme, le professeur Taher Alwan est aux commandes de son propre Festival du film à Bagdad. L’universitaire voue aussi un grand amour pour l’écriture et la littérature engagées. Et cette année, il a brillé de mille feux.

Taher Alwan
Taher Alwan.

Le cinéma universel a son grand homme en Iraq. Taher Alwan, pour le nommer, n’en est à ses balbutiements ni en écriture de chroniques cinématographiques, ni en critiques et analyses du genre. Il s’agit même d’un grand maître des mots. D’un universitaire dont la parole est d’or. Voire, d’un pilier du paysage cinématographique iraqien. S’il a le verbe facile, il a également une grande aptitude à jongler avec les domaines dans lesquels il excelle. S’il est universitaire le jour, le soir il se convertit en critique d’art. Cependant, il reste un spécialiste de cinéma à tout moment.

Doctorat en sciences du cinéma en poche couplé à une énorme connaissance en arts audiovisuels, voici comment cet universitaire iraqien a réussi à percer dans le monde du septième art. Son inclination pour ce domaine ne naît pas d’hier. En effet, cet ancien journaliste et rédacteur en chef de nombreux magazines culturels arabophones a même sillonné le bassin euro-méditerranéen lors de ses diverses missions d’universitaire et de spécialiste en cinéma, il y a plus d’une décennie de cela. Cet engouement hors du commun l’a même mené jusqu’au Danemark enneigé où il a enseigné les arts audiovisuels pendant de longues années.

Le cinéma ? Il en rêve de jour comme de nuit. Et pour se reposer des longues heures du travail, il regarde des films ! Lorsqu’il compose sa revue de presse quotidienne ou hebdomadaire, il commence par les pages qui traitent des arts en général et du cinéma en particulier. Que ce soit chez lui, dans son bureau, lors de ses déplacements professionnels ou lors de ses passe-temps favoris, il voit « toujours les mêmes têtes ». Celles des célébrités. Aujourd’hui, il les tutoie, comme il les côtoie souvent !

Le cinéma iraqien est inséparable de sa vie et c’est réciproque d’ailleurs. Lui aussi est devenu indissociable du cinéma de ce pays du globe ! C’est d’ailleurs lui qui a lancé et épaulé, avec tout l’amour qui puisse exister sur terre, l’Association des spécialistes du cinéma iraqien. Une entité culturelle née en 2004. L’année d’après, il a daigné occuper le poste de rédacteur en chef du magazine iraqien Alam Al-Film (le monde du film). Une expérience professionnelle qui l’a rapproché de la presse culturelle de son Iraq chéri. Lors de la même année, il a lancé la première édition du festival du cinéma et du film français de Bagdad. « Avoir mon propre festival. Quoi de plus extraordinaire ? », se plaît-il à s’interroger. Toutefois, il ne pouvait que réaliser ce rêve qui lui traversait, timidement, l’esprit lorsqu’il était adolescent. Lui qui a travaillé d’arrache-pied pendant de longues années, afin d’arriver à un tel but. Mais loin de crouler sous le poids des tâches qui lui sont assignées, Taher a toujours ratissé plus large. Son dévouement pour l’art des frères Lumière est tel qu’il ne se passe pas un an sans qu’il assiste à — au moins — un festival de cinéma. Ce dynamisme débridé n’a, à aucun moment, gêné son emploi du temps d’universitaire. Et tout cela ne semble avoir rien d’étonnant venant de la part de celui qui a chapeauté le département audiovisuel de l’Institut des beaux-arts de Bagdad, entre 1991 et 1994.

Bizarrement, s’il est connu que le réconfort et les récompenses viennent après l’effort, Taher Alwan a réussi à inverser la tendance. En effet, les premières années de la vie de cet homme de lettres et d’arts furent marquées par les récompenses. En 1990 déjà, il décroche haut la main le premier Prix de la nouvelle à Paris, suite à un concours lancé par un célèbre magazine culturel iraqien. En 1993 et 1994, il enchaîne avec deux récompenses identiques mais à Bagdad. Chemin faisant, il décide de se tourner vers d’autres genres littéraires, dont la poésie, les essais culturels et les romans proprement dits.

Celui qui a toujours jonglé avec les mots comme d’autres le font avec les billes a écrit une dizaine de livres, de romans et d’essais spécialisés en cinéma et en arts, et ce, en moins de deux décennies. De ce fait, dire que le professeur Taher Alwan a plusieurs cordes à son arc serait un doux euphémisme. Aujourd’hui, ce grand homme du cinéma enchaîne avec bonheur sa trajectoire de spécialiste dans le domaine et sillonne les quatre coins du globe pour hurler, sur tous les toits, son amour pour ce domaine.

