Sur le continent africain, l’agriculture est un secteur à risque. Les pays africains sont confrontés à d’énormes défis au niveau de leur agriculture, en particulier dans les régions arides et semi-arides, alors que d’autres régions du continent sont soumises aux modifications des régimes pluviométriques et exposées à de fortes inondations causées par le changement climatique, ce qui affecte gravement la production agricole. De même, le continent noir est victime d’une vague de déforestation sans précédent. En Côte d’Ivoire, plus de 90 % de la superficie forestière a été perdue au profit de la culture du cacao. Les cultivateurs de cacao utilisent des méthodes et des outils de production désuets qui augmentent l’érosion du sol et accentuent les émissions de gaz à effet de serre.
Face à tous ces défis, certains pays africains ont décidé d’adopter l’Agriculture climato-intelligente (AIC). Cette approche innovante est une combinaison de plusieurs méthodes durables pour répondre aux défis climatiques dans une région agricole précise. « Cette approche repose sur trois fondements essentiels », explique Dr Géhane Abdel-Salam, professeur d’économie au Centre des études supérieures africaines de l’Université du Caire. D’après elle, il s’agit premièrement d’augmenter durablement la productivité agricole pour permettre d’améliorer équitablement les revenus des petits cultivateurs et la sécurité alimentaire. Deuxièmement, l’AIC s’emploie à renforcer la résilience face au changement climatique à tous les niveaux et à trouver des solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole. En fait, l’appel à révolutionner le secteur agricole en Afrique remonte à 2016, lorsque le Maroc a lancé l’initiative AAA (Adaptation de l’Agriculture Africaine), ayant les mêmes objectifs que l’AIC. Selon Dr Abdel-Salam, l’AIC « est une approche qui permet d’augmenter la résilience de la terre contre l’érosion afin d’augmenter la productivité agricole et de réduire les émissions de gaz à effet de serre ». Dans le cadre de cette approche, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a déjà lancé 15 projets pilotes d’AIC d’un coût de 14 millions de dollars, actuellement en cours dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest comme la Gambie, le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana, le Nigeria et le Togo. En Gambie, le projet porte sur le développement d’outils agricoles intelligents pour améliorer l’efficacité de l’irrigation dans la région de la Côte Ouest du pays. Au Ghana, le projet porte sur l’innovation technique agroforestière en formant de petites exploitations agricoles autonomes dans le paysage du lac Bosomtwe. Alors qu’en Guinée, il s’agit d’introduire des pratiques d’agriculture durable dans les exploitations familiales de la Haute-Guinée. La Guinée-Bissau est devenue le théâtre d’un projet d’appui à la filière de l’huile de palme durable dans la région de Cacheu. Enfin, un autre projet consiste à développer le modèle d’exploitation agroforestier au Niger.
Enjeux et défis
Outre ces projets en Afrique de l’Ouest, d’autres similaires sont également en cours de réalisation à Nyando, dans l’Ouest du Kenya, où la création de villages climato-intelligents a permis aux familles de satisfaire leurs besoins en nourriture. Il faut savoir que 81 % de ces familles connaissaient jusque-là de longues périodes de disette. En Ouganda, les arbres ombrageux, cultivés dans les plantations de café, ont permis d’améliorer les récoltes en réduisant la température de 2 à 5°C, ce qui a réduit drastiquement les pertes. Ces projets ont permis d’améliorer les revenus de plus de 7 millions d’agriculteurs et de gérer 4 millions d’hectares de terre selon les principes de l’agriculture climato-intelligente. Cependant, malgré ces succès, certains défis entravent l’expansion de cette technologie, comme l’explique Dr Abdel-Salam. « Plus de 80 % de la production agricole en Afrique provient de petites exploitations familiales, souvent dans des zones recluses dont la majorité des cultivateurs sont analphabètes et n’ont aucune qualification pour utiliser les méthodes intelligentes dans l’agriculture », affirme-t-elle. Et de conclure : « L’introduction de l’agriculture climato-intelligente dans le secteur agricole est récente et remonte à 5 ans seulement. Il est encore tôt pour évaluer le rendement des projets actuellement en cours de réalisation, surtout que les projets climato-intelligents nécessitent une période de temps relativement longue pour en récolter les bénéfices. Ces périodes varient entre 3 et 7 ans, ce qui peut amener les petits cultivateurs à abandonner ces pratiques durables ».
Agriculture numérique et agriculture intelligente
« Il existe une différence significative entre l’agriculture intelligente et l’agriculture numérique ou l’agri-tech », explique Dr Abdel-Salam. Selon elle, la différence entre ces deux types d’agriculture appliqués actuellement par certains pays africains réside essentiellement dans le fait que l’Agriculture climato-intelligente (AIC) prend en considération le facteur écologique. « L’agriculture numérique ou l’agri-tech néglige l’aspect climatique et se focalise essentiellement sur la technologie informatique et des télécommunications dans le secteur agricole pour lier les agriculteurs au marché local, régional et même international à travers les plateformes numériques ». Et d’ajouter que l’usage des robots et des outils ultrasophistiqués dans le processus agricole fait partie de l’agri-tech. Introduite presque en même temps que l’AIC, l’agri-tech vise à gérer et à révolutionner les méthodes d’agriculture en créant des bases de données propres à chaque exploitation sur des plateformes relatives à chaque pays, région et culture. C’est en Côte d’Ivoire, en 2017, que fut lancée la première société numérique en Afrique. Il s’agit de la société « WeFly Agri ». Il s’agit de la première société en Afrique qui utilise des drones pour permettre aux propriétaires des exploitations agricoles de surveiller et de gérer leurs terres à distance. La société fournit aussi des services de cartographie interactive et des visites virtuelles permettant aux propriétaires d’interagir avec le personnel sur le terrain. Depuis son lancement, les drones de WeFly Agri ont cartographié et surveillé plus de 40 000 hectares de terre agricole.
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