A peine Joumana Haddad en a-t-elle surpris plus d’un en donnant naissance à son livre J’ai tué Shéhérazade, qu’elle signe, en 2013, un nouvel essai intitulé Superman est arabe. Traduit de l’anglais par Anne-Laure Tissut, ce livre édité par Actes Sud se veut un énorme coup de gueule lancé, tel un SOS, par une femme arabe en colère.
« La mentalité patriarcale s’enracine, depuis des siècles, dans les trois religions monothéistes. Cette mentalité — devenue un système, par la force des choses — a toujours fait de la femme un objet créé pour satisfaire les caprices du mâle, de la famille et par conséquent, ceux de la société entière ». Ce témoignage est de Joumana Haddad, auteur du nouveau livre qui se vend comme des petits pains au Maghreb ou en France. A 43 ans, cette femme au parcours surprenant a déjà publié une vingtaine de livres. Entre essais, recueils de poème et romans son coeur balance et sa vie aussi. « Grâce à mes poèmes, je donne libre cours à mon imagination dans l’unique but de donner des ailes au monde de mes rêves. Un monde qui respecte la femme et qui fait d’elle l’égale de l’homme, mais pour de vrai. Mes essais et mes romans sont, eux, réalistes, mais ils défendent la même thématique », ajoute-t-elle.
De Superman est arabe, elle en parle avec beaucoup d’émoi et d’amour : « J’ai sorti ce livre en 2012, je l’avais écrit dans la langue de Shakespeare. Ce fut une manière de s’ouvrir à l’Occident en l’incitant à comprendre cette femme arabe, à la fois plurielle et singulière, avant de la juger et de la cantonner, directement, au rang des soumises, à celui des sans voix. Ce geste s’assimile à une bouteille jetée à la mer mais, aussi modeste fut-il, il est arrivé à passer le message de plusieurs millions de femmes qui ne manquent ni de volonté, ni de caractère, mais qui demeurent incomprises par un monde à part, à savoir ce monde qu’on appelle communément le monde arabe ».
Dès les premières pages du livre de Joumana, l’on se confond d’étonnement en redécouvrant ces clichés qui affligent le quotidien de la femme arabe. Ces idées reçues qui narguent, de la manière la plus abjecte qui soit, l’émancipation de cette femme qui n’est autre que la douce moitié de l’homme. Celle qui est souvent sa mère, sa soeur, parfois son amoureuse, son épouse et la mère de ses enfants. Des images stéréotypées qui abaissent la femme indépendante, celles véhiculées dans les feuilletons télé ou dans les médias qui ne se souviennent des réalisations de la femme que lorsqu’il s’agit d’une fille de joie, en passant à ces pâles Unes de journaux qui vantent les louanges de l’homme quoi qu’il fasse mais qui dénigrent la femme en ne l’affichant sur la première page que lorsqu’il s’agit d’une criminelle. « Le respect de la femme, c’est toute une culture. Et il a fallu que ce mode de vie civilisé ait été inculqué à tout le monde, sauf à nous autres arabes », s’insurge Joumana Haddad.
Mais en dépassant les premiers chapitres du livre, l’on découvre que le fait de crier haro sur les injustices infligées par l’homme libanais, ou arabe en général, au sexe féminin n’est qu’un subterfuge, espiègle et intelligent, pour rappeler que beaucoup d’hommes occidentaux ne font pas exception à ce machisme contagieux. L’écrivain zoome sur le houleux quotidien de la femme libanaise, qui, soudain, devient prise entre plusieurs feux, quand la question de l’égalité des sexes est posée.
« La femme libanaise est souvent comparée à une belle créature, voire à un bel objet que les hommes s’arrachent comme si elle était une poupée gonflable. De même, dès ses premiers pas dans la vie, elle est condamnée à apprendre à devenir une bonne épouse, une bonne mère, une femme intellectuelle … et on en passe, alors que l’homme n’est prié que de garnir son compte en banque et le tour est joué. Et quand vient l’âge adulte, elle pense à se marier. A ce moment-là, si cette bonne femme vit dans un pays comme le Liban où le sectarisme fait loi, l’amour devient une affaire publique et tomber amoureuse d’un homme qui pratique une religion différente de la nôtre tourne vite au vinaigre, voire au drame. Le cas échéant, la femme devient tiraillée entre ses sentiments, son identité, ses acquis personnels et les attentes de sa famille, voire celles de sa société », analyse l’écrivain.
Aussi, Joumana mène-t-elle une guerre sans merci contre les ennemis du mariage civil, mais aussi contre la sacralisation du corps de la femme au sens négatif du terme. « Au niveau du monde arabe, le corps d’une femme ne lui appartient pas, mais il est la propriété de tous les hommes qu’elle risque de rencontrer. Tous les hommes, même ceux qu’elle ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam. Ceux-ci risquent de crier au scandale dès qu’ils sont séduits par un bout de chair, par une belle paire de seins, par un jean moulant qui laisse entrevoir son beau derrière. Bref, la femme est condamnée à plaire à un seul homme et risque d’être comparée à une femme à moeurs légères si elle a le malheur de connaître plusieurs partenaires dans sa vie, alors que l’inverse est même flatteur pour le sexe opposé », fait-elle remarquer, avant d’enchaîner : « A en croire les combats des femmes du monde arabe ou celles d’ailleurs, j’ai l’honneur de les qualifier de sexe fort. Eh oui ! Le sexe fort n’est autre que la femme ».