Selon ses mots, opter pour une carrière qui touche au septième art est tout sauf posséder un métier ordinaire. Car le cinéma est un langage universel qui vaut, à lui seul, toutes les politiques du monde. Autant dire qu’il constitue une institution riche en leçons et messages humanitaires. Autant, aussi, préférer le cinéma engagé à celui qui est purement commercial.

Certes, son positionnement dans la vie intellectuelle a réussi à galvaniser son envie de se donner corps et âme à son art fétiche. De plus, sa plume, bien affûtée, lui a permis d’accoucher, dans les colonnes de divers journaux, ses idées les plus engagées, parfois les plus enragées. A titre d’exemple, la guerre de son pays a fait en sorte que ses points de vue sociopolitiques deviennent inhérents à sa plume de critique d’art. De même, l’année 2011 n’a pas laissé indifférente l’oeuvre du maître. « Les vents coléreux dudit Printemps arabe sont devenus indissociables du cinéma du monde arabe. Ce qui est normal, a fortiori si l’on sait que leurs répercussions sur les liens diplomatiques des pays du monde ne peuvent qu’influer sur les messages artistiques de ces derniers. Le cinéma devient, alors, un transmetteur de messages politiques », fait-il remarquer.

Ce qui est vrai pour le cinéma l’est également pour l’écriture littéraire engagée. En avril dernier, le professeur Alwan a sorti un recueil de poèmes intitulé Ceci n’est pas une terre d’exil. Avec brio, l’homme a puisé une gaieté sans pareille dans son optimisme contagieux et a couché sur papier ses craintes vis-à-vis du climat politique de son pays ainsi que celui du monde arabe afin de les surpasser. Il a, en d’autres termes, mené le lecteur, le temps d’un recueil poétique, vers le bout d’un tunnel que l’on croyait infini, obscur et sinistre. Etrange similitude avec la réalité politique du monde arabe qui, à tour de bras, enchante et déchante, plaît et déplaît.

Pour l’universitaire, les arts et l’écriture permettent à tout être vivant d’aller au-delà de ses craintes sociopolitiques et l’exhortent à devenir une partie prenante du débat, aussi houleux soit-il. « Grâce à ces deux moyens, le citoyen, jadis prisonnier de ses propres appréhensions, devient maître de son vécu et incite les siens à sortir d’une bulle sociale qui a longuement été inextricable », entrevoit le maître des mots, avant d’ajouter avec une once d’allégresse : « Ce qui semble être invivable aujourd’hui ne tardera pas à se transformer en un mauvais et vieux souvenir, avec la volonté collective des cercles intellectuels de nos pays respectifs. L’avenir appartient à ceux qui écrivent, qui pensent et qui font du cinéma un porteur de messages aussi forts que réalisables ».

Porteur de messages, l’expression est lâchée. Cette année encore, ce spécialiste du septième art a porté au grand et au petit écrans la 5e édition du Festival international du film de Bagdad. Il s’agit du deuxième festival international du film, fondé et entièrement chapeauté par cet universitaire et critique d’art. De même, il importe de préciser qu’il a été lancé en 2009, à savoir 2 ans avant l’éclatement des premières émeutes du Printemps arabe. Et si lors de ses deux premières éditions, le festival a revêtu un aspect généraliste, il a, à partir de sa troisième tenue, décidé de sortir la carte de la spécificité. En effet, dorénavant, la quasi-totalité des films honorés par ce festival touche de près ou de loin aux révolutions arabes. De quoi confirmer que le climat politique est devenu intrinsèque de l’oeuvre des scénaristes et autres hommes du cinéma arabe.

Tout cela est pour dire que la vie de Taher Alwan s’assimile à un long fleuve tranquille jonché de victoires et pétri de talents. Aujourd’hui, le quadragénaire avance le coeur léger dans son train-train quotidien et tutoie la célébrité. Il est même décoré par d’innombrables ministres et ambassadeurs à l’échelle euro-méditerranéenne. Et s’il ne se souvient plus exactement du nombre des festivals auxquels il a assisté depuis ses débuts, il n’oubliera jamais la leçon qu’il en a tiré. « Pour réaliser ses objectifs professionnels les plus chers, il faut les déterminer clairement et travailler chaque jour pour que Dieu les réalise », témoigne-t-il.

Jalons

1991-1994 : Chef du département des arts audiovisuels de l’Institut supérieur des beaux-arts de Bagdad (Iraq).

1994-2002 : Professeur en arts audiovisuels à l’Université de Bagdad.

1998 : Participe au jury du Festival du film national de Bizerte (Tunisie).

2006 : L’Etre virtuel, roman publié chez l’éditeur espagnol Don Quichotte.

2007 : Participe au jury du Festival du cinéma indépendant de Bruxelles (Belgique).

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