Mardi, 03 décembre 2024
Dossier > Corne de l'Afrique >

Mohamed Mahran : Cet accord viole le droit international, ainsi que les principes de l’UA et de la Ligue arabe

Ola Hamdi , Mercredi, 31 janvier 2024

Dr Mohamed Mahran, spécialiste du droit international, explique pourquoi le mémorandum d’accord maritime entre l’Ethiopie et le Somaliland est illégal au vu du droit international.

Mohamed Mahran

Al-Ahram Hebdo : Du point de vue du droit international, que vaut l’accord que l’Ethiopie a signé avec le Somaliland ?

Mohamed Mahran : L’accord que l’Ethiopie a signé avec la région séparatiste du Somaliland concernant le port de Berbera est considéré comme nul, puisqu’il viole le droit international de différentes façons : le Somaliland fait partie des territoires somaliens, est soumis à la souveraineté de la Somalie et n’est pas une entité indépendante qui a le droit de conclure des accords bilatéraux avec un quelconque pays. C’est pourquoi l’accord contredit le texte de l’article 2 de la Charte des Nations-Unies, qui établit le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres. Il viole également les principes du droit international relatifs aux relations amicales et à la coopération entre les Etats, conformément à la Charte des Nations-Unies et à la résolution 2625 de l’Assemblée générale des Nations-Unies de 1970, qui stipule la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. De même, il va à l’encontre des résolutions du Conseil de sécurité qui mettent l’accent sur l’unité nationale somalienne et qui rejettent les mouvements séparatistes. Le droit international ne reconnaît le droit d’aucune région de faire sécession et de déclarer son indépendance sans l’approbation de l’autorité centrale de cet Etat, conformément à la Charte des Nations-Unies et aux résolutions afférentes de l’Assemblée générale. Le droit international confirme également qu’il n’est pas autorisé de reconnaître une entité ou de signer des accords avec elle à moins que l’Etat qui a la souveraineté sur ce territoire n’accepte de le faire. Par conséquent, tout accord entre l’Ethiopie et les entités séparatistes somaliennes qui ne tienne pas compte de l’approbation de l’Etat de Somalie est considéré comme invalide et illégal et viole la souveraineté nationale de la Somalie.

— Lors de la 42e session extraordinaire de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine (UA) a appelé à trouver une solution à la tension entre l’Ethiopie et la Somalie. Comment voyez-vous la position de l’UA ?

— Cet accord viole plusieurs principes fondamentaux sur lesquels repose l’UA, notamment le principe du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats membres. C’est ce que fait l’Ethiopie en traitant avec une région séparée de la Somalie en tant qu’entité indépendante. Il y a également le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres : l’Ethiopie encourage les mouvements séparatistes de la région du Somaliland, ce qui menace également la stabilité interne d’un autre Etat membre, qu’est la Somalie. Il est question aussi des principes de bon voisinage. La politique expansionniste d’Addis-Abeba dans la Corne de l’Afrique, menée au détriment de la souveraineté de ces pays, inquiète les voisins de l’Ethiopie. L’UA doit donc prendre des mesures pour condamner les actions de l’Ethiopie et faire pression sur elle pour qu’elle respecte les principes de la Charte de l’organisation.

— La Ligue arabe a annoncé sa solidarité avec la Somalie en rejetant et en condamnant cet accord, quelle est la portée de ce geste ?

— La Somalie est un pays arabe et la sécurité nationale de l’Egypte et des pays arabes est étroitement liée à la sécurité et à la stabilité de la Somalie. Par conséquent, les tentatives du régime éthiopien visant à déstabiliser la région et à semer le chaos dans le continent africain par ses politiques expansionnistes irresponsables doivent être combattues avec fermeté et efficacité. Par ailleurs, l’accord est contraire à plusieurs principes fondamentaux de la Charte de la Ligue des Etats arabes, dont l’article 5 qui stipule le respect de l’indépendance et de la souveraineté nationale de tous les Etats membres. C’est ce que l’Ethiopie a violé en traitant avec le Somaliland, séparatiste de la Somalie. De même, l’article 8 interdit le recours à la force ou à la menace dans les relations arabes. Les actions militaires de l’Ethiopie constituent une attaque contre un pays arabe frère. De même, il ne faut pas oublier le respect des principes de synergie et de solidarité arabes que la Ligue est censée garantir entre ses membres, et le principe de ne pas soutenir des politiques qui affectent la souveraineté des pays arabes voisins. Il existe également un accord de défense arabe commune conclu par la Ligue des Etats arabes en 1950 dans le but de renforcer la coopération militaire entre les Etats membres afin de protéger leur sécurité et leur indépendance. Il stipule explicitement que toute attaque armée d’un Etat contre un autre Etat arabe est considérée comme une attaque contre tous les Etats arabes signataires de l’accord.

— Selon vous, quelles sont les options qu’a la Somalie pour protéger sa souveraineté ?

— Les mesures que la Somalie peut prendre pour protéger sa souveraineté consistent à documenter les cas d’occupation éthiopienne et à les surveiller attentivement à travers des missions sur le terrain pour recueillir des preuves et des témoignages.

La documentation sera utilisée ultérieurement devant les instances internationales, en plus d’une coordination avec les pays voisins et les alliances régionales telles que les Etats du Golfe, l’UA et la Ligue arabe afin d’avoir une position favorable aux droits légitimes de la Somalie. En cas d’échec des mécanismes régionaux de négociation et de médiation, la Somalie peut aussi recourir au Conseil de sécurité afin d’émettre une résolution internationale obligeant l’Ethiopie à se retirer. La Somalie a également le droit de prendre des mesures de légitime défense en cas d’offensive militaire éthiopienne contre les zones frontalières avec la Somalie, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations-Unies. Exercer une pression internationale est une démarche nécessaire pour dissuader l’Ethiopie qui ignore depuis des années la souveraineté de ses voisins régionaux et commet des actions irresponsables qui déstabilisent la stabilité et la sécurité de la région.

Il est important que le Conseil de sécurité agisse rapidement et impose des sanctions à l’Ethiopie, en plus d’activer le rôle des organisations régionales pour exercer davantage de pression diplomatique. Garder le silence face aux provocations éthiopiennes et les ignorer encouragerait le régime éthiopien et d’autres régimes extrémistes à poursuivre des politiques d’expansion et d’hégémonie aux dépens des pays voisins à l’avenir.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique