Al-Ahram Hebdo : Pourquoi le Conseil de sécurité de l’ONU a-t-il échoué à émettre une résolution sur un cessez-le-feu dans la bande de Gaza ?
Magued Abdel-Fattah : Le Conseil de sécurité traverse une période critique en raison des tensions géopolitiques provoquées par les tentatives de l’Occident d’inclure des pays comme la Pologne et l’Ukraine dans l’OTAN, ce qui est perçu par la Russie comme une violation d’accords antérieurs. La confrontation qui en résulte exacerbe la polarisation entre la Russie et la Chine d’un côté, et les puissances occidentales représentées par les Etats-Unis et les pays de l’Union Européenne (UE) de l’autre, conduisant à l’inefficacité du Conseil face aux questions de paix et de sécurité internationales. Ceci est flagrant dans le traitement disparate des situations ukrainienne et palestinienne. Face à ces défis, le groupe arabe et la mission de la Ligue arabe à New York déploient d’immenses efforts pour atténuer les impacts négatifs de cette polarisation politique, en particulier concernant la cause palestinienne.
— Pourquoi l’accent est-il mis sur une trêve humanitaire plutôt que sur l’arrêt des violences ?
— Les Etats-Unis, en coordination avec Israël, travaillent explicitement à la réalisation de leurs propres objectifs. Israël poursuit des violations flagrantes du droit international et du droit humanitaire, faisant fi des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU dans l’ensemble des territoires palestiniens occupés. Reconnaissant que l’ONU et le monde civilisé condamnent ces violations, Israël cherche à créer une hostilité permanente à l’égard de l’organisation internationale et de ses agences. Il s’attaque au Conseil de sécurité, à ses membres, au secrétaire général de l’ONU et à de hauts fonctionnaires, accusant d’antisémitisme quiconque critique ses violations flagrantes lors des réunions de l’ONU. Malheureusement, certains membres permanents du Conseil protègent Israël en utilisant leur droit de veto pour prolonger ses actions militaires. Dans ce contexte distordu, si Israël a jusqu’à présent échappé à la responsabilité, il existe des moyens en dehors du Conseil de sécurité qui peuvent être utilisés pour le tenir responsable de ces crimes, tels que la Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice.
— Comment les Nations-Unies peuvent-elles agir pour régler le problème de la sécurité de navigation en mer Rouge ?
— Il existe une division au sein du Conseil de sécurité sur les événements en mer Rouge, surtout que les Houthis ont affiché leur détermination à poursuivre leurs attaques illégitimes contre la navigation internationale traversant le détroit de Bab El Mandab jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu soit instauré dans la bande de Gaza. Ceci a créé un état de compassion de la part de certains à cause de l’objectif humanitaire de ces attaques. Les Etats arabes détiennent une arme qui peut servir de cadre régional, qui est le Conseil des Etats arabes et africains riverains de la mer Rouge et du golfe d’Aden. Ce conseil a été instauré en 2020 à Riyad avec pour objectif de protéger les intérêts sécuritaires, politiques et d’investissement et de sécuriser la navigation. Cet ensemble comprend l’Arabie saoudite, l’Egypte, le Soudan, le Djibouti, la Somalie, le Yémen et la Jordanie. L’objectif-clé de ce groupe est d’empêcher toute intervention émanant des Etats en dehors de la région et de garantir la sécurité et la stabilité en mer Rouge et dans le golfe d’Aden. La Ligue arabe suit de près ces incidents et les consultations sont en cours au Conseil de sécurité pour la sécurité en mer Rouge dans les plus brefs délais.
— Est-ce que le Conseil de sécurité a réagi à la signature par l’Ethiopie et le Somaliland d’un accord permettant à Addis-Abeba d’établir une base militaire en mer Rouge ?
— Oui, l’actuel président du Conseil de sécurité, l’ambassadeur de France, a reçu un message de la part du ministre somalien des Affaires étrangères par intérim selon lequel le mémorandum d’entente qui octroie à l’Ethiopie 20 km de côtes somaliennes est une violation directe de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Somalie et une violation flagrante du droit international, ce qui menace la sécurité régionale. C’est pourquoi la Somalie appelle le Conseil de sécurité à condamner cet acte et à prendre les mesures nécessaires pour y mettre un terme. Il est prévu que le Conseil de sécurité tienne des discussions sur cette question. La Ligue arabe soutient la Somalie dans la défense de ses intérêts. Nous espérons que le Conseil de sécurité adopte une position soutenant la souveraineté de la Somalie et oblige l’Ethiopie à revenir sur cet accord et à respecter la légitimité internationale.
— Pensez-vous que le Conseil de sécurité puisse agir auprès de l’Ethiopie au sujet du litige avec l’Egypte et le Soudan sur le barrage de la Renaissance ?
— La question du barrage de la Renaissance est catégoriquement différente et n’est pas relative aux questions de la paix et de la sécurité internationales. Elle ne concerne ni la souveraineté, ni les frontières, ni la sécurité régionale. Aux yeux de la majorité des membres de l’ONU, en particulier les Etats en développement, la question du barrage est relative au développement et à la répartition des ressources hydriques des fleuves transfrontaliers. Donc pour le Conseil de sécurité, cette question n’est pas de son ressort, mais plutôt du ressort du Conseil économique et social, ainsi que des cours chargées d’interpréter et d’appliquer les accords bilatéraux et multilatéraux concernant la répartition de l’eau. De nombreux Etats membres du Conseil de sécurité ont des problèmes relatifs à la répartition des eaux des fleuves avec leurs voisins. C’est pour cela que le Conseil s’abstient d’adopter des positions ou des décisions concernant de telles questions. Les Etats membres du Conseil ont saisi l’occasion présentée par la proposition de l’Afrique du Sud de transférer la question à l’Union Africaine (UA), partant du principe de « règlement des problèmes africains par les Africains ». Ils ont donc transféré la question en entier à l’UA qui a promis de la régler.
— Quels sont les efforts de l’ONU et de la Ligue arabe pour mettre fin au conflit au Soudan ?
— Il y a une volonté soudanaise de ne pas internationaliser le conflit ; cette réticence à le porter devant l’ONU émane de la conviction du Conseil de transition soudanais du caractère purement interne de l’affaire. Raison pour laquelle le Soudan a demandé de dispenser de sa mission l’émissaire du secrétaire général de l’ONU.
La Ligue arabe essaye de jouer l’intermédiaire entre les deux parties belligérantes et le reste des parties dans un cadre élargi impliquant tous les acteurs sur le sol soudanais, en plus de l’UA, l’ONU, l’UE, l’IGAD, ainsi que les 5 pays membres permanents du Conseil de sécurité. Sont également impliqués les pays intéressés comme l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Djibouti, le Soudan du Sud, la Libye, entre autres. Le mécanisme élargi se focalise sur trois aspects qui sont : le cessez-le-feu, l’accès de l’aide humanitaire à 25 millions de Soudanais, ainsi qu’aux réfugiés soudanais dans les pays voisins, et le règlement politique global à travers un dialogue visant à préserver l’unité du Soudan. Le mécanisme a mis en exergue le rôle central de l’Egypte en tant que pays voisin.
— Quel rôle joue la Ligue arabe pour débloquer l’impasse politique en Libye ?
— La Ligue arabe et l’Egypte déploient un effort intensifié pour résoudre la crise libyenne, en coordination avec l’UA et le représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies pour la Libye, Abdallah Bassily. L’objectif est de parvenir à former un gouvernement unifié capable d’organiser des élections et de rétablir les institutions légitimes du pays. D’autant plus qu’il existe un consensus entre les dirigeants libyens, les partis politiques, les organisations féministes et des jeunes, ainsi que les organismes sécuritaires et militaires clés sur la nécessité de tenir des élections pacifiques et réussies. L’un des objectifs est de former également un front régional et international unifié pour dépasser les facteurs qui ont fait avorter les élections de décembre 2021.
— Quelle action est entreprise par la Ligue arabe en vue de parvenir à un règlement de la crise en Syrie ?
— La cause syrienne est traitée à la Ligue arabe et à l’ONU dans un cadre qui garantit la réalisation du progrès au niveau du volet politique qui prend en considération la situation sécuritaire perturbée, ainsi que les effets du tremblement de terre destructif de février 2023 et qui a provoqué l’augmentation des besoins en aides humanitaires. La dégradation remarquable de l’économie syrienne coïncide avec l’escalade des attaques militaires par les parties étrangères présentes sur le territoire syrien, en plus des répercussions des attaques israéliennes contre les aéroports de Damas et d’Alep. Tout ceci a poussé l’ONU et la Ligue arabe, après le retour de la Syrie à la Ligue, à tenter de réaliser une accalmie durable apte à aboutir à un cessez-le-feu afin d’améliorer les conditions économiques et sociales et de convaincre les parties qui financent les aides humanitaires à assumer leurs engagements. Il est évident que la suspension des travaux du comité constitutionnel pendant un an et demi entrave l’exécution de la résolution 2254 du Conseil de sécurité qui constitue l’unique axe autour duquel il y a un consentement pour mettre fin à la crise syrienne. C’est pour cela qu’il faut suivre une méthode graduelle pour faire bouger le volet politique et l’activer à travers des efforts communs avec l’ONU et la Ligue arabe afin de réinstaurer la confiance perdue et trouver une plateforme commune à travers une méthode progressive dans un cadre de pluralisme et de réalisme avec une médiation onusienne.
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