Vers un monde de plus en plus chaotique. La guerre à Gaza vient de franchir dimanche le cap des 100 jours sans qu’aucune perspective de règlement, ni même de répit, se profile à l’horizon. Les frappes et les massacres israéliens se poursuivent dans la bande de Gaza, dans le nord comme dans le sud, au su et au vu du monde entier. Les chiffres sont effroyables : Israël a commis plus de 2 000 massacres contre des familles palestiniennes dans la bande de Gaza. Selon les chiffres publiés par le ministère palestinien de la Santé, plus de 23 900 Palestiniens ont été tués lors des bombardements israéliens, dont 70 % de femmes et d’enfants. Plus de 1,9 million de personnes — environ 85 % de la population de Gaza — ont été déplacées depuis le début de la guerre. Il s’agit du plus grand déplacement du peuple palestinien depuis 1948. 70 % des infrastructures et des installations civiles de la bande ont été partiellement ou totalement détruites. En parallèle, le risque d’un élargissement du conflit grandit : de l’Iran à l’Iraq, en passant par la Syrie, le Liban, le Yémen et la Cisjordanie, la guerre oppose plusieurs fronts dans la région au bord de l’explosion. Et ce, au moment où la machine de guerre israélienne continue sa folie meurtrière : « Nous allons continuer la guerre jusqu’à la fin … La guerre à Gaza va se poursuivre pendant de longs mois », a déclaré, le 13 janvier, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu. D’autre part, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a annoncé qu’Israël s’apprêtait à entrer dans « la troisième phase de la guerre » sans préciser ni la date ni les détails de ces opérations. A quand la fin de la guerre ? Une question toujours en suspens, alors que les interrogations sur l’après-guerre restent les plus problématiques : qui va gouverner Gaza ? Et qui va la reconstruire ? Selon l’ONU, la bande de Gaza est devenue « un lieu de mort et de désespoir … elle est tout simplement devenue inhabitable ».
Israël : Divergence et objectifs non atteints
Mais après toutes ces destructions épouvantables et cette horrible effusion de sang, Israël a-t-il pu atteindre ses objectifs à Gaza ? Selon Mona Soliman, politologue et professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, « 100 jours se sont écoulés et Israël n’a pas réussi à atteindre un seul de ses objectifs déclarés, qu’il s’agisse d’éradiquer le Hamas, de libérer les détenus ou d’arrêter les hauts responsables du Hamas, notamment Mohammed Deif et Yahya Sinwar, accusés d’être les planificateurs des attaques du 7 octobre ». En parallèle, la colère gronde dans la rue israélienne contre le gouvernement de Netanyahu. Des centaines d’Israéliens ont manifesté le 14 janvier dans la ville de Haïfa pour exiger la démission immédiate du gouvernement de Netanyahu, l’accusant de ne pas avoir réussi à gérer la guerre dans la bande de Gaza. Par ailleurs, des fissures commencent à apparaître dans le cabinet de guerre israélien formé après le 7 octobre. Les médias israéliens ont également évoqué, ces derniers jours, à plusieurs reprises, les désaccords persistants entre Gallant et Netanyahu autour de la manière de gérer la guerre dans la bande de Gaza et ses conséquences régionales. Selon Mohab Adel, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, « alors que la guerre a dépassé les 100 jours, les indices de division et de polarisation politique en Israël gagnent de l’ampleur, et le degré de confiance dans le gouvernement actuel quant à sa gestion de la guerre diminue. A cela s’ajoute la détérioration des indicateurs économiques de l’Etat hébreu en raison de la mobilisation des soldats et du prolongement de la durée de la guerre ». Avis partagé par Mona Soliman, qui pense que « la guerre a profondément ébranlé la sécurité sociale de la société israélienne. Selon un rapport récent, plus de 40 % de la population, et même des soldats, ont demandé une assistance psychologique ». « Face aux pressions internes, Netanyahu ne trouve d’autre solution que de fuir en avant et de s’accrocher au pouvoir et à la guerre comme seule option, même si le coût est de brûler toute la bande de Gaza, et pourquoi ne pas transférer la guerre à d’autres zones régionales », souligne Adel.
Cisjordanie : Au bord de l’explosion
Un deuxième front s’est ouvert depuis le début de la guerre à Gaza, les violences commises par des colons israéliens extrémistes contre les Palestiniens en Cisjordanie ne cessent d’augmenter, causant la mort jusqu’à présent d’au moins 347 Palestiniens. En plus, la guerre à Gaza a donné un prétexte à ces colons d’agrandir leurs colonies et de multiplier les avant-postes illégaux en Cisjordanie. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU dans les territoires occupés, plus de 200 familles palestiniennes, dont 586 enfants, ont été forcées à fuir la Cisjordanie à cause des colons. Selon Mona Soliman, « la situation est explosive en Cisjordanie, ce qui menace d’ouvrir un nouveau front de guerre contre Israël ». Lundi dernier, au moins 13 personnes ont été blessées et une est morte dans un « attentat présumé à la voiture bélier » dans la ville de Raanana, au nord-est de Tel-Aviv. Selon les analystes, l’opération de Raanana est une réponse aux campagnes d’arrestations arbitraires généralisées en Cisjordanie.
