Rigoureux, observateur et scientifique. Telles sont les qualités requises pour être un bon géographe. Or, Atef Moatamed dépasse « les frontières » connues pour profiter d’une autre qualité qu’il a acquise en cours de route : le savoir-faire. Une qualité qui n’a cessé de se développer pour être son compagnon de vie.
Issu d’une famille modeste originaire d’Assouan, sa naissance a eu lieu au Caire où la famille a dû s’installer à la recherche d’une vie meilleure. Toutefois, la capitale n’était pas si bienveillante : Atef se trouvait dès son plus jeune âge contraint de décrypter l’espace et les hommes qui l’entourent. A 13 ans déjà, il a dû faire de petits travaux pour gagner quelques sous et pouvoir poursuivre sa scolarité. « Ce contact avec le réel m’était le premier mentor de ma vie », explique modestement Atef Moatamed. Et d’ajouter : « Je travaillais les quatre mois des vacances d’été. Cette période m’avait permis d’appréhender le vrai sens de la vie. En lisant les romans de Naguib Mahfouz, j’ai découvert que le monde était bien plus atroce qu’il ne le semble dans ses romans ».
Cette épreuve, quoique cruelle pour l’ado puis le jeune homme qu’il était, lui a inculqué l’endurance physique et le goût de la géographie sociale qui allaient lui servir dans son parcours. « Il ne faut pas toujours voir le verre à moitié vide : passer des heures à lire, à étudier ou même à explorer des sites géographiques n’était jamais fatiguant pour moi, puisque j’étais habitué à l’effort physique. En outre, à force de travailler, j’ai fait la connaissance de différentes classes sociales, et du coup, j’ai rencontré la corruption administrative et politique », souligne-t-il, fier de cette vie dure et reconnaissant à ses parents qui ont tout fait, dans la limite de leurs moyens, pour réaliser une vie meilleure pour leurs enfants.
Une vie si pénible ne permettait pas de grand pourcentage au baccalauréat, mais le jeune Atef a pu obtenir une note finale en psychologie. S’inscrire à la faculté des lettres, département de psychologie, devient évident. Mais les choses ne passent pas toujours comme prévu. « Le département de psychologie a connu, cette année-là, une forte demande. Ainsi, on s’est contenté de choisir les 50 candidats qui ont eu les pourcentages les plus élevés. Comme je n’en faisais pas partie, j’ai fini par atterrir dans le département de géographie », raconte Moatamed. C’est donc par pure coïncidence qu’il intègre ce domaine. « Au début, j’étais déçu, mais j’ai découvert avec le grand professeur Youssef Fayed que la géographie est à la croisée de nombreux domaines tels que l’environnement, l’économie, la politique, la géologie, la sociologie, etc. ». Pour un passionné des sciences humaines et sociales, cela ne pouvait pas mieux tomber. Atef est vite devenu un étudiant distingué et est par la suite nommé comme assistant à la fac. « Mais, comme la spécialisation devait être choisie selon les besoins du département, j’ai dû me spécialiser en géographie physique, alors que j’optais plutôt pour la géographie humaine ». Et là, c’est le savoir-faire qui l’a fait parvenir à un compromis, à savoir étudier un site où le naturel interfère avec l’humain. « Mon magistère porte sur les régions situées à l’ouest d’Alexandrie : Al-Alamein, Al-Dabaa et Al-Hammam ». Avec le temps, le jeune chercheur découvre qu’un savant en géographie physique est capable d’enseigner la géographie humaine, mais pas le contraire. Et ce, puisque, selon lui, la surface de la terre est plus difficile à appréhender que les éléments liés à l’homme.
Il était donc normal que le chercheur, qui prône le rapport entre le naturel et l’humain, choisisse de porter son sujet de thèse sur le triangle de Halayeb et Chalatine, au sud-est de l’Egypte, à la frontière égypto-soudanaise, qui incarne ce qu’est un conflit à la fois géopolitique et sociopolitique.
