Malgré l’intervention militaire française entamée afin de restaurer la stabilité en Centrafrique, les violences interreligieuses se sont aggravées ces derniers jours. L’Onu tire déjà la sonnette d’alarme : l’organisme international évoque un nombre de morts important, résultats des violences entre chrétiens et musulmans du pays, qui n’hésitent pas à s’entretuer à coups de machettes. «
Les combats et les violences interreligieuses de la semaine écoulée ont provoqué la mort de 450 personnes à Bangui et 160 autres dans ailleurs dans le pays », c’est ce qu’a indiqué vendredi dernier un porte-parole du HCR, qui a cité des bilans de la Croix-Rouge centrafricaine et du Conseil danois aux réfugiés. Toujours selon l’Onu, la violence en Centrafrique a fait 159 000 déplacés dans la seule capitale, Bangui. Ces déplacés sont répartis sur une quarantaine de sites, autour de l’aéroport, dans les mosquées et les églises.
Rien que jeudi dernier, 27 musulmans ont été tués par des milices chrétiennes dans un village de la région de l’ouest du pays, selon le Haut commissariat aux droits de l’homme. Ce dernier indique que le bilan de violence entre musulmans et chrétiens devrait encore s’alourdir, car chaque jour, de nouveaux corps sont découverts dans les quartiers et dans la brousse. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir de la rébellion Séléka — majoritairement composée de musulmans — en mars 2013 et le renversement du président Bozizé, chrétiens et musulmans vivaient en bonne entente dans ce pays de 4,5 millions d’habitants, chrétiens à 80 %.
Face à cette situation sanglante, les autorités religieuses des communautés chrétiennes et musulmanes ont multiplié les appels au calme et tentent de lancer des opérations communes, des dons de nourriture ou des cérémonies religieuses avec la présence de membres de l’autre communauté. Mais elles ne sont pas toujours bien accueillies.
Pour sa part, le président centrafricain, Michel Djotodia, a proposé samedi un dialogue aux milices chrétiennes, afin de réduire l’extrême tension qui règne dans Bangui où l’aide alimentaire aux déplacés de l’immense camp de l’aéroport a été suspendue en raison de menaces d’hommes armés de machettes. Dans un entretien à Radio France Internationale (RFI), Michel Djotodia assure que ces miliciens, qui ont pris les armes contre les ex-rebelles majoritairement musulmans de la Séléka qui l’ont porté au pouvoir, « ne sont pas des ennemis ». « Ce sont nos frères », affirme-t-il. « Je suis prêt à discuter non seulement avec les anti-balaka (anti-machette) mais aussi avec tous ceux qui sont épris de justice et de paix, je suis prêt à tendre la main », a ajouté Djotodia, devenu à la faveur de la rébellion le premier président musulman de Centrafrique, pays très majoritairement chrétien. Cette déclaration intervient après la suspension de la distribution d’aides alimentaires aux 45 000 déplacés du camp, les humanitaires du Programme alimentaire mondial et de l’ONG italienne Cooperazione Internacionale ayant été encerclés par des hommes, certains armés de machettes, à leur arrivée.
Quel rôle pour le Tchad ?
Selon des observateurs, le Tchad pays voisin, est omniprésent à tous les niveaux en République Centrafricaine (RCA). D’abord, avec la présence de 7 000 à 15 000 ressortissants à Bangui, mais aussi d’innombrables Centrafricains originaires du nord du pays, et considérés par la population comme des « Tchadiens », ainsi que des « Arabes » qui sont l’un des poumons de l’économie avec leurs commerces. Au plus haut niveau de l’Etat, avec des conseillers tchadiens affichés à la présidence qui font dire depuis de nombreuses années que la RCA est une province du Tchad. En 2003, François Bozizé avait pris le pouvoir avec le soutien des Tchadiens, et l’aval de Paris. Dix ans plus tard, c’est aussi le président tchadien Idriss Deby qui a armé et soutenu la coalition rebelle Séléka lors de son offensive victorieuse de mars 2013 sur Bangui.
Sur le plan diplomatique et militaire, le Tchad, en train d’émerger comme une grande puissance régionale, est aussi incontournable. Il exerce actuellement la présidence tournante de la Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale (CEEAC) et dirige l’agenda de l’Afrique centrale sur le dossier. Aussi, des ONG dénoncent de leur côté « le rôle trouble » du Tchad. Fabrice Tarrit, de Survie, relève « la grande responsabilité du président tchadien, Idriss Deby, dans la situation actuelle » en RCA.
Pour le secrétaire général de la CEEAC, le Tchadien Ahmat All-Amy, c’est l’ancien président, François Bozizé, renversé le 24 mars 2013, qui est responsable de la grave crise actuelle en RCA et donc, il doit être jugé par la Cour Pénale Internationale (CPI). « Personnellement, je pense que le principal coupable, celui qui doit être poursuivi par la communauté internationale et par la CPI, c’est monsieur Bozizé, qui a créé les anti-Balaka au mois de mars 2013, avant de quitter le pouvoir, qui a monté une partie de sa population contre les autres Centrafricains. C’est celui-là qui est responsable », explique Ahmat All-Amy. Il rappelle l’agression d’un campement de peuls à Boali, début décembre, une attaque attribuée à des miliciens anti-balaka. « Parce que la transition a été déstabilisée à la suite de l’attaque de Boali, où une soixantaine de corps de musulmans ont été assassinés, tués, ce qui a provoqué une réaction des forces gouvernementales, qui a été aussi une réaction terrible, dont les conséquences étaient dramatiques », reprend Ahmat All-Amy.
En outre et au milieu d’échanges d’accusations entre toutes les parties, les soldats français de l’opération Sangaris et ceux de la force africaine, intervenus depuis deux semaines lors d’une résolution de l’Onu, multiplient les patrouilles et poursuivent leurs opérations de désarmement, qui visent principalement les ex-combattants de la Séléka, accusés d’innombrables exactions par les habitants.
Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, en visite vendredi dernier à Bangui, a affirmé que les 1 600 soldats français déployés dans le pays, accusés par la communauté musulmane de faire le jeu des chrétiens, étaient « impartiaux » et « le seront jusqu’au bout ».
Par ailleurs, la France va demander la création d’un fonds européen destiné à financer les interventions d’urgence dans les pays en crise lors du Conseil européen des 19 et 20 décembre, afin de ne pas supporter seule le poids d’une facture qui risque d’être lourde .
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