Tantôt surnommée l’Astre de l’Orient, tantôt la Quatrième Pyramide, la Dame du chant arabe, ou encore Al-Sett, Oum Kalsoum continue de susciter une passion et un engouement remarquables même près de 50 ans après sa disparition en 1975. Des cafés populaires aux taxis en passant par les foyers, sa voix, un contralto profond, résonne encore à travers ses chansons intemporelles comme Enta Omri (tu es ma vie), Al-Atlal (les ruines), provoquant des émotions profondes et suscitant des souvenirs nostalgiques.
De son vrai nom Fatima Ibrahim Al-Sayed Al-Beltagui, la chanteuse faisait le bonheur de plusieurs millions d’individus. Chanteuse à l’émotion pure, lunettes noires et foulard en main, Al-Sett déclenchait cris d’amour, déchirements profonds et exaltations épidermiques pendant ses concerts qu’elle donnait à partir de 1934 tous les premiers jeudis du mois au Caire. C’était un rituel, la diva arrivait avec une nouvelle chanson, comme une offrande à ses millions de fans … Ces jours-là, aucun dirigeant politique ne se serait risqué à faire une déclaration, il n’aurait eu aucune chance d’être écouté, toutes les oreilles étaient religieusement tendues vers « la voix des transistors ».
A la fois une figure historique et une partie intégrante du quotidien.
« Le premier jeudi du mois était attendu avec impatience par des millions de fans à travers le pays, qui se préparaient à passer une soirée magique en compagnie de leur diva bien-aimée. Dès le matin, l’excitation commençait à monter alors que les gens se préparaient pour la soirée spéciale qui les attendait. Les rues étaient animées par l’effervescence de ceux qui se rendaient chez des amis ou des proches pour écouter le concert ensemble », se souvient Adel Al-Koussi, un des fans d’Oum Kalsoum. Il raconte qu’à l’approche de l’heure du concert, les maisons se remplissaient de familles et d’amis qui se rassemblaient autour de la radio, prêts à écouter la voix enchanteresse d’Oum Kalsoum. Les rues se vidaient progressivement alors que les gens se plongeaient dans l’atmosphère magique du moment suspendant le temps pour savourer chaque note et chaque mélodie. Une fois que le concert commençait, c’était comme si tout le pays retenait son souffle. « Les rues étaient calmes, à l’exception du son doux et mélodieux de la musique qui s’échappait des fenêtres ouvertes des maisons. Après l’avoir écoutée chanter, les gens s’extasiaient, fondaient en larmes ou se précipitaient hors de leur maison dans un état de stupeur, ne sachant que faire ni où aller », poursuit-il. Aujourd’hui encore, au moins deux fois par semaine, ce septuagénaire s’allonge sur un canapé, met en musique une chanson d’Oum Kalsoum, généralement Al-Atlal ou Robaïyat Al-Khayyam, et l’écoute pendant environ deux heures.
Elle touche aussi bien les jeunes que les seniors.
De l’extase et de la transe
Idem pour Mokhtar Al-Chorbagui, 57 ans, qui vibre toujours au son des albums de la diva. A l’écoute de ses chansons, il se replonge dans ses souvenirs les plus précieux. Rotana Classic est sa chaîne préférée car elle lui permet de revivre les moments magiques des concerts d’Oum Kalsoum. « Quand j’ai besoin de me détendre après une longue journée de travail, je m’installe devant la télévision et je mets Rotana Classic pour regarder les concerts de Souma. Cela me transporte vers un autre monde, un monde de beauté, de grâce et d’émotion. Pour moi, elle est bien plus qu’une chanteuse, c’est une source d’inspiration et de réconfort, elle me rappelle toutes les étapes de ma vie, les moments heureux comme les moments malheureux », raconte-t-il.
Même les jeunes nés après la disparition de la diva en sont épris. Hoda Al-Masri, trentenaire, considère sa collection de disques vinyles d’Oum Kalsoum comme un trésor : « Même si j’appartiens à la génération numérique, j’ai toujours une collection de disques de ses albums que j’ai héritée de mes grands-parents. Ecouter ses chansons sur ces disques me procure une sensation unique et me donne l’impression d’être transportée dans une autre époque où la musique était plus tangible et plus authentique ». Hoda ne rate pas non plus tout ce que la télé diffuse sur Oum Kalsoum, que ce soit les concerts ou les documentaires retraçant sa vie et sa carrière.
Ses albums demeurent au top des ventes.
Ses chansons emblématiques abordant des thèmes tels que l’amour, la rupture, la nostalgie et l’espoir s’adressent encore aux jeunes et confèrent une pertinence intemporelle qui résonne encore aujourd’hui. Comme le souligne Al-Masri. « Ce qui est drôle, c’est que quand on voit des jeunes écouter Oum Kalsoum le soir, on sait automatiquement qu’ils sont amoureux ! ». Et ce, parce que Oum Kalsoum est souvent considérée comme un symbole, comme la voix des générations. C’est ce qu’a aussi affirmé le célèbre acteur Omar Sharif, lors d’un excellent documentaire réalisé sur sa vie : « Pourquoi nous sentons-nous si connectés à elle ? Peut-être que nous entendons, chacun, notre propre histoire dans ses chansons », dit-il.
