Quelles sont les limites de la vengeance ? Dès les premières minutes du film Al-Iskandarani (l’Alexandrin), on se rend compte que le jeune héros originaire d’Alexandrie est prêt à tout pour rentrer chez lui et se venger.
Après six ans d’absence, le réalisateur Khaled Youssef retourne au cinéma avec un scénario écrit par Ossama Anouar Okacha avant sa mort.
Le réalisateur plonge les spectateurs dans les méandres d’Alexandrie, univers fétiche du scénariste, disparu en 2010. Et ce, à travers l’histoire de Bakr Al-Iskandarani, un jeune homme costaud — joué par Ahmad Al-Awadi —, un grand fan du boxe et de presque tous les sports de combat. Son père, campé par Bayoumi Fouad, est l’un des plus grands vendeurs de poisson, connu pour sa magnanimité et ses actes de charité. Toutefois, il n’arrive pas à convaincre son fils de travailler avec lui. C’est pourquoi il se sert de son neveu, Younès — interprété par Mahmoud Hafez — pour gérer son commerce. Ce dernier a été élevé par son oncle depuis sa tendre enfance, après le décès de ses parents.
Bakr vole son père, lequel a refusé de lui procurer l’argent nécessaire pour monter son projet. Puis, il perd l’argent et son père le renvoie de la maison familiale. Le fils décide de tout quitter, se sépare de sa bien-aimée, interprétée par Zeina, et part à la recherche d’une chance de travail en Europe. Il y passe quelque dix ans à faire de petits boulots, à passer d’un mariage à l’autre, et ce, avant de collaborer avec un chef de gang. De retour en Egypte, il ne reconnaît plus son Alexandrie natale.
L’époque où Ossama Anouar Okacha a écrit ce scénario semble un peu révolue. Sorti enfin sur écran après de longues années, l’ensemble paraît un peu trop classique. Le personnage du père est dessiné à l’image des Harafichs (les gueux) de Naguib Mahfouz. De temps en temps, les refrains de chansons arabes classiques sont repris pour commenter les événements. Bref, le réalisateur propose, pendant plus de deux heures, un cocktail de thèmes et de goûts, avec l’espoir de satisfaire le plus grand nombre de personnes.
Bakr Al-Iskandarani et sa bien-aimée.
Les bons et les méchants
On reconnaît dès le début l’énergie habituelle du cinéaste, ne serait-ce aux toutes premières images, où il nous est montré un intérieur, avec une pléthore d’objets, de micro-détails parfois éparpillés, qui sont finalement bien caractéristiques de la volonté du réalisateur de nous raconter toujours tant d’histoires en marge de l’histoire principale.
On a l’impression de verser dans un dualisme bien direct, opposant les gentils magnanimes de l’ancienne Alexandrie et les vilains nouveaux capitalistes. Ainsi, nous oscillons entre deux Alexandries qui se heurtent et se détestent. Chaque champ défend ses idées et cela se présente de manière volontairement caricaturale sous prétexte narratif.
Les dialogues sont le plus souvent brillants, le film renferme quelques répliques culte, comme de coutume dans les oeuvres d’Ossama Anouar Okacha. Et le spectateur est traversé par toutes sortes d’émotions, allant du sourire aux larmes, en passant par la colère.
Khaled Youssef est toujours fidèle à lui-même. On retrouve partout la farine du réalisateur : usage presque superstitieux de la pellicule et la volonté de réduire au maximum l’usage d’effets spéciaux pour accentuer le réalisme. Il propose un va-et-vient parfois désorganisé qui se déploie dans deux espace/temps : un premier concentré sur la vie des protagonistes il y a dix ans et un deuxième sur la vie actuelle de la famille Al-Iskandarani.
Toutefois, quelques fautes de raccords viennent malheureusement nous piquer les yeux, notamment en ce qui concerne le décalage temps sur le look et le maquillage des protagonistes.
Avec des scènes d’action, de combats magistralement exécutés, de belles acrobaties et des moments de force, s’il y a bien un point fort à retenir dans ce film, c’est bien les scènes d’action assez épatantes.
Al-Awadi excelle dans les scènes de combat et d’action.
Un casting qui tient bien la route
Mais évidemment l’une des grandes forces du film repose sur son casting. Le jeu des acteurs est presque nickel avec ce côté « humain », qui a bien sa place dans l’histoire. Le choix du duo Ahmad Al-Awadi et Bayoumi Fouad (le fils et le père) tient de la valeur sûre. Les deux comédiens réussissent une certaine attirance, assez crédible.
Ahmad Al-Awadi reste le premier gagnant d’une telle expérience ; il excelle dans le rôle de Bakr, loin d’être un personnage catalogué « vilain pillard ». Au sommet de son art martial, il offre également un jeu d’acteur bien crédible et respectable. La simplicité et la crédibilité de sa performance lui garantissent la sympathie du public.
Bayoumi Fouad paraît lui aussi assez crédible dans ce rôle sérieux, tour à tour violent, sage, rude, fragile, mais toujours simple et convaincant, loin de son talent de farceur. Mahmoud Hafez est également excellent dans le rôle du cousin rancunier ; il est trop à l’aise avec ce genre de personnages. La star Hussein Fahmi réussit, pour sa part, à attirer l’attention dans la peau du vieux commerçant grec, amoureux de la ville côtière où il a passé toute sa vie.
La musique de Yéhia Al-Mougui appuie trop directement sur le thème d’Alexandrie en rejouant quelques airs des fameuses chansons portant sur la ville mythique. Elle vient compléter le sentiment dominant tout au long du film, oscillant entre l’ancien et le moderne.
Bref, le film a quelques difficultés à trouver le ton juste sur la durée, mais il est vraiment très difficile de ne pas se laisser toucher à un moment ou à un autre par l’humanité des personnages. Le réalisateur Khaled Youssef avait tous les ingrédients en main pour réussir la recette d’un film d’action parfait. Au final, si vous aimez l’action, le jeu d’Ahmad Al-Awadi ou le monde alexandrin dépeint Ossama Anouar Okacha, ce film est fait pour vous, même s’il constitue une aventure loin de faire l’unanimité.
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