
L'Administration Obama a-t-elle fait un faux pas envers Téhéran ?
(Photos : Reuters)
Dans l’espoir de sceller un accord final sur le nucléaire iranien, des négociations techniques entre les Six puissances et Téhéran se sont poursuivies cette semaine à Vienne pour discuter dans les détails le projet d’accord intérimaire conclu le 24 novembre sur le nucléaire iranien. «
On a commencé à rentrer dans le dur, discuter des vrais sujets. Le travail est désormais plus précis et plus concret », a expliqué un négociateur occidental à Vienne, où les diplomates se sont retrouvés pour le troisième round de négociations depuis mi-octobre. «
Les discussions reflètent la complexité des questions techniques liées à l’application de l’accord de Genève », ont reconnu des diplomates occidentaux. Après 4 jours de négociations, les deux parties n’ont pas réussi à «
concilier leurs lignes rouges respectives ».
Droit indiscutable à enrichir l’uranium d’un côté, fermeté et scepticisme de l’autre : quel accord peut-il naître dans ce climat de manque de confiance ? « Un accord qui ne comprendra pas l’enrichissement d’uranium du début à la fin ne sera pas accepté », a prévenu le négociateur iranien Abbas Araghchi. « Le principal obstacle est le manque de confiance », a-t-il déploré.
A la lumière de telles dissonances, la conclusion d’un accord final ne semble pas « facile » surtout sous la pression des faucons du Congrès américain soucieux d’imposer de nouvelles sanctions contre le régime des mollahs.
Dans une tentative d’éviter de nouvelles sanctions qui pourraient capoter un accord tant souhaité, l’Administration du président Barack Obama a adressé cette semaine un message de fermeté au Congrès, lui affirmant qu’elle maintiendrait la pression sur Téhéran parallèlement aux négociations. Passant à l’acte, l’Administration américaine a ajouté à sa liste noire une dizaine d’entreprises et d’individus — principalement iraniens — soupçonnés de contourner le programme de sanctions internationales contre l’Iran. Ces sociétés verront leurs avoirs gelés pour avoir apporté leur soutien au programme nucléaire iranien. Selon Mohamad Abbas, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, cette mesure n’ajoute pas de nouvelles sanctions : elle se contente de faire appliquer celles déjà mises en place par les Etats-Unis. « Elle n’est qu’une tentative d’affaiblir la pression exercée par l’Etat hébreu sur les faucons du Congrès américain pour imposer de nouvelles sanctions », explique Abbas.
Un faux pas ?
Là une question s’impose à l’esprit : cette mesure américaine constitue-t-elle un faux pas ou un pas judicieux sur la voie d’une solution à une crise sans issue depuis une décennie ? Selon les analystes, il s’agit d’une lame à double tranchant car si cette décision a calmé la colère du Congrès, elle a déchaîné la colère de Téhéran. Pour commencer par le côté lumineux, cette mesure a porté ses fruits, faisant gagner à l’Administration Obama un allié de poids contre de nouvelles sanctions. Déclenchant la surprise, Tim Johnson, président démocrate de la commission bancaire du Sénat, chargée d’élaborer et voter toute sanction économique contre Téhéran, a expliqué qu’il n’était pas favorable au vote d’un nouveau volet de sanctions. « La demande de l’Administration d’une pause diplomatique est raisonnable », a-t-il déclaré. « Un nouveau volet de sanctions pourrait rompre l’unité de la coalition internationale. Nous devrions faire en sorte que si les négociations échouent, l’échec sera de la faute de l’Iran », a-t-il dit.
Cette mesure américaine a, d’un autre côté, déchaîné la colère de Téhéran. Alors que les négociations de Vienne devraient se poursuivre vendredi, l’équipe d’experts iraniens a interrompu les négociations pour rentrer à Téhéran pour consultations. Depuis le début de la semaine, l’Iran a dénoncé la décision des Etats-Unis. « Nous examinons la situation et nous aurons une réaction appropriée », a affirmé le négociateur iranien Abbas Araghchi, alors que la porte-parole de la diplomatie iranienne, Marzieh Afkham, a dénoncé « un geste inutile », prévenant que Washington serait entièrement responsable des « conséquences de cette décision ». Sans oublier la grave colère des Gardiens de la Révolution qui ont réclamé une réaction rapide du gouvernement iranien.
Inquiets quant à toute réaction iranienne qui pourrait ralentir les choses, l’Union européenne et les Etats-Unis ont affirmé que la poursuite du travail de Vienne était « nécessaire ». « Les négociations vont reprendre dans les prochains jours », a annoncé le secrétaire d’Etat américain, John Kerry. Analysant l’impact de cette décision américaine sur l’aboutissement à un accord final, Mohamad Abbas explique : « Ces évolutions ne vont pas faire capoter l’accord de Genève, car Washington n’a pas imposé de nouvelles sanctions contre Téhéran. Ce sont des sanctions marginales et déjà existantes. Un vrai problème naîtra si Washington impose de nouvelles sanctions sur les exportations pétrolières iraniennes. Je pense que cette violente réaction iranienne vise surtout à calmer l’aile dure du régime iranien, opposée à tout accord avec l’Occident, surtout que les Gardiens de la Révolution viennent de mettre en garde contre toute concession en matière nucléaire ». Il s’agit donc d’une manoeuvre iranienne pour calmer les durs du régime d’une part et de montrer les dents aux Six de l’autre. De toute façon, les marges de manoeuvres d’un régime iranien alourdi par une crise économique étouffante semblent désormais minimes .
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