Al-Ahram Hebdo : Le Conseil national des personnes handicapées a célébré cette année la Journée internationale des droits des personnes handicapées en lançant l’initiative « Continuer à autonomiser ». Quels sont les aspects les plus importants de l’autonomisation ?
Iman Karim : Le conseil est l’organisme responsable des questions relatives aux personnes handicapées. Il coordonne avec toutes les parties prenantes, défend les intérêts des personnes handicapées et agit comme un véritable reflet de leurs besoins, exigences, voix, préoccupations et problèmes, tout en s’efforçant de les autonomiser. L’autonomisation touche tous les aspects de la vie, y compris l’autonomisation économique. Cela se traduit par la création d’opportunités d’emploi, la promotion de petits projets et le soutien à leur commercialisation, un rôle que le conseil assume régulièrement. Sur le plan culturel, nous travaillons à l’autonomisation des personnes handicapées en les encourageant à participer à des activités culturelles et à des expositions telles que « Notre patrimoine » et « Notre terroir » pour l’artisanat et le patrimoine, ainsi qu’à des conférences culturelles. L’objectif est d’intégrer et d’autonomiser les personnes handicapées dans les activités culturelles, ce que le conseil réalise également à travers des protocoles de coopération avec le ministère de la Culture. L’autonomisation politique est également un aspect important. Le conseil sensibilise à la participation politique et facilite l’accès aux droits civils. La dernière initiative en date a eu lieu lors de l’élection présidentielle de 2024. Le conseil a lancé une campagne de sensibilisation intitulée « Votre voix est votre droit » pour autonomiser les personnes handicapées, en particulier les filles et les femmes, et les encourager à participer aux élections. Cela s’est fait en collaboration avec l’Autorité nationale des élections. Des exemples d’autonomisation et d’inclusion ont été mis en lumière, notamment en fournissant des instructions en langue des signes pour les personnes sourdes dans les bureaux de vote et des bulletins de vote en braille pour les personnes aveugles.
— Quel est le plan d’action du gouvernement pour l’inclusion des personnes handicapées dans de nouveaux secteurs économiques ?
— Le gouvernement s’efforce de fournir de nouvelles opportunités d’emploi aux personnes handicapées dans le secteur privé. Cela implique de les qualifier et de les former professionnellement à des métiers adaptés à leurs capacités et aux exigences du marché du travail. Le conseil, en collaboration avec le ministère du Travail, s’attaque actuellement à ce dossier. Il s’engage à organiser de nombreuses formations visant à renforcer l’autonomisation économique, sociale et technologique des personnes handicapées, y compris les femmes. L’objectif est de développer leurs capacités et leurs compétences pour répondre aux besoins du marché du travail et leur permettre de s’orienter vers le travail indépendant, l’entrepreneuriat, le marketing numérique et l’inclusion financière. Le programme « Forsa » (Opportunité) est actuellement mis en oeuvre en collaboration avec le ministère de la Solidarité sociale. Il s’agit d’un système intégré d’autonomisation et de qualification pour l’insertion professionnelle et l’obtention d’emplois décents. Ce programme complète le système de protection sociale des programmes d’aide aux personnes aptes au travail, en les aidant à passer du soutien à l’autonomie financière et à l’autosuffisance. Il vise également à offrir des alternatives aux jeunes, aux femmes et aux personnes handicapées pour la création de micro-entreprises génératrices de revenus. Le conseil est membre des comités spécialisés formés par le ministère de la Main-d’oeuvre pour suivre le respect du quota légal de 5 % pour la formation, l’emploi et la prise en charge des personnes handicapées. En général, le gouvernement s’intéresse aux personnes à besoins spécifiques et s’efforce de leur fournir tous les services nécessaires, y compris l’éducation, les opportunités d’emploi et l’autonomisation. La présence d’une femme handicapée à la tête du conseil est une preuve concrète de l’engagement de l’Etat à défendre les droits des femmes et des personnes handicapées.
— L’Egypte dispose-t-elle d’une base de données complète et inclusive recensant les personnes handicapées, leur nombre et leurs capacités afin de les employer de manière optimale ?
— Nous nous efforçons d’accomplir cet important dossier en collaboration avec le Conseil national de la femme et l’Agence centrale pour la mobilisation publique et le statistiques (CAPMAS). L’objectif est de créer une base de données pour les personnes handicapées, dont le nombre est estimé à environ 11 millions, selon les dernières statistiques officielles
Nous coopérons également avec les ministères de la Solidarité et de la Santé pour recenser les personnes titulaires de la carte de services intégrés. La mise à disposition de bases de données mises à jour et classées des personnes handicapées nous aide à orienter le processus d’élaboration des politiques et d’allocation des ressources de manière plus efficace et à parvenir à une société qui valorise les personnes handicapées et leur permet d’être des membres actifs.
