Parler de paix et faire la guerre. Présenter un plan sur une trêve d’une main et, de l’autre, un plan militaire pour une offensive terrestre contre Rafah. C’est ainsi que l’on peut résumer les tergiversations d’Israël tout au long de la semaine en cours. Alors que les discussions s’intensifient pour parvenir à une trêve (voir article page XX) et que l’on évoque un « terrain d’entente » trouvé lors des discussions à Paris puis à Doha entre les représentants égyptiens, qataris, américains, israéliens, ainsi que des cadres du Hamas, sur le terrain, la guerre n’a pas cessé. Tout au long de la semaine, l’aviation israélienne a multiplié les frappes à Rafah, où la population est menacée de famine selon l’ONU. Et le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a déclaré, lors d’une interview à la chaîne américaine CBS, que l’opération militaire prévue à Rafah ne serait que « retardée » si une trêve était trouvée, ajoutant qu’avec une telle opération, Israël ne serait qu’« à quelques semaines » d’une « victoire totale ». « Un tel accord ne signifie pas la fin de la guerre », a de son côté dit Tzachi Hanegbi, conseiller à la sécurité nationale du premier ministre israélien. Il s’agirait d’un « cessez-le-feu temporaire », a de son côté dit Jake Sullivan, conseiller du président américain, Joe Biden, sur CNN.
Autant de déclarations qui n’incitent pas à un trop-plein d’optimisme. Preuve que Netanyahu entend aller jusqu’au bout de sa logique de guerre, il a présenté le 25 février un plan d’« évacuation » des civils des « zones de combat » dans la bande de Gaza, ainsi qu’un « plan d’opérations à venir ».
Selon Salah Wahba, chercheur au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS), « trois facteurs expliquent les déclarations de Netanyahu et de Sullivan : il s’agit de faire pression sur le Hamas pour faire davantage de concessions dans les négociations en cours, de répondre aux mises en garde internationales lancés à Israël en premier lieu et aux Etats-Unis en deuxième lieu sur les risques d’une offensive terrestre à Rafah et sur la catastrophe humanitaire et, enfin, de lancer un message à l’opinion publique israélienne selon lequel l’option militaire choisie par Netanyahu est la bonne et est couronnée de succès puisqu’elle a obligé le Hamas à négocier. Et ce, alors que le mécontentement de la rue ne fait qu’augmenter en Israël vu que les objectifs affichés de Netanyahu, à savoir le retour des otages et l’anéantissement du Hamas, n’ont pas été atteints ».
Tergiversations israéliennes
Mais toute guerre a une fin. Et parler de « paix », c’est avant tout peaufiner les contours de l’après-guerre. Quels sont donc les scénarios de l’après-trêve, si trêve il y a ? S’agira-t-il d’un retour à la guerre ? D’une nouvelle configuration de la bande de Gaza ? Et quels sont ceux, à terme, de l’après-guerre ?
A la première question, le spécialiste répond : « L’opération militaire terrestre à Rafah constituerait le début de la fin de la guerre. Or, de nombreux obstacles se posent face à une telle opération. En premier lieu, les tensions qu’elle peut impliquer sur les relations entre l’Egypte et Israël. Ensuite, si Israël décide de lancer cette opération durant le Ramadan, ce sera une provocation et une dangereuse escalade qui conduirait à un chaos généralisé, à tous les niveaux. On peut voir une nouvelle intifada se déclencher en Cisjordanie d’autant plus que la situation y est déjà très tendue. Ou encore une escalade sur le front nord, avec le Hezbollah, et une colère grandissante dans la région. Ce qui constituera une trop grande pression sur Israël. Ce scénario est lointain ». En même temps, explique Wahba, Israël ne peut pas s’aventurer à lancer son offensive avant le Ramadan car les plans ne sont pas encore finalisés et la question du déplacement de la population civile vers le nord nécessite du temps. « On peut donc prévoir qu’Israël ne lancera son offensive contre Rafah qu’après le mois du Ramadan, et ce, pour plusieurs raisons : Israël veut alléger la pression à son encontre à travers l’annonce d’une trêve humanitaire qui permettrait l’entrée d’aides avant et durant le mois sacré. Netanyahu cherche une échappatoire face à la gronde interne, mais en même temps, il sait que sa vie politique prendra fin avec la fin de la guerre ».
Les calculs des uns et des autres
Pour ce qui est de la deuxième et de la troisième questions, force est de constater que le premier ministre israélien ne se contente pas de menacer de reprendre la guerre après une éventuelle trêve, mais qu’il fait ses propres plans de l’après-guerre. Un article publié cette semaine par The Times of Israel revient sur le plan d’après-guerre du gouvernement israélien selon lequel « Israël ira de l’avant avec son projet déjà en cours d’établissement d’une zone tampon de sécurité du côté palestinien de la frontière de la bande de Gaza ». Même après la fin de la guerre, l’armée israélienne aura la liberté d’opérer dans toute la bande de Gaza pour « empêcher toute résurgence de l’activité terroriste », dit le rapport publié par les médias israéliens. Aussi, d’après The Times of Israel, l’Etat hébreu entend laisser la gestion des « affaires civiles » à « des fonctionnaires locaux ayant une expérience administrative » et qui ne sont pas « liés à des pays ou à des entités qui soutiennent le terrorisme ». Autrement dit, pas au Hamas. Le projet ne mentionne pas l’Autorité palestinienne, au pouvoir en Cisjordanie occupée, mais n’exclut pas non plus explicitement sa participation à la gestion de Gaza.
Pendant ce temps, d’autres calculs se font côté palestinien. Le premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, a officiellement présenté, lundi 26 février, sa démission au président Mahmoud Abbas qui l’a acceptée. Une décision expliquée par « l’urgence d’un consensus inter-palestinien », à l’heure où s’intensifient dans les coulisses les négociations pour réformer la direction politique palestinienne dans le contexte de « l’après-guerre » à Gaza. « La prochaine étape nécessite de nouvelles mesures gouvernementales et politiques qui tiennent compte de la nouvelle réalité dans la bande de Gaza (…), du besoin urgent d’un consensus inter-palestinien » et de la création d’un Etat palestinien ayant autorité sur la Cisjordanie et sur Gaza, a ainsi déclaré Mohammad Shtayyeh. « Cette démission ouvre la voie à la réconciliation palestinienne. Les différentes parties palestiniennes doivent tirer profit de la conjoncture actuelle. Et dans ce contexte de la rencontre prévue à partir de ce 29 février à Moscou entre les dirigeants du Hamas, du Jihad islamique, du Fatah et d’autres factions palestiniennes », estime Wahba, selon lequel cette rencontre pourrait constituer la base de nouvelles relations entre les factions palestiniennes, et ce, « d’autant plus que le prochain gouvernement fera face à une multitude de défis, avec en tête reconstruire Gaza et intensifier la pression pour parvenir à une solution globale sur la base de deux Etats ».
D’après la chaîne Sky News Arabia, un gouvernement palestinien de technocrates pourrait être prochainement formé, avec, à sa tête, le directeur du Fonds d’investissement palestinien, Mohammad Mustafa. Ces développements surviennent à la lumière de l’annonce, la semaine dernière, selon laquelle le Hamas avait approuvé la formation d’un gouvernement technocrate dont la mission est de reconstruire Gaza et de rétablir la sécurité dans la bande après la guerre.
Tous ces développements seraient le résultat des différentes rencontres de ces derniers jours où il est question non seulement de la trêve, mais aussi et surtout de la gouvernance de Gaza et de la Cisjordanie dans le cadre d’un éventuel plan global de résolution du conflit.
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