« Réconciliation avec qui ? », lançait le président par intérim Adly Mansour. Il répondait aux questions de journalistes en marge du sommet arabo-africain au Koweït sur les initiatives de consensus avec les Frères.
« Les gens sont d’un côté, et le groupe des Frères et ses partisans de l’autre. Est-il acceptable de se réconcilier avec un criminel ? En tant qu’Etat, nous rejetons cela », poursuivait Adly Mansour, dans des déclarations rapportées par l’agence de presse officielle MENA. Il pondérait toutefois en disant que l’Egypte oeuvre pour un processus politique « inclusif ».
Le chef de l’Etat, en poste depuis l’éviction de Mohamad Morsi, n’a pas pourtant expliqué comment son régime entend concilier tout rejet d’une quelconque réconciliation au sein d’un processus inclusif qui, logiquement, devrait inclure au moins le parti des Frères musulmans, des Frères dont le groupe renferme « des personnalités violentes », toujours selon les mots de Adly Mansour.
Lors des 5 mois qui ont suivi l’éviction de Mohamad Morsi, des politiciens égyptiens et des responsables étrangers, notamment européens, avaient tenté de mener une sorte de médiation pour convaincre le régime de transition et les Frères de faire des consensus, pour sortir le pays de la crise actuelle. Mais en vain.
Timides appels au dialogue
Les appels au dialogue au sein du gouvernement s’affaiblissent déjà face à une forte opposition des partisans de la solution sécuritaire. Le nouveau ministère de « la Justice transitionnelle » n’a pratiquement rien fait depuis sa création. Le cabinet actuel comprend les restes du gouvernement de l’ancien premier ministre, Hicham Qandil, notamment son ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, toujours en poste aujourd’hui. Il inclut aussi de nouveaux visages libéraux et de la gauche qui faisaient partie du camp révolutionnaire, dont le vice-premier ministre Ziad Bahaeddine.
Ce dernier, parmi d’autres, semble de plus en plus impuissant face à la domination du ministre de l’Intérieur. Ainsi, contre sa volonté, le gouvernement a fait passer une nouvelle loi qui d’emblée criminalise les manifestants et rend presque impossible la tenue de manifestations ou de sit-in.
Ibrahim a jusqu’à présent réussi à marginaliser, voire à intimider, tous ceux appelant à un dialogue avec les islamistes, notamment Bahaeddine, qui a lui-même proposé une initiative de réconciliation (lire page 4).
Le gouvernement est soutenu dans cette lancée sécuritaire par une rue en partie contre toute inclusion des islamistes dans le processus politique et des médias publics et privés qui n’hésitent pas à qualifier les partisans de la réconciliation de « 5e colonne », ou encore « de cellules dormantes des Frères ».
Les partisans des Frères continuent à brandir les photos de Morsi, réclamant son retour à la tête du pays et le retour de la Constitution de 2012, aujourd’hui suspendue, en attendant son amendement final début décembre.
L’usage de la force par la police contre les islamistes, qualifiés d’emblée de « terroristes », et la mise de presque tous les membres des Frères musulmans en prison, sont soutenus par un public avide d’un retour de la « sécurité et de la stabilité ». Les bavures commises par les Frères et les affrontements fréquents dans la rue ne font que renforcer ce sentiment.
Pourtant, le premier ministre Hazem Al-Beblawy, qui se rangeait résolument du côté du ministère de l’Intérieur, a critiqué dans une allocution presque incroyable toutes les voix qui assimilent « tous les Frères musulmans à des terroristes ».
Si la position du ministre de la Défense, Abdel-Fattah Al-Sissi, n’est pas claire, des membres du Conseil militaire ont bien discuté avec des figures islamistes sur les conditions d’une réconciliation avec les Frères. Le premier à avoir dévoilé le contenu de ces discussions était le prédicateur salafiste Mohamad Hassane.
Le parti Al-Nour est intervenu récemment dans ces discussions, tout comme l’avocat islamiste et ancien candidat à la présidentielle, Sélim Al-Awa. Proche à la fois de l’armée et des Frères, son initiative fut rapidement rejetée, en premier lieu par les Frères eux-mêmes.
Le régime en place exige, lui, une reconnaissance par les Frères de la « feuille de route » établie par Sissi, ce qui équivaut à une reconnaissance de l’éviction de Mohamad Morsi. Les Frères continuent à parler de « légitimité » et veulent un rétablissement de Morsi à son poste, même pour seulement 24h. Ce retour temporaire lui permettrait d’appeler à des élections présidentielles anticipées que réclamait l’opposition sortie le 30 juin.
Compromis d’un côté
Si les Frères semblent aujourd’hui prêts à renoncer à cette condition, ils restent attachés au retour de la Constitution de 2012. En fonction de ce texte, la vacance à la tête de l’Etat serait assurée par le chef du gouvernement.
Ce que l’autre camp propose consiste uniquement en un allégement des poursuites sécuritaires contre les membres de la confrérie et la libération des détenus non impliqués dans des actes de violence.
Mais aucun médiateur égyptien, pas plus que la commissaire aux relations extérieures de l’Union européenne, Catherine Ashton, ne parvient à rassembler les deux camps sur un terrain d’entente (lire page 4).
Pour le conseiller politique du chef de l’Etat Moustapha Hégazi, la raison est toute trouvée. « Il n’y a pas un seul dirigeant sage au sein de la confrérie des Frères musulmans en ce moment », dit-il.
Le romancier et professeur de sciences politiques, Ezzeddine Choukri Fishere, a lancé une initiative de réconciliation qui semble équilibrée, à mi-chemin entre les demandes des deux clans. Formée de sept propositions, elle stipule notamment l’annonce par Mohamad Morsi de sa démission en tant que président « en réponse à la demande populaire, à compter du 1er juillet 2013 ».
Le guide suprême des Frères, Mohamad Badie devrait, lui, annoncer la dissolution de la confrérie et doit également indiquer les sources de financement locales et étrangères du groupe et la façon dont elles ont été utilisées.
Pour l’instant, ni le gouvernement, ni les Frères n’ont réagi à cette initiative, alors que le vice-président de Morsi, le magistrat Mahmoud Mekki, lance une nouvelle tentative. « Il ne veut pas s’exprimer face à la presse, car s’il se passe quelque chose, la presse pourrait la faire avorter. Je dis bien si », affirme un proche de Mekki.
Les Frères semblent, en effet, décider à rendre infernale la période transitoire. Le pouvoir, Sissi en tête, semble vouloir repousser la réconciliation à plus tard. Peut-être au moment des élections présidentielles, lorsqu’il aurait besoin de compter sur l’électorat des Frères.
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