Aujourd’hui encore, 50 ans après son décès, elle est omniprésente dans le quotidien et l’inconscient collectif des Egyptiens. Sa musique est diffusée dans les cafés, les marchés et les fêtes familiales. Ses paroles sont inscrites dans une élégante calligraphie sur les invitations de mariage et ses concerts continuent d’attirer un public fervent lorsqu’ils sont diffusés à la télévision ou au cinéma. Son visage emblématique, avec ses lunettes de soleil noires et sa coiffure bouffante, est joliment encadré dans les différents lieux.
Et ce n’est pas tout. Ces dernières années, des avancées technologiques ont permis de recréer virtuellement la présence d’Oum Kalsoum à travers des hologrammes. Ces projections holographiques sont utilisées lors d’événements spéciaux et de concerts commémoratifs, permettant aux fans de ressentir l’émotion et la magie de ses performances en direct. « J’ai eu la chance d’assister à un spectacle d’hologramme d’Oum Kalsoum et c’était une expérience incroyable. Voir son image projetée sur scène, avec sa voix légendaire résonnant dans la salle, m’a donné des frissons. C’était comme si elle était vraiment là avec nous, même après toutes ces années », raconte Amina Mostafa, 50 ans.
Les chansons d’Oum Kalsoum durent, en raison des innombrables variations de sa sublime voix, environ une heure. C’est le cas d’Al Atlal, l’une de ses plus célèbres chansons, où elle chante comme à son habitude les tourments de l’amour.
Une icône, une légende
Mais comment Oum Kalsoum, la petite paysanne du delta du Nil, en est-elle arrivée là ? Les circonstances de sa naissance lui ont sans doute permis, tout au long de sa vie, de persévérer contre vents et marées. Née en 1904 à Tamay Al-Zahayra dans la province de Daqahliya en Egypte, son père, muezzin à la mosquée, lui apprend la récitation et la lecture des textes coraniques et c’est en psalmodiant le Coran qu’elle découvre alors sa sensibilité au chant et à la musique, ainsi que la splendeur de sa voix. Enfant, habillée en garçon, elle anime dans des villages des fêtes profanes et religieuses aux côtés de son père et de son frère. En 1920, elle se rend au Caire pour y chanter l’amour de sa voix souple et puissante, elle façonne son public et toutes les personnes de différents classes et niveaux d’éducation. Et, en dix ans, elle devient la plus grande chanteuse d’Egypte puis, notamment avec la proclamation de la République, celle du monde arabe. Une femme vue comme étant aussi conservatrice que puissante.
Son décès le 3 février 1975 a été déclaré jour de deuil en Egypte.
Mais Oum Kalsoum, ce n’est pas seulement une grande chanteuse, c’est aussi un phénomène social qui continue de flamboyer, comme le dit Virginia Danielson, auteure du livre The Voice of Egypt. « Nous devons saisir non seulement la vie derrière le mythe, mais aussi le mythe au coeur de la vie ». « Oum Kalsoum est la seule artiste connue en dehors de la région arabe qui ait fait l’objet d’un mythe. Elle a réussi à rallier le monde arabe à la musique et rappelle par ailleurs le grand essor musical que l’Egypte a connu », explique de son côté le compositeur français Alain Weber. La force de ses cordes vocales et ses concerts étaient l’une des rares choses à faire l’unanimité en Egypte et dans tout l’espace arabe. Quant au poète Ahmad Ramy, il disait : « Les Arabes ne s’accordent ni en politique ni en pensée, en revanche, ils ne s’accordent que sur l’écoute d’Oum Kalsoum ».
Avec sa voix polyphonique, forte, puissante, vibrante et exceptionnelle, sa forte présence sur scène, son regard pénétrant et son timbre unique, Om Kalsoum a fait l’unanimité auprès des critiques musicaux qui la qualifient de phénomène musical rarissime. « Ses chansons sont, sans contestation, une exception du chant arabe. En plus, elle a su s’entourer des plus grands poètes comme Ahmad Ramy, Ahmad Chawqi, et des plus grands compositeurs arabes comme Zakariya Ahmad, Riyad Al-Sonbati et Mohamad Abdel-Wahab. Ses chansons sont du vrai tarab », estime Chaabane Youssef, poète et critique d’art. Le tarab est, selon l’écrivain Naguib Mahfouz, « le paroxysme de l’émotion, de l’amour, dans la jouissance de la beauté ».
Un symbole pour tant de femmes.
Preuve que son oeuvre est éternelle, son répertoire est sans cesse repris par de nombreux artistes égyptiens et arabes. Et comme le dit son arrière-petite-nièce à peine âgée de 17 ans, Sanaa Nabil, qui a donné une performance exceptionnelle sur Arabs Got Talent : « Oum Kalsoum, ce n’est pas que le passé. Elle et ses chansons existent en dehors du temps. Oum Kalsoum, c’est un miracle plus fort que la mort ».
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