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Mohamed Al-Kahlaoui : Les biens culturels sont dans un état précaire

Nasma Réda , Mercredi, 17 avril 2024

Mohamed Al-Kahlaoui, chef de l’Union des archéologues arabes, revient sur les dangers qui pèsent sur le patrimoine régional.

Mohamed Al-Kahlaoui

Al-Ahram Hebdo : Comment le monde arabe se prépare-t-il à célébrer la Journée internationale des monuments et des sites le 18 avril ?

Mohamed Al-Kahlaoui : C’est une journée sombre pour la plupart des pays arabes. Les drapeaux noirs devraient être hissés pour refléter l’état précaire du patrimoine arabe qui subit de lourdes pertes dues au pillage, aux fouilles illicites, aux conflits et aux bombardements, sans oublier les dangers liés aux changements climatiques. La situation patrimoniale, notamment à Gaza après le 7 octobre, ainsi qu’au Soudan, est désastreuse. Selon mon assistant au Soudan, Abass Saïd Ahmed, tous les musées et leurs entrepôts ont été pillés et la situation patrimoniale est catastrophique. Comment pouvons-nous donc célébrer cette journée alors que le patrimoine arabe est sans protection ? Les gouvernements et organisations arabes ne parviennent pas à arrêter les violations visant le patrimoine. Qu’avaient fait les pays arabes pour sauver les monuments du Yémen ? Des milliers de pièces anciennes sont sorties du Yémen pour être vendues sur les trottoirs en France, en Angleterre et partout dans le monde. En résumé, la Journée des sites et des monuments, de même que toute autre journée dédiée au patrimoine en général sont des journées tragiques car le patrimoine arabe souffre et est en danger. C’est une guerre contre l’identité et l’histoire.

— Comment les pays arabes peuvent-ils donc préserver leur patrimoine face aux catastrophes naturelles, aux conflits et aux guerres ?

— Il s’agit d’un rôle collectif des organisations et institutions internationales, ainsi que des gouvernements qui doivent agir pour sauver le patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel. Nous n’avons pas besoin de nouvelles conventions, chartes ou lois, mais de leur mise en oeuvre. Ces réglementations ont établi un cadre juridique clair pour la protection des biens culturels en cas de conflit. Cependant, l’efficacité de leur application est préoccupante. Certaines chartes prévoient par exemple une intervention urgente de l’Organisation des Nations-Unies pour sauvegarder les monuments et sites patrimoniaux. Pourquoi cette organisation ne réagit-elle pas pour protéger le patrimoine en Palestine, au Soudan, en Iraq ou au Yémen ? De même, pourquoi ne réagit-elle pas contre le trafic et la vente des pièces pillées aux enchères ?

— Est-ce que la documentation et l’enregistrement des sites et monuments peuvent-ils préserver le patrimoine arabe ?

— Il y a quelques années, face aux violations continues des sites et musées en Palestine, l’Union des archéologues arabes a lancé une initiative pour documenter quelques sites, surtout ceux de Gaza. C’est l’Union européenne qui a financé cette initiative et a envoyé une mission pour restaurer quelques sites. Lors du déclenchement des derniers bombardements, tous les documents, ainsi que les biens culturels conservés dans les entrepôts ont été malheureusement détruits et tout est perdu.

Par ailleurs, les lois concernant la préservation du patrimoine varient d’un Etat arabe à l’autre. Ce qui est antique dans un pays ne l’est pas dans d’autres. Raison pour laquelle quelques pays arabes sont devenus des voies pour le trafic des antiquités. Les pays arabes doivent collaborer ensemble pour appliquer une vision commune pour le patrimoine.

— La création de comités de crise peut-elle atténuer l’impact de ces dangers ?

— Ces comités dépendent des gouvernements et leurs recommandations ne vont jamais à l’encontre de la volonté des responsables. Malheureusement, nous constatons que pour exploiter un puits pétrolier, des zones archéologiques inscrites sur la liste du patrimoine mondial peuvent être détruites. Les exemples sont nombreux. En tant qu’archéologue, le mot « développement » n’apparaît pas dans les dictionnaires des zones archéologiques et historiques, mais les termes conservation, restauration et sauvetage y sont fréquents pour garantir la pérennité de leur entretien.

— Comment faire face aux changements climatiques ?

— Malheureusement, toutes les mesures coûtent très cher. Les changements climatiques constitueront l’un des défis majeurs du XXIe siècle. L’élévation du niveau de la mer et les inondations dues aux changements climatiques ont des effets dévastateurs sur les bâtiments. Prenant l’exemple des monuments de Rachid (Rosette) au nord de l’Egypte, où l’eau de la mer et de la pluie les menace. Egalement, les temples en plein air au Sinaï sont menacés par le vent fort et la poussière. Les archéologues égyptiens ont recommandé de placer des barrières en ciment jetées en Méditerranée, ainsi que des machines de pompage de l’eau en plus de planter des arbres d’eucalyptus pour faire face au vent fort. Mais le manque de financement reste toujours un grand obstacle.

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