« J’ai toujours rêvé de devenir médecin pour soigner les blessés de la guerre. A présent, ce projet s’est évaporé. L’école n’existe plus. J’ai perdu tous mes cahiers. Mon carnet de notes qui prouve que j’étais un brillant élève en deuxième année primaire a disparu. A présent, quand ma mère me donne des conseils, je ne lui prête guère l’oreille. A quoi bon être un enfant obéissant et brillant à l’école alors que je vais bientôt mourir. Un enfant gazaoui est devenu synonyme de haine et de mort. Pourquoi donc faire des plans d’avenir quand on n’a pas la chance de rester en vie ! ». Un témoignage douloureux, celui de Fayeq, un enfant palestinien de neuf ans, dont les parents sont arrivés au Caire il y a quelques semaines pour faire soigner leurs graves blessures. Cet enfant, qui parle comme un adulte, confie qu’il était inscrit dans une des écoles de l’Office de secours et de travaux des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA). Aujourd’hui, plusieurs établissements scolaires ont fermé leurs portes. Cet enfant a perdu son innocence et la tristesse se lit sur son visage même si sa mère ne cesse de le rassurer en lui disant qu’un jour, il pourra regagner les bancs de l’école. Et, lorsqu’il parle de son école, ses yeux s’illuminent et un léger sourire teint de tristesse se dessine sur ses lèvres.
Le cas de Fayeq n’est pas unique. Selon le site officiel de l’UNRWA, il existait, avant la guerre en cours, 183 écoles accueillant plus de 278 000 élèves à Gaza. Ces enfants grandissaient dans des conditions sombres, souvent entourés de pauvreté et de violence. L’école leur offrait un endroit où ils pouvaient acquérir des compétences pour un avenir meilleur. Ces dernières années, faute de financement, les établissements de Gaza ont été surchargés. 63 % des écoles fonctionnaient selon un système à double vacation, avec un bâtiment accueillant une école et ses élèves le matin et une autre école avec différents élèves le soir (7 % des écoles fonctionnaient également selon un système à trois périodes).
Outre les services d’éducation de base, l’UNRWA offrait également des opportunités de formation professionnelle et technique à environ 1 000 étudiants chaque année dans ses centres de formation de Gaza et de Khan Younès, en ciblant les étudiants les plus pauvres, les plus vulnérables et les moins performants.
Mais depuis le début de la guerre en cours, 152 employés de l’UNRWA (60 % parmi eux sont des professeurs) ont trouvé la mort et 147 établissements scolaires dépendant de l’agence ont subi de graves dégâts (65 écoles, soit 35 % des écoles dépendant de l’UNRWA, ont été complètement détruites), sans compter que 18 centres de santé sont devenus hors service. Les études ont été interrompues dans les écoles de l’UNRWA et dans d’autres. L’agence craint aussi un problème auquel elle sera confrontée après la fin de la guerre : les élèves auront raté une année scolaire supplémentaire en plus des deux années perdues à cause de l’épidémie du Covid-19, selon Rami Al-Medhoun, responsable à l’UNRWA contacté via WhatsApp. Il ajoute que 4 327 élèves ont trouvé la mort depuis le début de la guerre selon les chiffres du ministère de l’Education. D’ailleurs, vu que l’infrastructure a été détruite et qu’Internet est presque tout le temps interrompu, les élèves ne peuvent pas suivre leurs études à domicile, d’autant plus que les conditions sécuritaires sont dérisoires.
Une situation qui risque de pousser les enfants à quitter les bancs scolaires sans compter qu’un grand défi s’impose aussi à l’UNRWA suite à la guerre. Le fait de vider ses écoles des réfugiés dont les maisons ont été détruites, d’après cette source.
Pire encore. 17 pays donateurs ont décidé de suspendre leur financement à l’UNRWA qui s’occupe du dossier éducatif et sanitaire
des réfugiés depuis sa fondation en 1949 après que 12 employés de l’URNWA ont été accusés d’avoir participé aux attaques du Hamas du 7 octobre. Il s’agit de 461 millions de dollars consacrés à l’éducation, à la santé et aux services sociaux. « Une décision qui aura un impact sur le processus éducatif dans les cinq zones où oeuvre l’UNRWA, en Cisjordanie, à Gaza, au Liban, en Syrie et en Jordanie. Ce qui toucherait de près aux conditions de vie de 5,9 millions de réfugiés répartis dans ces régions, surtout que 80 % des Gazaouis vivent en dessous du seuil de pauvreté », dit Al-Medhoun. Une décision qualifiée d’« injuste, dangereuse et destructive » par Ali Huwaidi, directeur général de l’Association 302 pour la défense des droits des réfugiés. Car le licenciement de ces employés a eu lieu sans même mener une enquête pour s’assurer des faits.
« Arrêter le travail de l’UNRWA signifie la fermeture de 715 écoles et 140 centres de santé qui lui sont affiliés dans 58 camps des cinq zones d’opération de l’UNRWA, ce qui affectera l’avenir d’environ 550 000 étudiants, hommes et femmes, et la vie d’environ 300 000 réfugiés palestiniens qui bénéficient du réseau de sécurité sociale et ce, sans compter les 29 000 employés travaillant à l’agence », estime Ali Huwaidi.
