Un vote historique, mais qui ne résout pas tout. Tout le monde s’accorde à le dire, c’est une première. Car il aura fallu près de cinq mois et demi de guerre, plus de 30 000 morts et six tentatives pour que le Conseil de sécurité de l’ONU adopte, lundi 25 mars, sa première résolution réclamant un « cessez-le-feu immédiat » dans la bande de Gaza. Et ce, après des semaines de négociations, trois veto américains et deux opposés par Moscou et Pékin. Les Etats-Unis se sont cette fois abstenus, permettant l’adoption, par 14 voix, de cette résolution.
Le texte voté lundi « exige un cessez-le-feu immédiat pour le mois du Ramadan », devant « mener à un cessez-le-feu durable », et « exige la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages », ainsi que « la garantie d’un accès humanitaire pour répondre à leurs besoins médicaux et autres besoins humanitaires ».
Conscient que la partie n’est pas gagnée, le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, a aussitôt écrit sur X : « Cette résolution doit être mise en oeuvre. Un échec serait impardonnable ». Or, dès le lendemain, les raids aériens et les bombardements israéliens se sont poursuivis dans la bande de Gaza.
« Il y aura un cessez-le-feu, mais Israël va le violer par des tirs ici et là. Cependant, je pense qu’il finira par être respecté, d’un côté parce qu’il s’agit d’une résolution contraignante, ensuite, parce que la situation humanitaire est dramatique et aue la famine menace », estime Dr Mona Soliman, politologue. Autre raison avancée par l’analyste : toutes les parties ont besoin de faire une pause après plus de cinq mois de guerre. « Ce cessez-le-feu est nécessaire pour toutes les parties, que ce soit pour le Hamas, pour Israël et même pour les Etats-Unis où Biden, en recul, a besoin de se concentrer sur les élections. Dans la période à venir, toutes les parties vont réajuster leurs plans, pour déterminer quelle sera la prochaine étape », dit-elle.
Israël remonté contre Washington
Dans une première réaction, le Hamas a « salué l’appel du Conseil de sécurité à un cessez-le-feu immédiat » et a exprimé sa « volonté d’engager un processus d’échange » de prisonniers et d’otages « immédiatement », ainsi que celle « d’atteindre un cessez-le-feu permanent conduisant au retrait de toutes les forces » israéliennes du territoire. Mais de son côté, le ministre israélien de la Défense a assuré que son pays n’avait pas « le droit moral d’arrêter la guerre tant qu’il y a des otages à Gaza ». Et selon un communiqué du bureau du premier ministre israélien, l’abstention des Etats-Unis « nuit aux efforts de guerre et aux efforts pour libérer les otages, parce qu’il donne l’espoir au Hamas que la pression internationale lui permettra d’obtenir un cessez-le-feu sans libération de nos otages ». « Il s’agit d’un net recul par rapport à la position constante des Etats-Unis au Conseil de sécurité depuis le début de la guerre », a déclaré le bureau de Netanyahu dans un communiqué. Une réaction que Washington ne comprend pas. La Maison Blanche, qui s’est dit « quelque peu surprise » de la colère d’Israël, a réaffirmé, par la voix de son porte-parole, John Kirby, que l’abstention de son pays, principal allié d’Israël, « ne représente pas de changement de cap ».
Des différends de façade, estime Dr Mona Soliman. « Les relations israélo-américaines sont plus fortes qu’elles ne le paraissent et rien ne les affectera, elles sont tout juste perturbées par la présence de Netanyahu à la tête d’Israël. Et il faut savoir que l’abstention des Etats-Unis et le non-usage du droit de veto s’expliquent par des raisons internes. Biden veut se concentrer sur sa précampagne électorale et gagner en popularité par l’application d’un cessez-le-feu à Gaza », explique-t-elle.
Seul bémol, la question de l’offensive qu’Israël entend lancer à Rafah. A l’extrême sud du territoire, la grande ville qui a vu sa population quintupler avec l’arrivée de plus d’un million de déplacés de guerre est dans l’oeil du cyclone : Israël, ignorant les appels de nombreux pays parmi lesquels l’allié américain, a juré d’y lancer une offensive terrestre pour en déloger tous les combattants palestiniens. Le jour même de la réunion du Conseil de sécurité, lors d’une rencontre avec le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a mis une nouvelle fois Israël en garde contre les risques d’une offensive à Rafah, soulignant « l’existence d’autres solutions qu’une invasion terrestre de grande envergure, qui permettraient à la fois de mieux assurer la sécurité d’Israël et de protéger les civils palestiniens ». La rencontre Blinken-Gallant s’est tenue après l’annulation, le même jour par Israël, en signe de protestation contre l’abstention américaine au Conseil de sécurité, d’une visite de haut rang dans la capitale américaine. « Je suis sûr que nous trouverons d’autres moyens de faire connaître nos inquiétudes » sur cette offensive qui présenterait des risques « immenses » pour les civils, avait assuré plus tôt lundi Matthew Miller.
