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Un petit musée, pour une grande Dame

Dalia Chams , Mercredi, 21 février 2024

Nous republions ici un article sur le musée Oum Kalsoum, annexé au Palais d’Al-Ménesterli à Manial. Une visite qui nous permet de plonger dans son univers.

Un petit musée, pour une grande Dame
Les robes en exposition nous font découvrir qu’elle était petite de taille

En 1964, la diva avait déjà un village à son nom. Son lieu de naissance, Tamay Al-Zahayra (Daqahliya), s’est transformé — sous décret présidentiel — en le village d’Oum Kalsoum. Fin 2001, 26 ans après sa mort, son musée à l’ancien Palais d’Al-Ménesterli (au Caire) s’est ouvert au public le jour même de son anniversaire : dimanche, un 30 décembre.

A l’époque, quand son père lui avait donné ce prénom, celui de l’une des filles du prophète, il y voyait certes un signe sans pour autant s’imaginer que sa fille incarnerait un symbole, une légende. Avant sa naissance, le père avait eu un rêve, le 27 Ramadan (Leïlet Al-Qadr, la nuit du destin). Une femme tout en blanc lui accordait un cadeau brillant dans un emballage vert : « C’est un bijou, lui confiait-elle, garde-le bien. Je suis Oum Kalsoum, la fille du prophète ». La réalité se substitue au rêve. Et au fil des ans, Oum Kalsoum devient Oum Kalsoum la diva. Une légende.


Elle se créait un style au fur et à mesure.

Celle-ci demeure aussi symbolique et énigmatique, après avoir visité son musée, au bord du Nil. Car le petit musée qui avait coûté 7 millions de L.E. lors de son ouverture, s’étendant sur 250 m2, restitue l’icône sans révélations.

Ce n’est pas par hasard que la première chose que nous apercevons à l’entrée soit les lunettes noires et l’écharpe rouge rose, très emblématiques. « Encore petite, Oum Kalsoum, ayant peur, tenait l’habit de son père. Le bout de sa djellaba lui donnait confiance ; elle le pétrissait entre ses mains pour faire résonner sa voix et aller encore plus haut que le brouhaha tout autour », racontait-on.

Ensuite, les robes en vitrine attirent tout de suite les regards, empêchant les visiteurs de tourner à gauche ; ils vont plutôt tout droit vers ces tenues qui leur sont familières, comme sous hypnose. Elles rappellent d’ailleurs à toute une génération le souvenir d’un tel ou tel concert. En Tunisie, la diva portait toujours cette robe djellaba verte. Se rendant dans les pays du Golfe, elle optait plutôt pour ce modèle blanc perlé, allant de pair avec la nature et l’histoire de l’endroit où elle chantait. Avec chacune de ses robes-cafetans est exposée l’écharpe assortie.


Ses paires de chaussures. (Photo : Nadir Sanhagi)

Et puis suivant l’architecture cylindrique du musée, les mémoires partagées avec la diva affluent ; on se laisse submerger par ses émotions. Des panneaux avec un collage de photos en noir et blanc relatent sa vie par bribes. Là, elle avait de bons rapports avec Sadate, encore vice-président. Il l’accompagnait à l’aéroport, jusqu’à son avion, lorsqu’elle devait partir pour les Etats-Unis, afin de se faire opérer de la thyroïde. Sur un autre panneau, les rapports étaient plus distants. Devenu le raïs, une rivalité avec son épouse Géhane Al-Sadate — surnommée depuis 1970 « la première Dame d’Egypte » — altère leurs rapports. C’est pour Oum Kalsoum le début de la fin. Les relations deviennent de plus en plus tendues, contrairement qu’avec Nasser, son prédécesseur.

Le mystère reste intact

Aux côtés des colliers et décorations de haut rang qu’elle avait décrochés, une série de petits objets nous renseigne davantage sur les détails de son quotidien. Le « rideau de fer » imposé par la diva afin de protéger sa vie privée est bien respecté, autant par les responsables du musée et par ses parents que par une majorité du public qui ne cherche guère à dépasser la frontière tracée par l’artiste de son vivant. C’est comme si nous cherchons tous à conserver l’image intacte de la diva telle qu’on l’a connue et perçue de tout temps.


Ses lunettes noires emblématiques.

Une sorte d’autocensure s’opère à ce niveau. La preuve, le film L’Astre de l’Orient, signé en 1999 par Mohamad Fadel, abordant sa vie affective, a été un échec complet et a engagé toute une polémique autour de ce qu’il faut représenter de la diva.

Le musée tient compte de tout ceci : ne pas exposer des robes de chambre ou des tenues légères non habituelles pour la diva, ni des lettres jugées intimes d’une façon ou d’une autre.

La sélection des pièces de la collection du musée était très dure à faire, étant donné aussi sa superficie limitée. « Nous avons mis le portrait de son père et non celui de sa mère, par exemple, car la photo est moins jolie. Une lettre échangée avec une amie, une princesse du Golfe, renfermait des choses jugées personnelles ; donc il fallait la mettre de côté. Cependant, d’autres lettres et vêtements à notre disposition seront exposés en alternance, ils remplaceront tour à tour ceux qui sont actuellement en vitrine. Car nous ne disposons pas d’assez de place », avait précisé Ahmad Antar, le premier directeur du musée qui a participé à son installation, ajoutant : « Elle ne savait pas utiliser ce poste de radio qu’on lui avait offert. Et quand elle l’a mis en marche pour la première fois, elle était rouge de colère après avoir entendu une autre voix interpréter l’une de ses chansons. C’était la Libanaise Soad Mohamad ».


