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Hyperparentalité : Quand l’amour devient nuisible

Dina Kabil , Mercredi, 17 avril 2024

De nombreux parents tombent dans le piège de l’hyperparentalité, un excès de protection donnée aux enfants de sorte qu’ils deviennent dépendants, irresponsables et stressés. Focus.

Hyperparentalité : Quand l’amour devient nuisible

On les croise souvent ces papas et mamans « de trop » qui, sans s’en rendre compte, ont un surplus de parentalité. Dans le parc, au coin des balançoires, la maman qui prend la défense de son enfant contre le pauvre petit qui joue avec son fils et lui dispute sa place dans le jeu. Ou à l’école, lorsqu’on annonce les résultats de certains examens, les parents qui ne cessent d’errer tout autour pour rencontrer le professeur concerné et chercher pourquoi leur enfant a perdu les quelques points le séparant de la note finale. Ce sont des parents super-protecteurs. L’hyperparentalité est la tendance à vouloir en faire trop, le plus souvent à faire les choses à la place de l’enfant pour le protéger et assouvir la constante inquiétude à l’égard de lui.

Ce sont les parents-drones ou parents-hélicoptères, d’après l’appellation de Dr Haim Ginott, qui a écrit en 1969 « Between parent and teenager ». Il y explique le type de parents super-protecteurs qui veulent protéger leurs enfants de tout danger probable. Tels les drones, ils survolent auprès de leurs enfants et les surveillent de manière permanente. Ils sont en surveillance totale de leurs enfants, ils les suivent via les smartphones et les applications de poursuite de location comme GPS, ne cessant de poser l’éternelle question : où es-tu et quand est-ce que tu rentres ? Les psychologues et spécialistes ont ajouté enfin les « parents-bulldozers » qui débarrassent le chemin de leur enfant des obstacles, en espérant transformer ainsi son parcours de vie en un long fleuve tranquille.

C’est au niveau scolaire que c’est le plus frappant, parce que le seul objectif des parents est comment diriger son temps pour l’éducation et l’acquisition de nouvelles compétences. La vie devient donc très studieuse, vidée d’affection, de blagues, en dehors du temps consacré à l’apprentissage. Un modèle où les parents investissent dans leurs enfants, voulant les pousser à être « le meilleur » et « la meilleure », celui ou celle qui ne commet pas d’erreur et ne se sent jamais frustré. Dans le livre de Ginott, un enfant compare sa mère à un hélicoptère dont « j’en ai marre du bruit assourdissant et du vent chaud », d’où l’appellation qu’il a donnée à « Helicopter parenting ». Parce que mettre son nez trop dedans l’espace de son enfant l’étouffe et peut causer nombre d’inconvénients : cela empêche le développement du savoir-faire en face des problèmes, conduit à la dépendance vis-à-vis des parents dans les moindres détails, empêche d’apprendre à se défendre et protège les enfants des aléas naturels de la vie.

Des conséquences souvent fâcheuses

Les études ont prouvé que l’enfant subissant une protection excessive de la part des parents est le plus apte à développer un trouble d’anxiété. L’hyperparentalité lègue à l’enfant le sentiment que le monde est un lieu de danger, ce qui l’empêche de développer des aptitudes sociétales et de faire des amitiés, et le rend plus tard susceptible à tomber dans la dépression.

« Ce type d’enfant ne peut jamais être maître de ses actes, il n’est pas l’acteur mais un complément, un être passif », explique Nariman El-Hattab, thérapeute égyptienne. Et d’ajouter : « L’enfant devient dépendant lorsqu’il est en situation de querelle, il sentira qu’il ne peut pas réagir mais a besoin de sa mère ou de son père-bodyguard. Cette dépendance peut aller à la sous-estime, l’enfant pensera : sans le soutien de ma mère, je suis nul, je ne peux rien faire », affirme El-Hattab.

L’enfant qui a toujours été appuyé par sa mère-poule et son père-drone, ou du moins l’un des deux, a souvent peur de commettre une erreur, de crainte de l’échec, du mal ou du rejet. Il n’ose pas se donner à une expérience nouvelle, souffre de sous-estime et par conséquent n’arrive pas à résoudre les problèmes du quotidien. Enfin, les thérapeutes affirment qu’un enfant excessivement protégé est tout le temps convaincu qu’il est incapable de gérer sa vie, il a besoin d’aide et de secours. Ce manque de confiance en soi mène cet enfant à être une cible facile pour le harcèlement et l’intimidation à l’école.

Mais ce parent « atteint » d’hyperparentalité n’est pas un diable qui veut faire souffrir son enfant, bien au contraire, c’est le plus souvent par excès d’amour que l’on veut épargner à son petit tout le mal dont on a souffert. De nombreux parents ne se rendent pas compte de ce déficit, d’autres en sont conscients mais ne savent pas que faire pour en sortir. Le plus souvent, il s’agit d’un enfant issu d’une grossesse difficile, d’un enfant arrivé merveilleusement après beaucoup de tentatives ou d’un enfant prématuré à la santé particulièrement faible.

Que ce soit une super-protection ou son extrême opposé, la négligence, pour en sortir, il faut suivre des étapes, commencer par soi, s’arrêter et dire : j’ai un problème et il faut travailler dessus (voir la colonne ci-contre sur les moyens de dépasser cela).

 Comment en sortir ?

La thérapeute Nariman El-Hattab donne quelques astuces :

1. Commencer par soi : le parent doit se poser la question : pourquoi je réagis de cette façon ultra-protectrice ? Si la réponse est : pour l’intérêt de l’enfant, pour le protéger du danger, il faut savoir qu’il faut laisser l’enfant passer par les expériences de la vie.

2. Toute personne, y compris son propre enfant, pour devenir autonome, doit vivre des réussites, mais aussi des échecs. Il faut lui donner l’espace pour qu’il tombe dans l’erreur et vienne vous raconter. Parce que le don de la vie est l’expérience.

3. S’entraîner à donner plus d’espace de liberté à son enfant selon son âge : par exemple lui donner la liberté de choisir ses vêtements, d’utiliser des ustensiles ou de se comporter librement dans un jeu.

4. Se rappeler qu’on n’est pas là en tant que parent pour donner tout le temps des conseils aux enfants, sinon on devient comme une machine qui n’a pas d’influence. Il faut apprendre à écouter, à se contrôler pour ne pas faire de jugements et à patienter en discutant avec l’enfant pour qu’il arrive à la bonne solution. Lui donner le conseil lorsqu’il le demande.

5. Guider l’enfant pour qu’il surmonte ses difficultés au lieu de les résoudre à sa place. Le laisser apprendre de ses erreurs, s’il porte une chaise lourde, il faut lui demander s’il veut de l’aide sans lui faire sentir qu’il est faible et incapable de le faire tout seul. Si votre enfant s’est disputé avec un ami, aidez-le à voir comment il peut régler son problème.

6. L’illusion du choix est une technique très réussie pour réhabiliter le comportement de l’enfant. Il s’agit de donner à l’enfant le choix entre deux choses qui ne sont pas contradictoires, parce qu’il aime sentir qu’il n’obéit pas mais qu’il choisit.

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