Sept générations sur les bancs des écoles de l’UNRWA
Les souvenirs défilent dans la mémoire de Salsabil Mohamed, journaliste de 37 ans, qui a rejoint les bancs des écoles de l’UNRWA en 1994 avec le retour de l’Autorité palestinienne à Gaza. Quand elle observe son ancienne école qui est devenue un refuge pour les Gazaouis, elle sent une grande nostalgie vis-à-vis de cet endroit, témoin des plus beaux jours de son enfance et de ses rêves d’un avenir pour toute une patrie. Elle était en deuxième année primaire. « Ma famille avait le statut de réfugié car elle était native de Beer Sheva, j’avais donc le droit de m’inscrire dans les écoles de l’UNRWA jusqu’au cycle élémentaire (3e préparatoire). Bien que l’enseignement dans ces établissements ait été gratuit, sa qualité a été excellente. Il est vrai qu’on était trois sur le même banc, qu’on étudiait dans des livres usés que l’on devait remettre à la fin de l’année pour qu’ils soient donnés aux élèves de la promotion suivante. Cependant, les professeurs étaient très compétents et devaient passer des tests stricts avant d’être cadrés dans les écoles de l’UNRWA. C’est grâce à ces écoles que j’ai eu une bonne éducation. On a appris le programme égyptien, surtout qu’il y avait un accord avec le ministère égyptien de l’Education, mais le système des examens était différent. Il comptait sur la réflexion, la capacité d’accéder à l’information et d’élargir nos connaissances, surtout que la bibliothèque a été hyper-importante dans ces écoles, et non plus sur l’apprentissage par coeur. J’ai appris dans ces écoles comment penser, réfléchir et résoudre les problèmes. Une approche qui m’a beaucoup aidée à gérer ma vie », explique Salsabil, qui était inscrite aussi dans une école privée en Egypte car ses parents se déplaçaient entre Gaza et Le Caire. « Les activités étaient une partie intégrante de la formation des étudiants dans ces écoles. On y suivait aussi des cours d’économie ménagère durant lesquels on apprenait la broderie et on faisait des recettes de la cuisine palestinienne, une manière de préserver les mets de nos grands-mères qui faisaient partie de notre héritage culturel. D’ailleurs, vu que les filles palestiniennes se mariaient tôt, l’enseignement dans ces écoles tâchait à leur donner des conseils d’hygiène dans le domaine de la santé de procréation. De même, chaque groupe de six élèves avait pour responsabilité de nettoyer la classe et l’école à tour de rôle chaque semaine. Un système éducatif riche suivant une approche holistique qui se préoccupait d’enrichir nos connaissances dans divers domaines et de former nos personnalités », avance Salsabil. Et d’ajouter : « Même les conditions difficiles et les moyens limités dans ces établissements m’ont donné une leçon dans la vie, celle de profiter de toute chance de formation malgré tout. Raison pour laquelle j’ai pu passer mon bac en Egypte avec succès sans aucun cours particulier et j’ai pu accéder à la faculté de communication de masse qui exige un pourcentage élevé ».
Soutien psychique
Et ce n’est pas tout. Si ces écoles constituent aux enfants gazaouis un abri contre les feux de la bataille, elles représentent aussi un refuge psychologique où les enfants peuvent recevoir un soutien, d’autant plus que nombreux parmi eux ont perdu leurs parents durant cette dernière guerre.
A cet égard, et conformément au cadre SMSPS (santé mentale et soutien psychosocial) pour les écoles de l’UNRWA, le personnel à Gaza a travaillé avec diligence pour promouvoir le bien-être de tous les enfants, en mettant davantage l’accent sur les élèves qui sont directement exposés aux atrocités de la vie à Gaza, selon le site de l’UNRWA. « Les souvenirs de la dernière guerre en mai 2021, qui avait fait de nombreux morts et blessés parmi les enfants et les civils, ont laissé des séquelles psychologiques chez un grand nombre d’enfants. Ces morts et ces blessés affectaient fortement le sentiment de sécurité parmi les réfugiés, ce qui a eu un impact sur l’état émotionnel des élèves et des enseignants », explique Sohaila, mère de quatre enfants. Une enquête menée par l’équipe de la SMSPS de l’éducation a révélé que 42 % des 12 234 enfants avaient besoin d’une intervention psychosociale. Même neuf mois plus tard, 35 % d’entre eux souffraient encore de réactions traumatiques. Tout cela se produit dans une situation économique désastreuse qui augmenterait également le risque d’abandon scolaire, car les enfants, en particulier les garçons, sont obligés d’aider leurs familles avec des revenus supplémentaires et certaines familles ne seraient pas en mesure de payer le matériel scolaire ou le transport.
Un moyen de liquider la cause palestinienne ? Peut-être, comme le pense la sociologue Lina Hamamy. Elle estime qu’un enseignement de qualité auquel aspirait toujours la famille palestinienne a été une arme pour préserver la cause et l’entité. Un peuple ignorant est sans doute incapable de lutter pour ses droits. Il s’agit donc d’un moyen d’anéantir ce peuple en ciblant les écoles dont les élèves ont besoin d’une manière urgente, notamment à ce moment où ils seraient obligés de mener un quotidien difficile. Et ce, après avoir vécu dans leurs villes des expériences dont les souvenirs vont rester à jamais gravés dans leur mémoire. Or, une chose est sûre. L’image paraît sombre. « Personne ne peut prédire l’avenir flou des établissements scolaires dans l’après-guerre. Aucun scénario n’est clair en ce qui concerne l’avenir du processus éducatif », explique Al-Medhoun, qui était parmi les élèves brillants dans les écoles de l’UNRWA où ses quatre filles font actuellement leurs études. Et de conclure : « Depuis la fondation de l’UNRWA jusqu’à nos jours, sept générations ont fait leurs études dans ses écoles. L’on y compte des ingénieurs, médecins et experts des plus compétents dans différents domaines, dont Loay Albasyouni, inventeur de l’hélicoptère parti sur Mars, ancien élève d’un établissement de l’UNRWA dans son village natal Beit Hanoun ».
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