J’ai eu l’occasion de rencontrer des responsables du ministère des Affaires étrangères, alors qu’une discussion se déroulait autour de la vision de l’Egypte sur l’avenir de la région. A la lumière des évolutions sur les grands dossiers comme le nucléaire iranien, la Syrie et le retrait américain quant à de nombreuses questions régionales en plus de l’intervention russe graduelle au Proche-Orient, il était inévitable d’aborder la question des relations égypto-turques à la lumière de la tension croissante entre les deux pays après la chute des Frères musulmans et son influence sur les coalitions régionales probables à court terme. Surtout que la Turquie est passée d’un pays qui avait de solides relations avec les Etats du Proche-Orient à un pays quasi isolé au niveau régional. Ses relations avec Israël et la Syrie se sont transformées en haine et répugnance. Ensuite, il y a les relations tendues avec l’Egypte, accompagnées d’un manque de volonté chez les Saoudiens, les Emiratis et les Koweïtiens de développer leurs relations avec la Turquie, se contentant de relations politiques froides et économiques traditionnelles. Il est sûr que l’isolement turc peut mener à des comportements qui manquent de sagesse et de maturité politique de la part de ce pays.
Un des responsables présents lors de la discussion a avancé avec regret que l’Egypte avait tenté de réaliser une entente avec le côté turc, de façon directe ou indirecte, et les réponses étaient positives exprimant une volonté de dépasser la crise actuelle. La demande du côté égyptien était simple : mettre un terme aux déclarations qui nuisent à l’Egypte. Le responsable poursuit qu’il s’est avéré qu’il existait une division à Ankara en ce qui concerne l’Egypte. Le gouvernement turc, en particulier ses cercles économiques et industriels, tient à de bonnes relations avec l’Egypte et aspire à contenir le problème qui s’est aggravé en août dernier. De plus, le secteur privé turc a assuré qu’il désirait poursuivre ses projets en Egypte, et même s’élargir sur le marché égyptien. Partant, le côté égyptien a réfléchi deux fois avant de rappeler son ambassadeur à Ankara, réclamant au côté turc de ne pas enflammer la situation par de nouvelles déclarations.
Le discours avec la source égyptienne dévoile trois points importants qui peuvent nous aider à comprendre l’axe vers lequel glissent les relations égypto-turques. Le premier point est qu’Erdogan se joue des hauts intérêts turcs pour des objectifs purement personnels, au point de sacrifier les relations avec un grand pays comme l’Egypte. Et ce, pour se préparer aux élections, partant d’une conviction déterminée : l’environnement politique tendu fait de lui le leader aimé des Turcs, capable de s’accaparer facilement de leurs voix aux élections. Le deuxièmement point est qu’il apparaît clairement qu’Erdogan est émotionellement et politiquement lié aux Frères musulmans qui ont fondé des relations personnelles fortes avec lui et son parti (La Justice et le développement) pendant les 10 dernières années. Pendant cette période, les Frères musulmans ont fait la propagande gratuite de ce qu’on appelle l’exemple turc de la démocratie islamique. Ils ont également répandu l’idée que le groupe des Frères musulmans représente l’unique force capable de reproduire l’exemple turc avec des caractéristiques égyptiennes, ce qui constituerait un pas sur la voie de la récupération du patrimoine du Califat islamique par des efforts égypto-turcs et sous la direction d’Erdogan. Le troisième point est que la Turquie, Etat, gouvernement, société civile et hommes d’affaires ne sont pas unis derrière la vision d’Erdogan envers l’Egypte et la révolution de son peuple. Or, ceux-ci ne peuvent s’épargner les répercussions désastreuses de cette vision.
C’est ainsi que le leadership perdu d’Erdogan peut nous pousser à nous attendre à encore plus de déclarations stupides et de comportements idiots qui nuisent à l’Egypte et son peuple. Cet homme, qui s’estime être l’unique leader capable de contenir l’armée turque de façon à l’empêcher de tenter de s’accaparer du pouvoir, avait plusieurs fois conseillé au président égyptien déchu de contrôler les directions militaires égyptiennes ou de les éloigner. Erdogan était alors l’unique commandant capable de diriger le Proche-Orient sous une tutelle religieuse sunnite avec un rôle axial pour l’Egypte qui consistait à propager l’idée et aussi à s’y soumettre. Le rêve d’Erdogan était énorme et il a disparu avec la révolution courageuse des Egyptiens. Il a donc décidé de se venger des Egyptiens en infligeant des problèmes au nouveau gouvernement dans l’objectif de diffamer l’armée égyptienne et d’empêcher toute amélioration dans la situation économique pour prouver que la nouvelle direction est impuissante. Et par conséquent préparer une nouvelle révolution qui, selon lui, ramènerait les Frères musulmans au pouvoir lors du 3e anniversaire de la révolution du 25 janvier.
Le rêve perdu d’Erdogan le pousse à se comporter de façon dangereuse, comme le fait de porter atteinte à la sécurité et à l’économie égyptiennes, et de déclencher une guerre contre l’Egypte et son peuple. Et cela pour l’empêcher un jour de prendre la place de la Turquie. Ces comportements ont atteint leur apogée lors de la participation du chef des services secrets turcs à une des réunions de l’organisation internationale des Frères musulmans, et durant laquelle il a été décidé de consacrer un financement de 25 millions de dollars aux actes de violence en Egypte. Cela signifie que la Turquie parraine directement le terrorisme qui frappe actuellement l’Egypte. Après tout cela, faut-il s’étonner de la décision égyptienne de renvoyer l’ambassadeur turc au Caire ?
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