Cependant, elle précise que l’homme n’est pas l’ennemi de la femme. « Quoi que l’on dise sur le sexisme sous toutes ses formes, une femme n’est rien sans la présence de plusieurs hommes dans sa famille, à l’endroit où elle travaille, bref, dans sa vie de tous les jours. Personnellement, j’aime les hommes, j’aime leur compagnie, mais quand ils dépassent les limites avec moi, je les remets à leur bonne place, de la manière la plus gentille qui soit », avoue-t-elle, non sans timidité.
En outre, elle rappelle que la dégradation de la femme au sein d’une société donnée est une atrocité pure et simple : « En discriminant la femme arabe au sein de la famille ainsi que dans la société à travers le sexisme administratif, à titre d’exemple, l’on discrimine toute une société vouée à l’archaïsme. Le machisme devient, alors, le seul mot d’ordre et : sois belle et tais-toi, qui était un dicton devient un diktat et un modus opérande ».
Par ailleurs, force est de constater que la place de la femme est intrinsèque à l’oeuvre de Joumana Haddad. Ce qui fait d’elle une fervente féministe ou « une féministe de pure souche », comme elle se plaît tant à se décrire. Polyglotte, l’intellectuelle qu’est Joumana écrit avec magnificence dans cinq langues, à savoir l’arabe, le français, l’anglais, l’espagnol et l’italien. Elle maîtrise également l’allemand et l’arménien. « Les langues étrangères sont un incroyable passe-partout communicationnel. J’ai cultivé cette passion depuis mon enfance. J’ai toujours été hantée par la lecture, l’écriture, la traduction et le journalisme engagé. Et c’est grâce à tout cela que je suis, en quelque sorte, devenue l’ambassadrice de mon monde imaginaire, de ma cité idéale où seule règne la religion de la paix et de celle de l’égalité des sexes. Passer mes messages les plus nobles au travers de mes écrits est ma raison d’exister », affirme Joumana.
Seulement voilà, le climat politique arabe de l’après-2011 ne fait pas d’envieux et l’heure est aux immenses bouleversements socioculturels. Selon les mots de l’écrivain-journaliste, voir le bout du tunnel ne se fera pas sans sacrifices de la part du sexe fort : « Ces luttes engagées ne pourront aucunement enfanter la tant attendue liberté d’expression sans qu’il y ait une nouvelle masculinité arabe basée sur le respect du sexe opposé, que l’on qualifie le plus naturellement du monde de sexe faible malgré ses réalisations à changer tout un monde. Je pense que sans l’établissement d’un rapport radicalement nouveau entre la femme et l’homme, la dignité sociale risque de devenir, elle aussi, patriarcale ».
De même, être une femme comme Joumana Haddad, c’est attirer les notoires prix littéraires du monde entier, mais surtout ceux de l’Italie, le fief de la poésie. En effet, en plus d’avoir remporté, de la Fondation Pescarabruzzo, le Prix international Nord-Sud dédié à la poésie en novembre 2009, elle a enchaîné un an plus tard avec le Prix Rodolfo Gentili de Porto Recanati qu’elle a reçu dans le même pays. En novembre 2012, c’est à Catania qu’elle a décroché le fameux Prix Cutuli pour le journalisme. De plus, en juillet 2013, elle a été nommée en tant qu’ambassadrice honoraire pour la culture et les droits de l’homme pour la ville de Naples, et ce, par Luigi de Magistris, maire de la belle ville méditerranéenne.
En tant que rédactrice culturelle au sein du journal libanais Annahar, Joumana a longuement sillonné le monde entier. La raison en est qu’elle est toujours sollicitée par les congrès internationaux qui n’ont d’yeux et d’oreilles que pour les femmes libérées de cet acabit. Des femmes qui se veulent être les messagères de l’égalité hommes-femmes, à une ère ou l’extrémisme.
Jalons:
6 décembre 1970 : Naissance à Beyrouth, au Liban.
1998 : Publie, en arabe, le recueil de poèmes Invitation à un dîner secret, aux éditions Annahar.
2007 : Publie le recueil de poèmes Mauvaises habitudes, édité par le ministère égyptien de la Culture.
2010 : Publie le livre J’ai tué Shéhérazade, traduit de l’anglais par Anne-Laure Tissut. Chez Arles, Actes Sud.
2012 : Elle reçoit le Prix Cutuli pour le journalisme à Catania en Italie.
2013 : Sortie de Superman est arabe, traduit de l’anglais par Anne-Laure Tissut. Chez Arles, Actes Sud.
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