Al-Ahram Hebdo : 16 pays donateurs ont suspendu leur financement à l’UNRWA suite à des allégations selon lesquelles des membres du personnel de l’agence auraient été de connivence avec le Hamas lors des attaques du 7 octobre. Quelles sont les répercussions de cette décision sur les conditions de vie des Palestiniens dans la bande de Gaza ?
Inas Hamdan : La suspension du financement par 16 pays donateurs, dont les plus grands contributeurs financiers à l’UNRWA, intervient à un moment où la bande de Gaza est confrontée à une crise, voire à une catastrophe humanitaire, en raison de la poursuite des combats. Cette décision aura des conséquences encore plus désastreuses sur la vie dans la bande de Gaza, car l’UNRWA est la plus grande agence onusienne à fournir des services de secours aux Palestiniens.
— Y a-t-il un espoir que les donateurs reviennent et que l’agence reprenne son travail ?
— Une enquête supervisée par le Bureau des Services de Contrôle Interne (BSCI) est en cours. En parallèle, une enquête externe sera menée par une commission indépendante nommée par le secrétaire général des Nations-Unies. Le groupe d’enquête externe sera dirigé par Catherine Colonna, ancienne ministre française des Affaires étrangères. Elle travaillera en collaboration avec trois organismes de recherche : l’Institut Raoul Wallenberg en Suède, le Chr. Michelsen Institute en Norvège et l’Institut danois des droits de l’homme. La commission commence ses travaux le 14 février 2024 et elle est chargée de soumettre un rapport fin avril. Ce rapport sera rendu public.
En parallèle, des contacts intenses sont en cours avec les pays donateurs. Le commissaire général de l’UNRWA effectue des visites dans un certain nombre de ces pays pour tenter de les persuader de restaurer les fonds destinés à l’agence.
— Comment l’agence opère-t-elle dans la bande de Gaza après cette décision ? Dispose-t-elle de ressources suffisantes pour aider les Palestiniens jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu ou un arrêt des combats soit atteint ?
— L’UNRWA continue à ce jour de fournir des services de secours et d’assistance humanitaire aux habitants de la bande de Gaza, malgré le manque de ressources et la difficulté des conditions dans lesquelles travaillent les acteurs humanitaires. Malheureusement, comme l’UNRWA l’a déjà déclaré, nous serons contraints de suspendre nos opérations à la fin du mois de février en cours si les pays donateurs ne reprennent pas leur soutien et ne comblent pas le déficit de financement de 440 millions de dollars. L’UNRWA réitère également son appel à un cessez-le-feu afin que les équipes humanitaires puissent accéder à toutes les zones de la bande et acheminer l’aide nécessaire.
— Quel est l’impact de cette décision sur les pays d’accueil des réfugiés, en particulier la Syrie et le Liban, qui font face à des problèmes économiques et à un manque de ressources ?
— Bien sûr, la décision de suspendre le financement n’affectera pas seulement la bande de Gaza, mais aussi toutes les zones d’opération de l’UNRWA. Plus de 5,9 millions de réfugiés palestiniens qui reçoivent des services d’éducation, de santé et de secours seront touchés, y compris les réfugiés de la bande de Gaza. L’UNRWA gère plus de 700 écoles dans ses cinq zones d’opération. Plus d’un demi-million d’élèves ne pourront plus poursuivre leurs études dans les écoles de l’UNRWA. 5,9 millions de réfugiés dans les cinq zones d’opération de l’UNRWA ne pourront plus accéder ni aux services de santé primaires, ni aux services de secours, tels que l’aide financière. En plus, les 30 000 employés de l’UNRWA dans les cinq zones, dont 13 000 dans la bande de Gaza, risquent de perdre leur emploi.
— Concrètement, quelles sont les difficultés auxquelles l’équipe de travail de l’agence est confrontée depuis le début des bombardements israéliens le 7 octobre ?
— Fournir de l’aide humanitaire en période d’instabilité est une mission risquée. Les équipes de l’UNRWA à Gaza travaillent dans des conditions exceptionnelles pour garantir que l’aide parvienne aux personnes déplacées et à la population en général. Par exemple, l’un de nos convois a été pris pour cible il y a quelques jours alors qu’il était en route pour acheminer des secours d’urgence dans la bande de Gaza. Il est impossible de fournir une aide humanitaire sous les tirs. Cela accroît les défis auxquels l’UNRWA est confrontée dans l’exercice de mission humanitaire.
— Israël cherche à mettre fin au rôle de l’UNRWA dans la bande de Gaza et à la remplacer par d’autres organisations, dont le Programme alimentaire mondial. Est-il possible de remplacer l’UNRWA par d’autres organisations ?
— L’UNRWA est la plus grande agence onusienne fournissant une aide vitale aux réfugiés palestiniens, en collaboration avec d’autres organisations dans certains domaines comme l’UNICEF ou l’OMS. L’UNRWA a le plus grand nombre d’employés, avec 13 000 employés, rien que dans la bande de Gaza. Par exemple, l’UNICEF fournit les vaccins aux enfants dans la bande de Gaza, mais ce sont les équipes de l’UNRWA, à travers ses 22 centres médicaux, qui les administrent. Trouver un substitut à l’UNRWA n’est pas une tâche facile et nécessite du temps, des efforts et des ressources. Le mandat de l’UNRWA est de fournir des services de secours et d’assistance aux réfugiés palestiniens jusqu’à ce qu’une solution juste et acceptable pour toutes les parties soit trouvée. Il est donc très difficile de remplacer l’UNRWA.
