Dans un article intitulé « Les racines économiques de l’instabilité politique » publié dans le quotidien Al-Shorouk, le journaliste et expert économique Waël Gamal fait rappeler qu’au-delà des débats politiques, la réalité de l’injustice sociale s’impose. « Le fait que les yeux, les langues et les médias de ceux qui ont promulgué la loi sur le droit de manifester se soient concentrés, en les critiquant, sur les manifestations et protestations des forces politiques et les mouvements révolutionnaires, attire l’attention. Car au même moment se poursuit, depuis plus d’une semaine, le sit-in des ouvriers de l’entreprise de fer et d’acier à Hélouan, pour réclamer les bénéfices annuels et le changement des politiques productives de l’entreprise. Un sit-in qui a été ignoré par les médias et qui n’a pas été mis dans le contexte de la loi sur le droit de manifester qui incrimine ce genre de sit-in ».
L’auteur explique que la bête noire du pouvoir en Egypte a toujours été les manifestations d’ouvriers qui ont été réprimées avec force, voire parfois avec recours aux cours martiales. Il ajoute que les promoteurs de ladite loi fait en sorte qu’elle soit admise par l’opinion publique comme un moyen de mettre un terme à la division politique qui nuit à leurs moyens de subsistance, « alors qu’en réalité, cette loi est surtout dirigée contre ces gens quand ils décident de bouger, et ils le feront, pour réclamer des hausses de salaires ou une amélioration des services publics ou pour affronter la corruption … ». D’ailleurs, l’Etat n’est pas au bout de ses peines à ce sujet, puisque même la police se met à manifester pour ses droits financiers, comme le confirme une information publiée par le site d’information Masrawy : « Les membres de la police ont organisé un sit-in dans la station de métro de Rod Al-Farag, pour demander l’amélioration de leurs conditions et le paiement des primes suspendues. Cela est intervenu à la suite de sit-in similaires organisés par la police des transports, dans différents gouvernorats, pour protester contre l’augmentation des primes des officiers et pas celles des autres membres de la police ».
Il a été voulu, selon Gamal, que l’on voie dans la révolution de janvier 2011 et dans la colère populaire contre les Frères musulmans une affaire purement politique, une affaire de lois, de Constitution et de libertés, or l’enjeu est « ces fondements du pouvoir, des intérêts et des forces qui ne font pas la différence entre les outils de l’autoritarisme politique, sécuritaire et ceux de l’exploitation, de l’appauvrissement et du monopole ».
Un autre éditorialiste, Ezzeddine Choukri Fescher, écrivain et diplomate, revient dans Al-Masry Al-Youm sur le sujet d’une autre manière en signifiant aux décideurs que la révolution n’est pas seulement l’affaire des activistes. « Ceux qui ont soutenu la révolution sont le fonctionnaire qui en a marre de l’échec qui gangrène son ministère : la corruption, l’injustice dans la répartition des primes, le travail sans consistance qu’il est obligé de faire semblant de faire et le salaire médiocre qu’il reçoit et qui l’oblige à chercher d’autres moyens de subsistance. C’est aussi le patron petit ou grand qui étouffe sous la bureaucratie et le mécénat qu’elle génère. Ce sont les femmes en charge de famille qui sont écrasées par les institutions de l’Etat. Ceux qui soutiennent la révolution sont animés par un seul rêve : se retrouver un Etat compétent, logique, juste et humain », dit-il.
Dans son article, Waël Gamal se réfère au livre du conférencier Adam Hanieh à la faculté des études orientales et africaines SOAS (University of London), publié aux Etats-Unis et intitulé Les Questions du capitalisme au Moyen-Orient. Gamal explique que l’auteur a critiqué la vision selon laquelle les soulèvements populaires qui ont secoué le monde arabe sont des révolutions qui tournent dans l’axe de la démocratie et la dictature. « Pour Hanieh, la répartition injuste des richesses n’est pas la conséquence d’une politique économique mauvaise ou d’une manigance des élites, mais l’évidence des marchés capitalistes eux-mêmes … Les trois dernières décennies ont témoigné d’un recul des droits économiques et sociaux comme conséquences directes des politiques libérales nouvelles. Et les plus touchés ce sont les jeunes condamnés à un avenir de chômage ou de travail mal rémunéré et d’exclusion sociale », écrit Gamal.
Le zoo microcosme de l’échec
Sur la même lancée, le très libéral Emadeddine Adib se penche, quant à lui, sur la girafe Roky du zoo du Caire, morte en début de semaine et dont la cause du décès était attribuée par les responsables à un suicide : « Nous ne saurons pas qui est le responsable du suicide de la girafe Roky, et il est fort probable que le rapport de la commission vétérinaire constituée pour connaître les causes de sa mort finira par révéler qu’elle souffrait de dépression depuis l’époque de Morsi et qu’elle s’est suicidée lorsqu’elle a découvert que les révolutions du 25 janvier et du 30 juin ne réaliseraient pas ses aspirations : Pain, liberté et justice sociale », ironise-t-il dans le quotidien Al-Watan. « Tout ce qui importe est que la responsabilité ne retombe pas sur une quelconque administration gouvernementale. Et du coup, l’affaire du suicide de la girafe sera classée, comme l’accident du train de Dahchour, le vol Egyptair qui a explosé à peine parti de New York, la défaite de la sélection nationale de football devant le Ghana 6 à 1, l’assassinat des soldats de l’armée à Rafah il y a un an, et même la défaite de 1967. Qui est responsable du taux de 45 % d’analphabétisme et qui est responsable de la faible productivité de l’Egyptien estimée à 27 minutes par jour ? Qui est responsable du fait que la moitié de la campagne égyptienne n’est pourvue ni d’eau potable, ni d’électricité, et qui est responsable de l’aggravement continu de la pauvreté et des quartiers anarchiques autour du Grand Caire ? Dire donc que la girafe s’est suicidée est la plus simple des explications à l’égyptienne », poursuit Adib.
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