Le Yémen, vers une explosion régionale ?
Alors qu’Israël multiplie ses provocations contre les Palestiniens dans les territoires occupés, le spectre d’une extension du conflit vers d’autres fronts plane sur le Moyen-Orient. Au Yémen, depuis le déclenchement de la guerre, les Houthis, le groupe chiite qui a pris le contrôle de Sanaa en 2014, ne cesse de tirer des missiles sur les navires commerciaux ayant des liens avec Israël en mer Rouge, ce qui a entraîné une perturbation significative du transport maritime international. Selon Mona Soliman, « le Yémen est le premier front auquel la guerre risque de s’étendre ». A la fin du mois de décembre dernier, les Etats-Unis avaient annoncé la création d’une force navale multinationale — baptisée Prosperity Guardian — dans le but d’assurer la sécurité des navires transitant par la mer Rouge. Les 12 et 13 janvier, les forces américaines et britanniques ont lancé environ 70 frappes aériennes contre des cibles houthies à travers le Yémen. Les frappes, lancées depuis la terre ferme, la mer et les airs, ont visé plusieurs sites militaires houthis à Sanaa, Hodeidah, Saada, Hajjah, Dhamar et Taiz. Selon le président américain, Joe Biden « ces frappes constituent un message clair selon lequel les Etats-Unis et leurs partenaires ne toléreront pas d’attaques contre notre personnel et ne permettront pas à des acteurs hostiles de mettre en péril la liberté de navigation sur l’une des routes commerciales les plus importantes au monde ». Selon Mona Soliman, les attaques des Houthis contre la navigation en mer Rouge, ainsi que les frappes américaines augmentent le risque d’une guerre plus large au Moyen-Orient, d’autant plus que les Houthis ne semblent pas découragés par ces frappes. Les Houthis assurent, même après les frappes américaines, qu’ils continueront à « prendre pour cible les navires commerciaux » en menaçant de s’en prendre aux intérêts américains et britanniques qui sont devenus « désormais des cibles légitimes ».
Selon Mohab Adel, « l’escalade des tensions en mer Rouge à la suite des frappes lancées par les Etats-Unis et le Royaume-Uni reflète la possibilité d’une extension du conflit. Cependant, cette escalade n’entraîne pas nécessairement la possibilité d’élargir la portée de la confrontation entre les Etats-Unis et l’Iran, puisque les frappes américaines contre des cibles houthies visent essentiellement à renforcer la capacité de dissuasion américaine dans la région ».
Le Liban, le front nord sous tension
Après la mort du numéro deux du bureau politique du Hamas Saleh Al-Arouri dans une frappe attribuée à l’armée israélienne, dans la banlieue de Beyrouth, le 2 janvier, la situation à la frontière libano-israélienne est de plus en plus explosive. Il s’agit de la première attaque israélienne contre la capitale libanaise depuis près de deux décennies. En effet, depuis le 7 octobre, le Hezbollah et Israël échangent des tirs presque quotidiennement de l’autre côté de la frontière israélo-libanaise. Ces escarmouches entre les deux côtés ont forcé près de 100 000 Israéliens et des milliers de Libanais à évacuer leurs maisons. Cependant, selon des analystes, « aucune des deux parties ne veut aller plus loin », puisqu’une guerre entre les deux pays serait probablement bien plus meurtrière que la dernière en 2006, lorsque 1 200 Libanais et 165 Israéliens avaient été tués en 34 jours. Mais les risques d’escalade existent toujours, d’autant plus qu’Israël menace de faire un « copier-coller de Gaza à Beyrouth », selon les termes de Gallant, ministre israélien de la Défense. De son côté, Hassan Nasrallah a averti le 3 janvier, suite à l’assassinat du dirigeant du Hamas Saleh Al-Arouri, que son parti avait jusqu’ici pris en compte les intérêts libanais, mais « si Israël lance la guerre au Liban, notre réponse sera sans limite ».
La Syrie et l’Iraq aussi
Parallèlement aux affrontements à la frontière libano-israélienne, en Syrie comme en Iraq, les milices chiites pro-Téhéran lancent des attaques de drones et de roquettes presque quotidiennes contre les sites de déploiement des forces américaines, et Washington répond à son tour par des frappes aériennes. En Iraq, les Etats-Unis ont frappé, le 25 décembre et le 4 janvier, des forces pro-iraniennes, dont Kataëb Hezbollah. Selon Mona Soliman, la situation en Iraq est plus compliquée qu’en Syrie. La guerre à Gaza a soulevé la question de savoir quand prendront fin les opérations américaines en Iraq. Cette escalade mutuelle entre les deux parties a poussé le premier ministre iraqien, Mohamed Chia Al-Soudani, à déclarer sa « ferme détermination à mettre un terme à la présence en Iraq de la coalition dirigée par les Etats-Unis », qui compte 2 500 hommes dans le pays. Al-Soudani a également souligné la nécessité d’entamer des négociations pour programmer le retrait définitif des troupes américaines de l’Iraq, ce qui laisse présager la possibilité « d’une escalade des tensions dans les relations américano-iraqiennes dans la période à venir », conclut Mohab Adel.
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