Mais la pression américaine va-t-elle dissuader Tel-Aviv ? Pas si sûr. Pour Soliman, « Israël mènera son opération à Rafah après la fin du cessez-le-feu, mais son ampleur et son intensité dépendront d’un certain nombre d’arrangements sécuritaires ».
De nouveaux pourparlers en vue
Plusieurs questions restent donc en suspens : l’application du cessez-le-feu, l’éventuelle offensive de Rafah et les détails de l’échange de détenus. « L’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu en échange de la libération des otages et de milliers de prisonniers palestiniens détenus en Israël ne pourra se faire que par le biais des négociations menées depuis des semaines », explique Soliman, tout en ajoutant que la résolution de l’ONU n’est pas une « alternative » à ces discussions. « Elles vont se poursuivre jusqu’à la libération de tous les otages, c’est la carte de pression du Hamas sur Israël, d’autant plus que la libération se fait par étape et que c’est le Hamas, Yahya Sinwar en personne dit-on, qui décide des noms. On estime que pour un otage, dix prisonniers palestiniens seront libérés ».
Après un nouveau cycle de pourparlers en fin de semaine dernière, les chefs du Mossad israélien et de la CIA ont quitté samedi soir la capitale qatarie. Selon une source sécuritaire, les dernières discussions se sont « concentrées sur les détails et un ratio pour l’échange d’otages et de prisonniers ». Le jour même, un responsable du Hamas avait fait état de « profondes divergences » avec Israël dans les négociations. Le Hamas a accusé Israël d’être « entièrement responsable » de l’échec des pourparlers jusqu’à présent. Le Hamas, qui exigeait jusqu’ici un cessez-le-feu définitif à Gaza avant tout échange d’otages israéliens contre des prisonniers palestiniens, avait infléchi sa position le 14 mars en se disant favorable à une trêve de six semaines.
Ce qui n’est pas de l’avis de Washington, preuve qu’il reste un allié indéfectible à Israël. « Le Hamas continue de faire obstacle à la paix », a accusé Linda Thomas-Greenfield, représentante des Etats-Unis, exhortant les autres membres du Conseil à « exiger sans équivoque que le Hamas accepte l’accord mis sur la table ». « Ce n’est que par la diplomatie que nous pourrons faire avancer ce dossier. Nous nous rapprochons d’un accord, mais nous n’y sommes pas encore », a-t-elle dit.
En attendant, on se contente de mettre en avant la résolution de l’ONU, sans vraiment savoir ce qu’il en adviendra. Un texte succinct, d’à peine 267 mots, négocié jusqu’à la dernière minute. Si tout le monde a salué ce vote, tous affichent également un optimisme prudent, voire un optimisme de façade. En effet, le texte parle d’un arrêt des hostilités pendant le Ramadan — qui s’achève dans moins de deux semaines — conduisant à un « cessez-le-feu durable ». Mais rien ne dit comment y parvenir. C’est dire que la résolution est plus symbolique qu’effective.
La rapporteuse de l’ONU accuse Israël de « génocide »
Dans un rapport intitulé « Anatomie d’un génocide » et publié lundi 25 mars, la rapporteuse spéciale des Nations-Unies pour les territoires palestiniens indique qu’il « existe des motifs raisonnables » de croire qu’Israël a commis plusieurs « actes de génocide », évoquant aussi un « nettoyage ethnique ». « La nature et l’ampleur écrasante de l’assaut israélien sur Gaza et les conditions de vie destructrices qu’il a causées révèlent une intention de détruire physiquement les Palestiniens en tant que groupe », affirme Francesca Albanese, mandatée par le Conseil des droits de l’homme, mais qui ne s’exprime pas au nom de l’organisation. Dans ses conclusions, Francesca Albanese liste trois actes de génocide : « Meurtre de membres du groupe, atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe et soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».
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