La plupart d’entre nous suivent les informations de la guerre à Gaza à travers le petit écran. Des reportages, des vidéos et des photos qui tentent de nous transmettre la vérité. Mais loin des images des dégâts, des bombes, des blessés et des destructions diffusées en boucle, une autre image attire tout autant l’attention : les aides humanitaires et leur acheminement. A priori, ce que l’on voit, ce sont des interminables queues de camions chargés de toutes sortes de produits, avec leurs chauffeurs qui, face aux caméras, font le signe de victoire pour marquer qu’ils ont réussi à passer de l’autre côté des frontières et arriver aux Palestiniens. En réalité, sur le terrain, les chauffeurs ne sont pas les seuls héros de ce périple. Dans les coulisses, toute une équipe travaille comme une ruche 24h sur 24 afin que ces aides arrivent à leurs destinataires : ce sont les volontaires du Croissant-Rouge égyptien. Ils sont venus de 25 branches du Croissant-Rouge servir à Al-Arich.
Depuis le déclenchement de la guerre en octobre dernier, le Croissant-Rouge égyptien a déclaré l’état d’urgence. Il reçoit quotidiennement des tonnes d’aides des quatre coins du monde, par mer, par air ou par terre. Seul le Croissant-Rouge égyptien a l’habilité à acheminer l’aide à l’intérieur de Gaza et ce, en coordination avec le Croissant-Rouge palestinien. Mais comment se fait le processus ? Il s’agit de tout un chemin qui commence dans les dépôts du Croissant-Rouge égyptien du gouvernorat du Nord-Sinaï.
Des véhicules du Croissant-Rouge se préparent à être examinés avant leur entrée à Gaza. (Photo : Chérine Abdel-Azim)
Trois grands dépôts
C’est dans les dépôts de Dergham, devenus depuis le début de la guerre contre Gaza la logistique du Croissant-Rouge égyptien à Al-Arich, que tout commence. Il s’agit du point d’accueil, mais aussi du point de départ de toutes les aides destinées à Gaza. Nous y sommes arrivés après un trajet d’un quart d’heure par voiture depuis le centre-ville. En s’approchant de notre destination, on voit déjà, des deux côtés de la route, sur une distance d’environ deux kilomètres, des dizaines de camions garés, prêts à la livraison d’aide. Un peu plus loin, un gros portail noir à l’entrée et une barrière qui entoure les dépôts nous indiquent que nous sommes arrivés. A l’intérieur, on trouve trois grands dépôts en plus d’un bâtiment administratif de deux étages. E
Quatre camions portant le logo du WCK (World Central Kitchen) sont en train d’accomplir les procédures d’examen pour partir à Gaza. « Chaque camion présente ses papiers où sont indiqués les détails du contenu : le type de produits, le nombre de paquets, le poids, la hauteur (qui ne doit pas dépasser 1,7 mètre) et la date de péremption », explique Ahmad Ezzat, chef de la mission du Croissant-Rouge égyptien à Al-Arich.
C’est lui qui nous accompagne dans notre tournée qui commence par le plus grand dépôt. « Après que les volontaires vérifient que toutes les informations présentées dans les documents propres à chaque camion correspondent au contenu, ils prennent des échantillons aléatoires de chaque camion. Si tout va bien, ils commencent à imprimer le code QR et le coller sur chaque paquet », affirme Ezzat, tout en ajoutant que les volontaires ont acquis une bonne expérience durant ces mois de guerre. Et pour mieux expliquer le processus, Ezzat nous a invités à mettre la main à la pâte : en scannant le code QR d’un camion choisi par hasard, Al-Ahram Hebdo a pu avoir accès à toutes les informations sur le camion en question : poids, contenu, nom du chauffeur, origine des aides …
Une fois ces procédures accomplies, le camion quitte l’endroit vers la place Al-Saha, un vaste terrain situé à quelques kilomètres, avant de se rendre au point de passage de Rafah et d’attendre son tour pour passer les frontières. « Le Croissant-Rouge égyptien a récemment installé, sur place, une cafétéria, des toilettes et un dispensaire de soins d’urgence pour servir les chauffards qui peuvent attendre des jours et des jours avant que leur tour n’arrive. C’est aussi pour éviter les embouteillages causés par ces camions et qui entravent la circulation. Comme vous l’avez remarqué, Al-Arich est devenu un garage à ciel ouvert. Ce sont les volontaires qui jouent le rôle de l’agent de la circulation pour organiser l’entrée et la sortie des camions », ajoute Ezzat.