— Quel est le nombre de réfugiés palestiniens selon les registres de l’UNRWA ?
— L’UNRWA fournit actuellement des secours et des services vitaux à environ 5,9 millions de Palestiniens dans ses cinq zones d’opération. Plus d’un demi-million d’enfants sont inscrits dans ses écoles, et ses cliniques reçoivent plus de 7 millions de visites chaque année. Dans la région de Gaza, par exemple, il y a 2,2 millions de personnes, dont 70 % sont des réfugiés. 300 000 enfants palestiniens reçoivent une éducation gratuite dans 183 écoles de l’UNRWA dans la bande de Gaza.
— L’UNRWA a pour rôle de défendre la culture et l’identité palestiniennes, en particulier la mémoire de la Nakba. Comment l’UNRWA accomplit-elle cette mission ?
— L’UNRWA est un témoin oculaire de la tragédie palestinienne depuis plus de 70 ans. L’agence a été créée en 1949 pour fournir une assistance aux réfugiés palestiniens qui ont été chassés de leurs foyers lors de la Nakba. Au fil des années, l’UNRWA a accumulé une vaste collection de documents qui retracent l’histoire et les épreuves du peuple palestinien. L’UNRWA s’est récemment engagée dans un projet de numérisation de ses archives. Cela permettra de rendre ces documents plus accessibles aux chercheurs et au public et de contribuer à la préservation de la mémoire palestinienne. La collection numérisée de l’UNRWA comprend plus d’un demi-million de documents, dont des négatifs photo, des photos imprimées, des films et des bandes vidéo. Ces documents couvrent tous les aspects de la vie des réfugiés palestiniens, depuis 1948 jusqu’à nos jours. Ils constituent une source précieuse d’informations sur l’histoire palestinienne et sur les défis auxquels les réfugiés palestiniens sont confrontés.
— Pouvez-vous résumer l’histoire de l’UNRWA ? Quel est son rôle depuis le début de l’occupation israélienne ?
— L’UNRWA a été créée par l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1949 pour fournir une aide et une protection aux réfugiés palestiniens. L’agence a commencé ses opérations le 1er mai 1950. Depuis le début de l’occupation israélienne en 1967, l’UNRWA joue un rôle crucial dans la fourniture des services essentiels aux réfugiés palestiniens. En l’absence d’une solution juste et durable au problème des réfugiés palestiniens, l’UNRWA continue à jouer un rôle vital dans leur vie. L’agence s’efforce de leur garantir une vie digne. Pour ce faire, l’UNRWA a créé sur place les conditions nécessaires pour que les réfugiés puissent bénéficier, dans la mesure du possible, d’un niveau de vie décent, d’une vie longue et saine, de connaissances et de compétences et de leurs droits humains.
— Quels sont les services offerts par l’agence ?
— L’UNRWA gère un système de santé efficace pour les réfugiés palestiniens en offrant des soins préventifs et curatifs. Elle organise des campagnes de vaccination dans les écoles afin de protéger les enfants contre les maladies infectieuses. L’agence fournit également des soins de santé secondaires subventionnés. En outre, l’UNRWA propose des services de planification familiale, de soutien psychologique et de réadaptation thérapeutique. Cette approche holistique du cycle de vie permet à l’UNRWA de prodiguer aux réfugiés les soins dont ils ont besoin à tous les stades de leur vie, contribuant ainsi à l’augmentation de leur espérance de vie.
— Qu’en est-il de l’éducation et des autres services ?
— L’UNRWA s’engage depuis près de 70 ans à garantir aux enfants des réfugiés palestiniens un accès à une éducation de qualité. L’agence vise à leur donner les moyens de développer leur plein potentiel et de devenir des adultes confiants, innovants et curieux. L’UNRWA gère un réseau de 702 écoles primaires et préparatoires et huit écoles secondaires au Liban. L’agence offre ainsi une éducation de base gratuite à environ 545 000 enfants de réfugiés palestiniens. En outre, l’UNRWA propose des formations professionnelles et techniques dans huit centres de formation, accueillant environ 8 000 réfugiés. Deux collèges de sciences de l’éducation, l’un en Cisjordanie et l’autre en Jordanie, dispensent un enseignement supérieur à 2 009 étudiants. Le département des secours et des services sociaux de l’UNRWA concentre ses efforts sur les réfugiés les plus démunis dans ses cinq zones d’intervention. Son objectif est de fournir aux plus vulnérables des denrées alimentaires de base, des fonds d’urgence et des logements adéquats. Un programme de microcrédit géré par l’UNRWA offre aux bénéficiaires un accès au crédit, ainsi qu’une formation. Enfin, le département de l’infrastructure et de l’amélioration des camps s’efforce de remédier à la détérioration des conditions de vie dans les camps de réfugiés où l’UNRWA est présente. L’agence a adopté une approche communautaire axée sur une planification urbaine stratégique et participative, qui prend en compte l’infrastructure environnementale, les locaux de l’UNRWA, les abris et l’amélioration générale des camps.
Lien court: