A peine deuxsemaines après sa visite dans le Royaume saoudien, le chef de la diplomatie égyptienne se rend de nouveau à Riyad. Nabil Fahmi veut discuter d’urgence avec les Saoudiens des implications de l’accord signé entre l’Iran et les six grandes puissances, «
pour se préparer à certains événements à venir », selon une source proche du ministre.
Fahmi, lui, parle de « questions régionales et internationales relativement sensibles et liées aux intérêts du monde arabe ». Un accord sur un « plan d’action » de la régulation du nucléaire iranien a été trouvé entre les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Iran en présence de l’Union Européenne (UE).
Cet accord intérimaire de six mois apporte des garanties sur le caractère pacifique du programme nucléaire iranien, avec en contrepartie un allégement limité des sanctions imposées à Téhéran.
Techniquement, en fonction de cette « première étape », l’Iran s’engage à suspendre l’enrichissement d’uranium au-delà de 5 %, et accepte de dégrader ou de convertir son stock d’uranium enrichi à 20 %.
Sur son compte Twitter, le président de la République islamique, Hassan Rohani, a salué « le vote du peuple en faveur de la modération et de l’engagement constructif ainsi que les efforts infatigables des équipes de négociations qui vont ouvrir de nouveaux horizons ». Mais c’est justement ces « horizons » qui semblent inquiéter les pays de la région.
Israël fut le premier à réagir en dénonçant une « erreur historique » et se disant « pas engagé par l’accord de Genève ». Dans l’espoir d’apaiser cette tension, le président américain Barack Obama s’est entretenu au téléphone avec Benyamin Netanyahu, pour « commencer immédiatement des consultations concernant leurs efforts pour négocier une solution globale au problème du programme nucléaire iranien ». Des mots de courtoisie peut-être ...
Washington paraît décidé
L'accord de Genève entre les grandes puissances et l'Iran.
(Photo: AP)
Mais Washington apparaît clairement prêt à payer le prix de la colère de son principal allié en échange d’un règlement d’une menace sécuritaire dans la région, dont la sécurité incombe en grande partie aux Américains. Alors que l’accord devrait rassurer les Israéliens sur les intentions iraniennes, Tel-Aviv croit désormais que « le monde est plus dangereux » : c’était d’ailleurs aussi la réaction israélienne vis-à-vis de l’accord conclu avec la Russie et la Syrie et qui a évité aux Américains de s’enliser dans une nouvelle guerre.
Ce rapprochement avec l’Iran, même s’il ne rétrograde pas la position favorite d’Israël chez l’Oncle Sam, dérange les Israéliens, qui préfèrent une politique plus dure. Car au contraire, cet accord renforcera Israël qui deviendra la seule force nucléaire de la région.
Avec Israël et l’Iran, l’Arabie saoudite forme le dernier angle du triangle théologique de la région, voire le plus radical. Riyad ne semble pas moins irrité que les Israéliens, à en juger par la critique formulée récemment par le chef saoudien des renseignements, Bandar Bin Sultan, qui est l’allié de Washington dans le Royaume. Les guerres en Iraq, puis la crise en Syrie, le conflit au Liban en plus des protestations de la majorité chiite à Bahreïn ont, en effet, approfondi le fossé entre Riyad et Téhéran.
Les Saoudiens, hostiles déjà au chiisme, craignent également que l’Iran ne continue à déstabiliser ses voisins en soutenant les forces pro-Assad en Syrie, le gouvernement pro-Maliki en Iraq, le Hezbollah au Liban et les groupes chiites au Yémen. Le Conseil des ministres saoudien a estimé que l’Iran devait prouver sa « bonne volonté » pour rassurer ses voisins arabes. En effet, les relations entre certaines monarchies du Golfe et l’Iran se sont un peu plus détériorées ces dernières années.
Obama n’a pas tardé à appeler par téléphone le roi Abdallah, pour réitérer l’engagement « ferme » de Washington envers « ses amis et alliés du Golfe ». Parallèlement, en visite au Qatar, le ministre iranien des Affaires étrangères a appelé l’Arabie saoudite à travailler avec son pays pour promouvoir la paix et la stabilité dans la région.
Israël-Arabie saoudite : craintes partagées
Cette irritation chez les Israéliens et les Saoudiens a même poussé le journal britannique Sunday Times à parler de « contact » israélo-saoudien pour coordonner leurs efforts face au danger de l’Iran.
L’information fut vite démentie par les Saoudiens qui n’entretiennent pas de relations diplomatiques avec Tel-Aviv, mais qui avaient, il y a une dizaine d’années, formulé une initiative de paix arabe avec Israël.
Les Arabes ont de nombreuses craintes face à la République chiite dans une région à majorité sunnite. Le Caire continue, en dépit d’une phase de répit sous Mohamad Morsi, à avoir des relations houleuses avec les Iraniens. Les autorités au Caire ne cachent pas leur hostilité face à la politique de l’Iran et à son interventionnisme dans la question palestinienne, surtout son rapprochement avec le Hamas, le voisin direct des Egyptiens via la péninsule du Sinaï. A l’époque, leur nomination par George Bush à la tête de l’Axe du mal arrangeait Egyptiens et Saoudiens.
Mais aujourd’hui, il semble que les Américains pensent que si l’Iran fait partie du problème, il pourrait aussi faire partie de la solution et que l’antagonisme monde Arabe-Iran pourrait conduire à une escalade majeure aux conséquences risquées. Un retour de l’Iran au sein de la communauté internationale, dont il est, de fait, isolé depuis la Révolution de 1979, pourrait donc permettre à Téhéran d’endosser un rôle plus positif dans les crises régionales.
Les longues années d’antagonisme entre Téhéran et Washington ne disparaîtront pourtant pas du jour au lendemain. Mais la carte géostratégique de la région est en train de se redessiner, au moins jusqu’à la fin du mandat d’Obama. Le Caire a déjà tourné en partie le dos aux Américains en se dirigeant à pas hésitants vers Moscou.
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