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Le sens du rapprochement égypto-russe

Mardi, 19 novembre 2013

La visite au Caire, le 14 novembre, des ministres russes de la Défense et des Affaires étrangères, Sergei Shoigu et Sergei Lavrov, est un développement majeur, non seulement au niveau des rapports entre les deux pays, mais aussi pour l’ensemble du Moyen-Orient. Elle a été précédée par la visite, début novembre, du chef du renseignement militaire russe, Viackeslav Kondraskou, qui a notamment discuté des moyens de coopération dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Elle doit préparer le terrain à la visite attendue du président russe, Vladimir Poutine, en Egypte, cet hiver.

Ce ballet diplomatique démontre une volonté réciproque d’ouvrir une nouvelle page après une période de tiédeur dans les relations entre les deux pays. Certains observateurs parlent d’un possible inversement d’alliance extérieure de l’Egypte, qui remplacerait les Etats-Unis par la Russie. Qu’en est-il au juste?

Il est vrai que ce réchauffement égypto-russe a un rapport de cause à effet avec la récente tension entre l’Egypte et les Etats-Unis, à la suite de la destitution de l’ex-président islamiste, Mohamad Morsi, le 3 juillet, et la conséquente répression violente des Frères musulmans. Le mécontentement de Washington s’est traduit par sa décision, le 9 octobre, de geler 260 millions de dollars de l’aide militaire annuelle accordée à l’Egypte et la suspension de la livraison de certains gros systèmes d’armement : chasseurs F-16, chars M-1 Abrams, missiles antinavires Harpoon, hélicoptères de combat Apache. Cette pression, exercée par les Etats-Unis via son assistance militaire, était très mal perçue aussi bien par le gouvernement intérimaire que par l’opinion publique, tous deux criaient à l’intervention américaine, inacceptable dans les affaires intérieures de l’Egypte. C’est à ce moment-là que certains responsables égyptiens ont brandi la menace de chercher d’autres sources d’armement, en allusion à la Russie, pour contourner la pression américaine.

Ce n’est donc pas fortuit que les informations font état de l’intérêt de l’Egypte pour les gros systèmes d’armes russes, du même type que ceux gelés par les Américains : chasseurs avancés MiG-29, systèmes de défense antiaérienne, roquettes antichars Kornet, hélicoptères de combat, chars. Le coût de ce marché est estimé à plus de 2 milliards de dollars, que l’Arabie saoudite serait prête à payer. Riyad, mécontent de la politique américaine envers l’Egypte et hostile à toute inclusion des Frères musulmans dans le jeu politique, aurait promis de régler la facture des achats égyptiens d’armement russe, à hauteur de 4 milliards de dollars.

La nouvelle coopération égypto-russe ne devrait pas s’arrêter là. Elle pourrait s’étendre, entre autres, au domaine atomique, où l’Egypte a l’intention de créer son premier réacteur nucléaire, destiné à pallier son problème d’énergie. Il ne faut toutefois pas surestimer les retrouvailles égypto-russes, du moins du côté de l’Egypte. Comme les responsables égyptiens l’ont affirmé, l’Egypte ne cherche pas à remplacer les Etats-Unis par la Russie. Elle s’emploie plutôt à mieux équilibrer ses rapports extérieurs, à élargir son horizon et à multiplier les alternatives. L’ex-président, Mohamad Morsi, l’avait d’ailleurs essayé, en tentant une ouverture en direction de la Russie.

Mais il s’est heurté à une fin de non-recevoir, car Moscou ne voulait pas d’un rapprochement avec un régime islamiste, tenu par la confrérie des Frères musulmans, interdite en Russie depuis 2003 pour son assistance supposée aux rebelles tchétchènes. Cette même raison — l’hostilité aux Frères musulmans et à l’islamisme en général — crée aujourd’hui un terrain favorable au rapprochement égypto-russe.

Pour Le Caire, le rapprochement avec la Russie entend envoyer un message fort aux Etats-Unis selon lequel l’Egypte ne doit pas être prise pour acquis. Loin de vouloir rompre ou de s’éloigner des Américains, le gouvernement intérimaire cherche à leur faire rappeler l’importance de l’Egypte et à leur signifier qu’ils pourraient perdre plusieurs des privilèges liés à leur alliance avec Le Caire au cas où ils persisteraient à vouloir s’ingérer dans ses affaires internes, en usant de leur assistance militaire et économique. Le but des autorités égyptiennes serait donc plutôt de ramener Washington à de meilleurs sentiments et, en fin du compte, d’améliorer les rapports bilatéraux.

Deux principales raisons expliquent l’attachement du Caire au partenariat avec les Etats-Unis, forgé depuis la fin des années 1970. D’abord, la Russie, ou tout autre pays, ne peut pas compenser l’assistance militaire et économique américaine, d’une valeur annuelle de 1,5 milliard de dollars, dont 1,3 milliard d’aide militaire destinée à financer les achats de l’armée égyptienne des armes et des équipements militaires américains.

Les achats d’armes russes doivent, eux, être payés par l’Egypte. Moscou a d’ailleurs fait savoir que le problème qui se pose aux achats égyptiens d’armement russe est de pouvoir les régler. Ce serait chose faite cette fois-ci grâce aux largesses saoudiennes. Mais qu’en est-il d’éventuels contrats ultérieurs, à un moment où l’Egypte fait face à une crise économique et financière aiguë, depuis le soulèvement populaire du 25 janvier 2011?

Sur un autre niveau, le changement d’un pourvoyeur d’armes par un autre n’est pas chose facile et ne se fait pas du jour au lendemain. Car, dans un cas pareil, il n’est pas seulement question de formation de personnel et de compatibilité de matériel, mais aussi de changement de doctrine ou de philosophie militaire. Modifier la source d’armement est donc une affaire onéreuse en termes d’investissement et de temps.

Rien n’indique donc que l’Egypte ait l’intention de changer un allié pesant par un autre qui pourrait le devenir. Par son rapprochement avec la Russie, l’Egypte cherche plutôt à réduire les contraintes — qui se traduisent par des ingérences dans ses affaires intérieures — liées à l’aide accordée par les Etats-Unis, qu’à vouloir changer d’alliance. Ni Le Caire, ni Washington ne veulent de cette rupture d’alliance. L’Egypte veut par contre en modifier les termes en sa faveur. Se rapprocher de la Russie serait le moyen d’y parvenir.

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