— Comment jugez-vous l’importance de la localisation de l’industrie des prothèses en Egypte et son rôle dans la fourniture d’appareils orthopédiques ?
— La localisation de l’industrie des prothèses est d’une importance capitale. Un appareil orthopédique est comme une seconde vie pour une personne handicapée. Prenons l’exemple du fauteuil roulant, il remplace mes jambes et mes bras au quotidien et me permet de me rendre au travail. La fabrication locale de ces appareils à des prix abordables les rend accessibles à un plus grand nombre de personnes handicapées. En plus, la proximité des services de maintenance et de pièces de rechange est un atout majeur. En cas de panne, une personne handicapée peut se retrouver immobilisée pendant plusieurs semaines en attendant la réparation de son appareil. La localisation de cette industrie permettra aux personnes handicapées de s’intégrer plus facilement et plus solidement dans la société. L’Egypte pourrait également devenir un pôle régional pour cette industrie, car la région arabe en est largement dépourvue. Le conseil a signé un protocole de coopération avec les forces armées et leur Centre de recherche et de développement. Ce partenariat vise à mener des projets de recherche sur les appareils orthopédiques afin d’améliorer l’autonomisation des personnes handicapées et de leur offrir une vie meilleure, à moindre coût et avec un accès facile et rapide à la maintenance. En outre, la création d’une nouvelle industrie génère de nouvelles opportunités d’emploi pour les jeunes, économise des devises étrangères et permet de concurrencer les produits étrangers en termes de qualité. L’Egypte possède une richesse en matière d’intelligence et de main-d’oeuvre, capable de rivaliser avec les technologies internationales si les conditions adéquates sont réunies.
— Quel rôle peut jouer le secteur privé et la société civile pour faciliter l’inclusion des personnes handicapées ?
— Le secteur privé et la société civile sont des partenaires-clés dans le développement de la société. Ils ont un rôle important et fondamental à jouer, d’autant plus que l’orientation générale de l’Etat actuellement est d’encourager l’investissement et de créer de nouveaux marchés de travail pour les jeunes, qu’ils soient handicapés ou non. La nouvelle loi offre des incitations aux employeurs pour qu’ils embauchent des personnes à besoins spécifiques. L’ancienne loi imposait un quota de 5 %, mais la nouvelle loi prévoit des incitations matérielles pour les entreprises qui dépassent ce quota. La société civile a également un rôle important à jouer dans la sensibilisation, la formation et la qualification.
— Quels sont les principaux défis de l’intégration des personnes handicapées dans le marché du travail ?
— L’un des défis les plus importants de l’intégration est le manque de conscience suffisante des chefs d’entreprise quant aux capacités des personnes handicapées et le manque de conscience de la société dans son ensemble des droits des personnes handicapées. C’est un rôle majeur que le conseil joue en matière de sensibilisation de la société vis-à-vis des droits et des questions des personnes handicapées et de la manière par laquelle on peut affronter l’héritage culturel et les préjugés vis-à-vis de ces personnes et diffuser une image positive d’elles et une culture de l’acceptation de l’autre. En vue de fournir les moyens informationnels et technologiques, le conseil a effectué des tournées et une coordination dans divers gouvernorats dans le but de créer une unité pour soutenir les personnes handicapées qui sont représentées au Conseil exécutif du gouvernorat pour discuter et participer à la prise de décision liée à leurs problèmes. Quant à la législation, les lois qui ont été promulguées récemment, dont celle des droits des personnes handicapées, sont une mutation importante et un progrès tangible qui répond aux exigences des droits des personnes handicapées. Nous avons besoin de l’application du projet de loi du travail unifié, qui est en cours de discussion au Parlement, pour encourager le travail dans le secteur privé et assurer des droits et garanties nécessaires aux personnes handicapées travaillant dans le secteur privé. Sans oublier le renforcement des cadres législatifs, des entités, des programmes et des projets qui visent à lutter contre toutes les formes de violence et de discrimination contre les personnes handicapées. Le ministère de l’Education devrait aussi établir des programmes qui répondent aux besoins des personnes handicapées et former les enseignants pour qu’ils puissent traiter avec ces personnes qui ont une sensibilité excessive envers le harcèlement moral et la maltraitance.
— D’année en année, nous observons l’émergence de nouveaux termes pour décrire les personnes handicapées. Ces changements sont-ils liés à l’évolution des concepts d’autonomisation et d’inclusion dans la société ?
— Il est vrai que de nouveaux termes apparaissent régulièrement. L’objectif est souvent d’encourager et de motiver les personnes handicapées, ce qui est une initiative louable. Cependant, le conseil reste attaché au terme juridique « personnes handicapées ». Ce choix est dicté par le lien entre ce terme et les articles de la Constitution, de la loi et de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées. En effet, ce terme et sa définition sont les seuls garants de l’obtention des droits prévus par les différentes lois.
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