Un an après, Moatamed obtient une bourse en Russie. « C’était en 1997, la Russie connaissait à l’époque un déclin économique et des transformations sociales. Or, des portes sur la géographie humaine m’étaient ouvertes : j’ai compris, à titre d’exemple, ce que sont les Slaves et les Tchéchènes. Le jour était consacré aux causes politiques, le soir au théâtre. La Russie, n’étant pas encore capitaliste, consacrait des billets à tarif réduit aux étudiants ».
En parallèle, l’étudiant écrivait des articles sur des questions politiques internationales, la Tchétchénie, etc., mais aussi s’est mis à traduire des livres de l’anglais et du russe vers l’arabe. Un exercice qu’il a entamé très tôt et qui a fait aujourd’hui de lui un bon écrivain qui sait transmettre ses idées dans un style à la fois remarquable et attrayant.
Un doctorat en poche de l’Université de Saint-Petersburg et un CV blindé, il a été sélectionné, 13 ans plus tard, pour devenir le conseiller culturel de l’Egypte en Russie. Un poste délicat qu’il a assumé de 2014 à 2016. La Russie des années 2000 était-elle différente de celle des années 1990 ? « Totalement. L’économie a été redressée, les salaires ont été augmentés et la corruption a été combattue ». Durant sa mission, Moatamed n’a pas renoncé à ses activités d’explorateur : il a exploré des régions telles le Caucase de l’Est, la mer Caspienne, la Sibérie de l’Ouest …
Géographe aventurier, la carte ne lui tient pas seule de support de communication, d´élément de repérage et/ou de fonction de recherche. Il est passé d’une géographie classique à une géographie critique dont la dimension géopolitique a été de plus en plus affirmée. Une géographie sensorielle à laquelle l’espace et l’homme donnent odeur et saveur. Ainsi il avait exploré les sources du Nil en Afrique, l’Amazonie, les Alpes … Selon lui, la géographie est un champ de disciplines surprenant qui vise, dans une démarche globale, à comprendre l’interaction et l’organisation des éléments humains et naturels. « Comment peut-on prétendre enseigner et étudier l’histoire d’une nation ou, de façon plus neutre, l’histoire d’un territoire, sans privilégier l’enseignement et l’étude de sa géographie ? Comment peut-on, en étudiant la première, faire l’économie d’étudier le lieu de son déploiement ? Car toute histoire nationale a une géographie, elle aussi est pleine de rebondissements. Et comment parler à ses étudiants d’un site donné, sans l’avoir jamais vu et en se contentant juste de ses lectures ? », s’interroge un professeur doué qui a un goût particulier pour le terrain.
Sur place, il savait toujours nouer des relations de confiance avec ses interviewés, sinon des rapports humains. « Durant l’un de mes séjours d’exploration en Europe, j’ai fait la connaissance d’un Syrien qui, pour fuir le régime, a dû se mettre dans un frigo pour pouvoir entrer de façon clandestine en Hongrie. Gelé, il a été hospitalisé … ». Le professeur aventurier ne manque ni d’histoires intéressantes, ni de style de narration qui donnent envie à se lancer dans cette discipline. En effet, il ne cesse de raconter ses histoires passionnantes sur sa page Facebook. Et elles sont très bien accueillies. « Parmi mes expériences les plus difficiles, celle qui était en Inde. Je tenais à visiter la région de Pendjab. Mais un jour, en pleine nuit, j’étais surpris de trouver la police indienne dans ma chambre pour m’interroger. Selon elle, j’avais un passeport en ourdou. J’ai dû lui expliquer que ce n’est pas ourdou mais plutôt arabe ! », se souvient-il en riant. Et d’ajouter, sur un ton humoristique : « Je suis sûr que mon look y était pour quelque chose ! », conclut le géographe égyptien qui n’a pas hésité de sillonner les quatre coins du territoire égyptien, afin de mieux décrypter et lire l’homme et son paysage.
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