Quant au deuxième dépôt, sous forme d’une énorme tente, il est consacré aux aides sanitaires et aux médicaments qui nécessitent d’être maintenus dans une certaine température. De grands réfrigérateurs dotés d’un système de stérilisation y sont installés pour conserver ces produits. Et en se déplaçant d’un dépôt à l’autre, on remarque des dizaines de cartons renfermant des tentes à même le sol. Des cartons qu’Israël a refusé de laisser entrer. Mais ce n’est pas tout. Le troisième dépôt est, lui, consacré à toutes sortes d’aides qui n’ont pas pu arriver à destination en raison du refus israélien, sans aucune justification. « Tout ce qui est susceptible de générer de l’énergie ou qui renferme du contenu en métal ne passe pas. Il y a aussi des réfrigérateurs, des couveuses, des générateurs, des pompes à eau, des appareils radiographiques, des centaines des tubes d’oxygène, des glucomètres et des stérilisateurs qui sont stockés ici faute de pouvoir passer. La liste est longue. Même des toilettes portables et des marmites ! Et ce, quel que soit le pays donateur », affirme Ezzat. Les autorités israéliennes ont refusé l’entrée d’une grande partie des aides offertes par des pays comme l’Arabie saoudite, les Emirats, la Russie, la France, le Koweït, la Belgique et la Turquie. Ces conteneurs rejetés sont marqués par un grand X en rouge.
Un volontaire du Croissant-Rouge place le QR code sur un véhicule transportant de l’aide. (Photo : Chérine Abdel-Azim)
Un itinéraire parfois difficile
Par souci de transparence, chaque pays donateur est informé de l’itinéraire exact de l’aide qu’il a fournie. Abdel-Wadoud Ebeid, chef du département des technologies de l’information de cette mission, explique que c’est le directeur exécutif du Croissant-Rouge égyptien, Dr Rami Al-Nazer, qui l’a demandé. « Il nous a demandé de créer un système informatique qui permette au donateur de suivre l’itinéraire des aides. Par exemple, la partie en question suit les différentes étapes de l’acheminement de l’aide, depuis la cargaison au Caire jusqu’à ce que ces aides arrivent à Gaza », explique Ebeid. Il ajoute aussi que toutes les étapes de préparation des camions sont surveillées par des caméras.
Un des camions vient de finir l’ensemble des procédures et s’apprête à se diriger vers le point de passage de Rafah. « Selon les documents, cette cargaison renferme quelque 750 kilos de produits alimentaires. Mais avant d’approuver son départ, on doit avoir une information précise. Le terme environ n’existe pas ici. Donc, une autre pesée va avoir lieu à l’extérieur pour enregistrer le poids exact dans les documents », explique Moustapha Mohamad, l’un des volontaires responsables des dépôts.
Parallèlement au travail fait dans ces dépôts, d’autres tâches se font dans l’enceinte du bâtiment administratif où se trouvent une salle d’opérations, une salle de surveillance pour suivre tout ce qui est filmé par les caméras et une salle de réunions. Sur place sont aussi présents des volontaires chargés de tout répertorier dans un document quotidien appelé « le manifeste ». Un document qui signale le nombre de camions arrivés et ceux prêts à entrer dans la bande de Gaza. « Toutes les aides doivent passer par là, sauf celles qui viennent par la mer. Dans ce cas, les procédures sont faites au port et pas au centre logistique », explique Ahmed Derache, chargé d’accueillir les navires qui transportent des aides. Il ajoute que la majorité des navires viennent de Turquie, des Emirats et de France.
Vérification que les données sur les marchandises sont exactes. (Photo : Chérine Abdel-Azim)
Tout un système ferme et strict qui ne permet pas le droit à l’erreur et qui exige prudence et attention auprès des volontaires. Des volontaires qui travaillent en silence et avec sérieux, qui se partagent les tâches de manière harmonieuse pour venir en aide aux civils palestiniens en suivant le principe premier du Croissant-Rouge égyptien : l’humanité.
« C’est un gros effort que l’on fournit ici, on a besoin de deux shifts par jour pour être toujours prêts. Et tout est relié avec la salle d’opération centrale du Croissant-Rouge égyptien au Caire avec laquelle on est en contact 24h sur 24, 7 jours sur 7 », conclut Ahmad Ezzat, qui nous laisse subitement après avoir reçu un appel téléphonique. Il vient d’avoir une bonne nouvelle : un convoi d’aide alimentaire va rentrer le lendemain à Khan Younès … lt des dizaines de volontaires en uniforme rouge à la tâche.
Un conteneur qui a été refusé par les autorités israéliennes. (Photo : Chérine Abdel-Azim)
Lien court: