Al-Ahram Hebdo : Après une période de tension avec trois pays membres, la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a appelé, lors de sa réunion jeudi 8 février, à l’unité. Pourquoi ce changement de ton alors qu’elle se montrait plus ferme ?
Mohamed Abdel-Wahed : La décision, annoncée le 28 janvier dernier, des régimes malien, burkinabé et nigérien de quitter « sans délai » la CEDEAO a provoqué un choc sans précédent auprès de cette organisation régionale, d’autant que ces trois pays jouissent d’une importante force militaire parmi les 15 pays membres, en plus de posséder des richesses qui affectent l’économie de la région. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger paient également leur contribution à l’organisation. Ils jouissent de la liberté de commerce entre eux. Ce qui signifie qu’un éventuel retrait de ces pays n’est ni dans l’intérêt de l’organisation ni dans celui des citoyens de ses pays membres qui affronteront des difficultés supplémentaires pour pouvoir voyager sans visa et s’établir dans les pays de la région pour y travailler ou résider. En outre, la CEDEAO craint que d’autres pays, comme la Guinée, ne fassent de même. Avec toutes ces circonstances, l’organisation s’est rendu compte qu’elle a pris des décisions hâtives en haussant le ton contre ces pays et qu’elle doit changer sa politique en appelant à l’unité de ses membres.
— La crise sénégalaise, née du report de la présidentielle du 25 février au 15 décembre, était une des raisons de la tenue de cette réunion d’urgence. Or, la CEDEAO n’a pas agi fermement face au Sénégal comme c’était le cas avec les autres pays en crise …
— On doit signaler que le Sénégal était un exemple démocratique réussi dans une région où se succèdent les putschs et les faits accomplis. Il est vrai que la CEDEAO a exprimé, lors de sa dernière réunion, son inquiétude face aux tensions au Sénégal, mais je pense que les relations avec le Sénégal ne vont pas se détériorer et que les discussions entre ce pays et l’organisation peuvent aboutir à une solution. Le Sénégal entretient de bonnes relations avec la CEDEAO mais aussi avec la France. Sa stabilité est primordiale pour la région.
Il y a aussi une autre question : malgré les sanctions imposées et les menaces d’intervention militaire, la CEDEAO n’a pas réussi à imposer quoi que ce soit aux pays en crise, à savoir la Guinée, le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
— La CEDEAO serait-elle donc en train de perdre son efficacité ?
— L’organisation est en effet pointée du doigt comme étant la main de la France dans la région. Elle est accusée d’exécuter ses voeux et de protéger ses intérêts. Elle est également accusée d’agir avec la politique de deux poids, deux mesures en ce qui concerne le processus démocratique dans les pays. Elle a pris une position ferme après les coups d’Etat au Mali, au Niger et au Burkina Faso, alors qu’elle ne l’a pas fait en Guinée. L’organisation est considérée comme n’étant pas neutre dans sa prise de décisions, ce qui mène peu à peu à sa perte d’influence.
Le Sénégal, l’un des pays de la région, a connu des troubles à la suite du report de la présidentielle. (Photo : AFP)
— Mais pourquoi l’Afrique de l’Ouest est-elle devenue, ces dernières années, une région de troubles politiques et sécuritaires ?
— Ce qui se passe dans cette région, au Sahel et même au Soudan n’est pas sans relation avec le bras de fer entre les puissances internationales : d’un côté les Etats-Unis et leurs alliés, de l’autre, la Russie et la Chine. Dans le même temps, les conditions propices à l’instabilité sont nombreuses : conflits internes, régimes autoritaires hérités du colonialisme, répartition injuste des richesses qui reviennent aux élites et aux proches du pouvoir, répercussions du changement climatique qui a provoqué la désertification, l’assèchement des terres et des rivières et a augmenté le taux de chômage et de pauvreté …
— Dans le même temps, la menace terroriste reste présente …
— Contrairement aux attentes après le retrait de la France, la région a subi un recul des activités terroristes au cours de la période passée. Ceci est dû à deux raisons, l’une intérieure et l’autre extérieure. Pour ce qui est des raisons internes, les régimes des trois pays qui ont rejeté la présence militaire de la France ont créé une alliance de défense antiterroriste commune, luttant ainsi contre les mouvements terroristes dans les régions frontalières. Quant aux raisons externes, ce sont la guerre à Gaza et celle en Ukraine qui sont au centre des préoccupations. Cela dit, si les pays qui ont rejeté la présence française ont réussi à freiner les activités terroristes, ils n’ont pas encore pu les éradiquer. Car les facteurs qui nourrissent le terrorisme existent toujours. La pauvreté, l’ignorance, l’absence de la justice sociale et de la démocratie sont les maux qui doivent être traités pour parvenir à la sécurité et la stabilité.
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