Collage de photos retraçant sa vie. (Photo : Nadir Sanhagi)

Dans la même vitrine, le premier contrat qu’elle a signé avec la radio, quelques jours après son inauguration en 1934. Elle devait chanter une heure pour 25 L.E. (alors qu’en 1951, elle touchait 600 L.E. pour animer une soirée de chants par mois). A la fin du contrat, elle avait ajouté une note de bas de page indiquant qu’elle est censée bénéficier du cachet le plus élevé d’un chanteur à la radio. Entre guillemets, son rival Abdel- Wahab ne doit jamais toucher la même somme qu’elle.

Plus loin, un écran ondulé de 19 mètres raconte l’histoire de l’Egypte à travers celle d’Oum Kalsoum dès 1934. Le lieu se transforme en un magasin de bric-à-brac, très artistique quand même. Des manuscrits de ses chansons, avec moutures. Des paires de chaussures. Son célèbre croissant en diamant. Des disques. Son carnet, avec une leçon de français et des remarques qu’elle enregistrait à l’issue de ses concerts : « Tu étais superbe ce soir Madame ! ».


Luth et broche en diamant. (Photo : Nadir Sanhagi)

Sur son luth — car au début de sa carrière, dans les années 1920, elle chantait en jouant sur son luth — est inscrit à sa demande : « La Yoaraf Al-Marä fi Asrih » (l’homme n’est jamais reconnu à sa juste valeur de son époque). Oum Kalsoum, on la connaît mieux certes après avoir visité son musée, mais on connaît surtout le visage qu’elle a voulu laisser voir.

 Pour le plaisir des yeux et des oreilles

 En passant à la médiathèque, attenante au musée, on cherche à combler toute attente inassouvie, après avoir achevé sa tournée. Juste à côté de la porte d’entrée, une petite salle renferme cinq écrans tactiles. Les images et les chansons s’affichent par un simple toucher. La voix d’Oum Kalsoum nous arrive plein les oreilles.


Carnets et journal intime. (Photo : Nadir Sanhagi)

A l’aide des casques, tout visiteur peut couper net avec ce qui l’entoure et baigner dans le monde de la chanteuse mythique. Pour en savoir plus, il faut se retourner vers les étagères à droite, sur lesquelles sont rangés tous les ouvrages sortis en arabe sur Oum Kalsoum. Des livres qui ont été publiés pour la plupart après la diffusion du feuilleton d’Enaam Mohamad Ali, d’après un scénario de Mahfouz Abdel-Rahmane, en 1999. Seuls deux livres précédaient cette date, à savoir celui de Neamat Fouad, Oum Kalsoum, Asr Min Al-Fan (Oum Kalsoum, une époque d’art, 1976) qui privilégie le déroulement de sa vie, et celui de Ratiba Al-Hefni, focalisant plus sur son évolution artistique et l’apport de chacun de ses compositeurs : Oum Kalsoum Moeguizet Al-Ghinä Al-Arabi (Oum Kalsoum, le miracle du chant arabe, 1994, Dar Al-Shorouk).


Affiche de film.

La date de publication de plusieurs autres livres remonte à 1999- 2000. Les maisons d’édition libanaises, notamment, n’ont pas manqué d’investir le succès du feuilleton de 1999, ayant remis Oum Kalsoum en tant que personnage sous les feux de la rampe. Citons-en : Hayatha wa Aghaniha (sa vie et son oeuvre, de Maguid Trad. Al-Moässassa Al-Hadissa lil Kitab, 1999), Hékayti maa Oum Kalsoum (mon histoire avec Oum Kalsoum, Gros Press 2000, par Georges Al-Khouri, rédacteur en chef de la revue libanaise Al-Chabaka), Oum Kalsoum wa Khamsoune Sana Siyassa (Oum Kalsoum et 50 ans de politique, Al-Dar Al-Masriya Al-Lobnaniya, 1999, par Hanafi Al-Mahallawi), Kan Sarhan min Khayal (édition Al-Massar, 1999, une traduction de l’ouvrage de Sélim Nessib Turkieh : Oum, éd. Ballard, Paris 1994) et Oum Kalsoum, Siret Al-Hob (Oum Kalsoum, histoire d’amour, par Adel Hassanein, deuxième édition 1999, Amadou).

Sa villa n’existe plus


Sa villa, rue Aboul-Féda à Zamalek, avant sa démolition.​

L’architecture de la plupart de ces ouvrages est souvent la même : de maigres chapitres sur sa vie et de longues pages sur son oeuvre, consacrant une partie aux annexes et notes musicales. Le public prend toujours le dessus sur le privé. Mais à travers ces écrits, nous essayons de tisser l’autre facette de la diva, nous imaginons toucher ses meubles et le reste de ses objets personnels qui ne figurent pas dans le musée, sa villa sur la corniche de Zamalek ayant été détruite dans les années 1980.

Des compilations d’articles, préparés par les maisons d’édition Merit et Al-Mahroussa, ainsi que par l’Institut de musique arabe en Tunisie, nous aident à mieux restituer les pièces du puzzle.

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